Actualité du Mythe de Rê et Isis

Un prêtre officiant devant Isis (Temple de Sety I, Abydos)

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Le mythe de Rê et Isis, datant probablement de quatre millénaires, est un cencentré de pensée si extraordinaire qu'il rejoint bon nombre de nos préoccupations les plus actuelles. Il réinterroge les interprétations un peu rapides de certains mythes plus tardifs, qui apparaissent dès le début de la Genèse dans la Bible. De manière magistrale, il remet en cause la métaphysique de l'Être, non pas pour la nier mais plutôt pour la compléter en établissant indirectement une équivalence entre Être et Aimer. Il nous interroge aussi sur notre conception de l'écriture et sa relation avec la parole. Pour lui, à l'origine de l'écriture, il y a la force de mort du serpent, qui, avec l'encre du venin dont l'étymologie nous rapproche du désir, vient se nicher en cachette dans le corps, pour y inscrire le manque et donner naissance à la parole. Il était évident pour Isis, que la force de mort était une force créatrice qui pouvait transformer Rê Lui-même, le Dieu qui s'était donné l'existence, en le faisant chuter de sa Toute-puissance solitaire pour l'enraciner dans la bienveillance et l'amour à l'égard des êtres qu' il avait créés. Et si ce texte arrivait à nous faire comprendre que la chute de l'homme dans la Bible était aussi le récit d'un Dieu qui chute de sa toute-puissance pour rencontrer les hommes ? Nous aurions fait un long bout de chemin et éviter bien des malentendus.

 

Rê et Isis


Paroles du dieu qui vint à l'existence de lui-même, qui créa le ciel, la terre et l'eau, le souffle de la vie et le feu, les divinités et les hommes, le bétail, les serpents, les oiseaux et les poissons ; le roi des hommes et des dieux réunis dont les limites vont au-delà des années, et possédant beaucoup de noms, inconnus de celui-ci ou inconnus de celui-là.

Isis était une femme intelligente ; son cœur était plus habile que celui de millions d'hommes ; elle avait plus de discernement qu'un million de dieux ; elle était plus judicieuse qu'un million d'esprits. Elle n'ignorait rien de ce qui était dans le ciel et sur la terre, à l'égal de Rê, qui avait créé ce qui est sur la terre. Mais elle souhaitait, en son cœur, connaître le nom de ce dieu auguste.

Rê, chaque jour, entrait à la tête de son équipage et s'asseyait sur le trône des Deux Horizons. Le grand âge du dieu rendait sa bouche molle ; aussi laissait-il tomber sa salive sur le sol, ou bien il crachait en la jetant à terre. Isis (un jour) la pétrit en ses mains avec la terre sur laquelle elle se trouvait ; elle lui donna la forme d'un serpent sacré, et le modela tel un trait prêt à s'élancer. Mais, devant elle, il ne bougea pas ; aussi put-elle le placer à la croisée des chemins que le dieu auguste avait coutume de suivre, selon son désir, sur le Double Pays.

Le dieu fit son apparition hors des portes de son palais, tandis que les divinités du palais étaient en sa suite, afin de se promener, comme chaque jour. Alors le serpent sacré le mordit, et le feu de la vie sortit de lui, puis l'animal se cacha dans les roseaux. Le dieu ouvrit la bouche et la voix de Sa Majesté atteignit le ciel. Son Ennéade dit : " Qu'est-ce donc ? Qu'est-ce donc ? " ; ses dieux dirent : " Quoi donc ? Quoi donc ? " Il ne pouvait leur répondre, ses lèvres tremblaient, ses membres étaient secoués, car le poison avait pris possession de son corps, de même que le grand Nil charrie tout derrière lui.

Le grand dieu affermit alors son cœur et il appela ceux qui étaient en sa suite : " Venez à moi, vous qui êtes venus à l'existence hors de mon corps, dieux qui êtes issus de moi, afin que je vous fasse connaître ce qui m'est arrivé. Une chose douloureuse m'a mordu. Mon cœur ne la connaît pas, mes yeux ne l'ont pas vue, ma main ne l'a pas faite. Je ne reconnais en elle aucun des éléments de ma création. Mais je n'ai jamais ressenti une souffrance comme celle-là ; il n'y a rien de plus pénible que cela. Je suis un Souverain, fils de Souverain, une semence divine venue à l'existence comme dieu. Je suis le Grand, fils du Grand, celui dont le nom fut pensé par son père. J'ai beaucoup de noms et beaucoup de formes. Ma forme est aussi en chaque dieu. Je suis celui que l'on appelle Atoum et Horus le loué. Mon père et ma mère m'ont dit mon nom, et je l'ai caché en mon corps hors de portée de mes enfants de peur qu'un pouvoir soit donné à un magicien contre moi. Or je sortais pour voir ce que j'avais créé, je me promenais sur le Double Pays que j'avais fait, lorsqu'une chose me mordit que je ne connais point. Ce n'est pas le feu, ce n'est pas l'eau, mais mon cœur brûle, mon corps tremble et mes membres ont froid. Que mes enfants, les dieux me soient amenés, avec des paroles bénéfiques - les dieux qui savent les formules magiques et dont la connaissance atteint le ciel ".

Alors les enfants du dieu vinrent à lui, chacun d'eux se lamentant. Isis s'en vint avec son pouvoir et ses incantations magiques, possédant le souffle de la vie, avec ses incantations magiques pour repousser la maladie, avec ses paroles capables de rendre la vie à une bouche qui étouffe. Elle dit : " Qu'est-ce-donc ? Qu'est-ce donc ? ô mon divin père ! L'un de tes enfants aurait-il levé la tête à ton encontre ? Alors je le ferai tomber grâce à mon pouvoir magique parfait, et je ferai qu'il soit chassé de la vue de tes rayons ".

Le dieu auguste ouvrit la bouche : " En vérité, je marchais sur le chemin, je me prosternais dans le Double Pays, mon cœur souhaitant de revoir ce que j'avais créé, lorsque je fus mordu par un serpent que je n'aperçus même point. Ce n'est pas le feu, ce n'est pas l'eau, mais je suis plus froid que l'eau et plus chaud que le feu ; tout mon corps transpire, et je tremble ; mon regard n'est pas ferme, je ne vois plus ; et le ciel fait que l'eau inonde mon visage comme au temps de l'été ".

Isis répondit : " Dis-moi ton nom, mon divin père ! Car un homme revit lorsqu'il est appelé par son nom ". - " Je suis celui qui a fait le ciel et la terre, qui a lié les montagnes, qui a créé ce qui existe sur eux. Je suis celui qui a fait l'eau, de telle sorte que la vache nommée Mehet-Ouret put venir à l'existence. J'ai fait le taureau pour la vache, de telle sorte que la jouissance sexuelle vînt aussi à l'existence. Je suis celui qui a fait l'empyrée et les mystères des deux horizons, j'ai placé là les ba des dieux. Je suis celui qui fait venir la lumière lorsqu'il ouvre les yeux, et amène l'obscurité lorsqu'il les ferme. L'eau du Nil coule selon son ordre, celui dont les dieux ignorent le nom. Je suis celui qui a fait venir à l'existence les heures et les jours, je suis celui qui a établi la répartition des fêtes de l'année, et qui a créé le fleuve. Je suis celui qui a fait le feu de la vie, afin de donner existence aux œuvres des temples. Je suis Khepri au matin, Rê au zénith, Atoum dans le soir/ "

- Mais cela n'arrêta pas le poison dans sa course, et le grand dieu ne se remettait point.

Isis dit alors à Rê : " Ton nom n'est pas parmi ceux que tu m'as dits. Dis-le-moi donc, et le poison sortira, car un homme revit lorsque son nom est prononcé ".

Le poison brûlait de toute sa brûlure, il était plus fort que la cuisson du feu. Alors Rê dit : " Prête-moi tes oreilles, ma fille Isis, de telle sorte que mon nom passe de mon corps dans ton corps. Le plus divin des dieux l'a caché, pour que ma place soit vaste dans le navire des millions d'années. Lorsqu'il sera sorti de mon cœur, dis-le à ton fils Horus, en le liant par un serment divin, en ayant placé Dieu devant son regard ". Et le grand dieu divulgua son nom auprès d'Isis, la Grande Magicienne.

" Ecoule-toi, poison du scorpion. Sors de Rê et de l'œil d'Horus ! Sors du dieu, ô brûlant, selon mon incantation ! Je suis celle qui agit et je suis celle qui chasse. Va-t-en dedans la terre, puissant poison ! Vois, le grand dieu a divulgué son nom. Rê vit, le poison est mort ! " - Selon les mots d'Isis, la grande magicienne, la maîtresse des dieux, qui connaît Rê par son nom.

Paroles à prononcer sur une image d'Atoum, Horus le loué, une figure d'Isis et une image d'Horus, peintes sur la main du malade et qui doivent être léchées par cet homme. Cela peut être fait aussi sur une bande de lin très fin que l'on placera sur la gorge du malade. Ceci est un procédé pour agir contre le poison du scorpion. Ou bien encore, on pourra agir de même avec de la bière et du vin qui seront bus par l'homme qu'un scorpion a mordu. C'est cela qui détruit le poison. Vraiment efficace, un million de fois.
(Textes sacrés et textes profanes de l'ancienne Egypte II, traductions et commentaires par Claire Lalouette, Connaissance de l'Orient, Gallimard)

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Analyse de Rê et Isis et réflexions sur le texte

 

Méthode d'analyse des mythes

Les éléments du modèle :

La croix,
qui représente la structure
Les diagonales,
qui introduisent la mobilité
Les neufs points,
qui représentent les extémités de chaque ligne et le centre

Le fonctionnement :

- Chaque point représente une étape dans le déroulement de l'action ou du récit.
- Le déroulement chronologique commence en 1 et se termine en 9.
- Les deux extrémités de chaque ligne sont en opposition. L'opposition représente le plus souvent une différence, qui marque la progression, plutôt qu'une contradiction radicale.
- Le sens émerge au fur et à mesure de la progression.


Grille d'analyse de Rê et Isis (mythe égyptien)

Attention ! Si vous avez des difficultés à voir les grilles d'un seul coup d'oeil,
vous pouvez les visualiser au format word en appuyant sur :


Premier temps : la structure

8

RÊ COMMUNIQUE SON NOM À ISIS DANS UNE SORTE DE CORPS A CORPS

 


1

RÊ QUI VINT A L'EXISTENCE DE LUI-MÊME, QUI A TOUT CREE ET QUI CONNAÎT TOUT

 

 

 

7

RÊ SE PRÉSENTE COMME LE CRÉATEUR DE TOUT CE QUI EXISTE MAIS IL OMET DE DONNER SON NOM


2

ISIS, UNE FEMME PLEINE DE DISCERNEMENT, SOUHAITE EN SON CŒUR CONNAÎTRE LE NOM DE RÊ

 

 

9

RÊ VIT ET LE POISON EST MORT

 

6

ISIS VIENT AVEC SON POUVOIR ET SES INCANTATIONS MAGIQUES, MAIS DEMANDE A RÊ DE LUI RÉVÉLER SON NOM POUR POUVOIR LE GUÉRIR


3

ISIS FACONNE UN SERPENT AVEC DE LA SALIVE DE RÊ ET DE LA TERRE ; ELLE LE PLACE A LA CROISÉE DES CHEMINS OU RÊ A L'HABITUDE DE PASSER

 

 

5

RÊ QUI APPELLE LES DIEUX CREES PAR LUI POUR LE GUÉRIR : IL NE CONNAÎT PAS LA CHOSE QUI L'A MORDU


4

LE SERPENT MORD RÊ MAIS RÊ TRÈS ÉPROUVÉ NE SAIT PAS CE QUI SE PASSE



Deuxième temps : les images

8

LE NOM REVELE
- Dans un corps à corps
- Dans le creux de l'oreille
- Nom qui doit être révélé à Horus sous le serment du secret


1

RÊ, UN DIEU TOUT-PUISSANT
- Il est venu à l'existence de lui-même
- Il a tout créé
- Il connaît tout

 

 

7

LE SECRET GARDE SUR LE NOM
- Rê se présente comme créateur
- Mais il ne dit rien sur son nom
- Le poison ne peut être arrêté dans sa cours
e

 


2

ISIS, UNE FEMME PLEINE DE DISCERNEMENT, QUI VEUT ACCROÎTRE SON POUVOIR
- C'est pourquoi elle souhaite connaître le nom de Rê

 

 

9

LA GUÉRISON DE RÊ
- Le poison sort de Rê
- Le poison meurt et Rê vit

 

 

6

ISIS QUI DEMANDE À RÊ DE LUI RÉVÉLER SON NOM
- Elle pourra ainsi le guérir


3

UN SERPENT IMMOBILE FAÇONNÉ COMME UN TRAIT AVEC DE LA TERRE ET LA SALIVE DE RÊ
- Il est placé à la croisée des chemins où passe Rê
- Il reste immobile

 

 

5

UNE FAILLE DANS LE POUVOIR ET LA CONNAISSANCE DE RÊ
- Un être qu'il n'a pas créé (le serpent)
- Il ne connaît pas son nom
- Il n'a pas pouvoir sur lui


4

LA MORSURE DU SERPENT
- Le serpent sacré mord le Dieu
- Le feu de la vie sort de lui
- Le serpent se cache
- La question



Troisième temps : le sens

8

RË SORT DE LA TOUTE-PUISSANCE ET ENTRE DANS UNE RELATION D'AMOUR PARTICULIÈRE EN Y INTRODUISANT LA PAROLE ET LE SECRET (SACRE)

 


1

RÊ, UN DIEU TOUT-PUISSANT QUI A LA CONNAISSANCE

 

 

7

ISIS HESITE A TRANSMETTRE SON NOM POUR RÉPONDRE AU MANQUE D'ISIS


2

LE DÉSIR D'ISIS DE CONNAÎTRE LE NOM DE RÊ EST UN DÉSIR D'AMOUR : CETTE CONNAISSANCE DOIT DONNER LA PARTICIPATION AU POUVOIR DE RÊ

 

 

9

EN INTRODUISANT LA PAROLE ET LE SECRET (SACRE) DANS L'AMOUR, RÊ PEUT ÊTRE APPELÉ PAR SON NOM DANS LE RESPECT DE SON ALTÉRITÉ
- Il sort du poison du désir et de la souffrance
- Il intègre la mort en la dépassant

 

 

6

POUR ÉLIMINER LE POISON CREE PAR LE DÉSIR, RÊ DOIT ACCEPTER DE DONNER SON NOM, C'EST-À-DIRE ENTRER DANS UNE RELATION D'AMOUR
- Isis pourra l'appeler par son nom et le faire revivre


3

ISIS FACONNE UN SERPENT QUI A LA FORME D'UNE ÉCRITURE : CETTE ÉCRITURE EST FAITE POUR INSCRIRE LE MANQUE LA OU A LIEU LA RENCONTRE

 

5

UNE FAILLE CREEE DANS LA CONNAISSANCE DE RÊ, QUI EMPÊCHE L'ÉLIMINATION DU POISON DU DÉSIR ET QUI CREE LA SOUFFRANCE


4

L'INSCRIPTION D'UN MANQUE CHEZ RÊ
- L'inscription d'un manque par la morsure
- Ce manque suscite le désir, qui introduit la mort (poison) dans la vie et pose question

 

 

L'invention d'un amour qui ne détruit pas


1. Rê est isolé dans sa toute-puissance

2. Il est incapable de partager la connaissance que lui confère son Nom

3. Isis est éprise d'amour pour Rê

4. Elle désire partager la connaissance que lui confère son Nom

5. Elle imagine de créer un manque de connaissance chez lui, là où la rencontre est possible

6. Créer un manque de connaissance, c'est d'une certaine façon introduire la mort chez l'autre

7. Pour cela, on peut dire qu'elle invente l'écriture en façonnant un serpent intérieur

8. Ce serpent intérieur ou l'écriture introduit le manque chez l'autre

9. La parole aura pour rôle de dire l'écriture c'est-à-dire le manque : son propre manque et le manque de l'autre

10. Au-delà de l'écriture, la parole engage dans une relation, c'est-à-dire un échange de manque

11. En mordant Rê, le serpent inscrit en lui le manque d'Isis

12. Ce manque suscite le désir

13. En même temps, il introduit dans le désir un poison, qui renvoie à la mort et suscite la confusion et la souffrance

14. Tout le problème est de sortir d'un tel danger

15. Pour éliminer la confusion et la souffrance, il convient que chacun entre dans la parole en donnant son nom

16. L'individu pourra revivre en étant appelé par son nom

17. Ce qui constitue le poison, c'est que le manque de l'autre s'enferme sur lui-même ; c'est donc aussi que l'écriture s'enferme sur elle-même

18. Pour sortir d'elle-même, l'écriture doit se transformer en parole : autrement dit la parole doit dire ce qui manque à l'autre

19. Cela revient à entrer dans un don réciproque de soi, mais dans une relation d'amour particulière, qui implique non seulement la parole mais aussi le secret : il faut dire son nom et, en même temps, révéler ce que ce nom a d'indicible et de sacré

20. La parole qui dit le nom permet d'appeler l'autre par son nom et donc de le recréer dans son individualité intime et secrète

21. En provoquant la distance, la parole restitue au manque sa place, qui est de faire vivre le désir pour susciter l'amour

22. Dans l'un et l'autre cas, la parole qui appelle au respect du mystère de l'autre et à la reconnaissance de son altérité irréductible, contribue à détruire le poison inscrit dans le désir avec le risque de confusion et de perte de repères ; en même temps, elle permet de sortir de la souffrance

23. Ainsi en introduisant la parole et le secret (sacré) dans l'amour, on construit un amour qui ne détruit pas

24. Cet amour permet d'intégrer la mort en la dépassant

25. Rê, à ce niveau, est définitivement sorti de la toute-puissance

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Réflexions à partir de Rê et Isis

 

http://www.egyptos.net/img/dieux/

Réflexions à partir de " Rê et Isis "


Le mythe de Rê et Isis est d'une richesse si extraordinaire qu'il paraît utile de revenir sur les points les plus importants que l'analyse a fait ressortir. Nous assistons à une genèse de la pensée, en ses premiers moments. Il y a là une contraction extrême, qui laisse entrevoir de multiples pistes pour la compréhension du monde et de l'homme. Nous en avons retenu quelques-unes pour alimenter la réflexion des uns ou des autres.

De la toute-puissance à l'amour

Rê est le dieu, qui a créé le ciel et la terre et tous les êtres vivants. Il est même à l'origine de sa propre existence, ce qui rappelle la désignation du Dieu de la Bible : " Je suis celui qui suis ". Autrement dit, il est l'Être par excellence. Et pourtant, Isis décèle une faille dans cette toute-puissance : il manque l'Amour. Il n'y a pas encore, chez Rê, équivalence entre Être et Aimer. En dépit des apparences, le plus grand des dieux est, en même temps, dans la connaissance suprême et dans une extrême solitude. Et l'on voit déjà poindre la plus grande tentation de l'homme aspirant à la connaissance. Isis aspire aussi à la connaissance, mais pour elle le mot " connaissance " a déjà changé de sens : il s'agit de la connaissance qu'engendrent la relation à l'autre et l'amour.

La mort comme force créatrice

A première vue, la déesse paraît sombrer dans la folie. Elle veut recréer le dieu suprême, le faire accéder à un niveau supérieur, en l'amenant à sortir de sa toute-puissance. Et comment va-t-elle s'y prendre ? Elle imagine d'introduire la mort dans son existence sans faille. Une telle idée est insensée. En réalité, elle sait déjà que la mort est aussi une force créatrice capable de promouvoir la vie jusqu'à son point décisif. Elle est comme Ève, face à l'arbre de la connaissance. Par son geste qui transgresse un interdit, Ève introduit la mort dans la création. Mais en agissant ainsi, elle permet à l'homme en devenir de passer de l'animalité à l'humanité. Peut-être la compréhension du mythe de Rê et Isis peut-elle nous amener à approfondir l'interprétation habituelle du mythe de la chute, qui ne s'est pas dégagée des apparences du récit.

Le serpent, la mort, le manque et le désir

Comme dans la Bible encore, c'est le serpent qui introduit la mort dans la création. Son poison est mortel, au moins en apparence. Rê est surpris. Il croyait sa connaissance parfaite et le voilà surpris par l'inconnaissable ; il ne peut connaître la mort qu'il n'a pas créée. Son cœur brûle, son corps tremble et transpire, son regard se disperse, sa vue se brouille et son esprit lui-même entre dans la confusion. Chez le maître de l'univers pourtant, la vie ne peut être totalement détruite. Alors la mort s'inscrit en lui sous la forme du manque. Il entre dans la question, s'interroge et interroge son entourage. Subitement, sous l'effet du manque, le désir fait son apparition. Il désire connaître ce qu'il ne connaît pas et trouver la guérison du mal qui l'accable. Toute la figure du serpent, qui parcourt les grands Livres de l'Univers, se décline ici dans toute sa richesse. Le mot venin vient lui-même d'un terme sanscrit qui signifie désirer. Il a donné naissance à Vénus, la femme la plus désirable du monde. Dans les temps les plus anciens, les hommes savaient déjà que le désir est associé à la mort.

La souffrance et la limite de l'homme

A travers le manque, le désir engendre la souffrance. Selon l'étymologie, la souffrance est une offrande, une forme de sacrifice, qui souligne l'impuissance de l'homme lorsque la vie fait défaut. Rê se croyait tout-puissant. Maintenant, dans la perception de la limite que porte la mort, il fait une chute et dégringole de sa toute-puissance. Il avoue sa fragilité, sa faiblesse. Les interprètes parlent de la chute de l'homme dans la Bible. Ils semblent avoir arrêté leur interprétation en pleine découverte. Ce n'est pas simplement l'homme qui chute, c'est Yahvé lui-même qui perd sa toute-puissance, dès le début du Livre Saint. D'emblée, il se présente comme un être vulnérable car il lie son sort à celui de l'humanité.

La naissance de l'altérité

La souffrance, sous sa forme la plus épurée, est celle d'un accouchement. Elle semble être faite pour accoucher de l'autre. L'être tout-puissant se suffit à lui-même. Lorsque la souffrance est là, il perd de sa superbe et fait sa place à l'autre. Rê appelle au secours ses propres enfants, des dieux comme lui. Il inscrit sa vulnérabilité dans sa filiation. Comme Abraham, en sacrifiant sa toute-puissance au cœur de sa souffrance, il trace un avenir original et irremplaçable pour chacun d'entre eux. Mais il semble aller plus loin encore. Le sens s'inverse. Il appelle au secours. Il n'est pas fini. Il a besoin d'être recréé par l'autre car jusqu'ici, il lui manquait le manque et le désir, il lui manquait la mort. Plus simplement c'est l'Autre qui lui faisait défaut.

L'inscription de la mort dans l'écriture

Le serpent est façonné comme un trait, un trait d'écriture. Sous sa forme la plus fondamentale, l'écriture creuse l'homme (le mord) pour y inscrire la mort. Chacun aura compris qu'elle laisse sa marque en l'homme avant de s'étaler sur le papier ou le parchemin. Elle est précisément le signe et le rappel symbolique que la force de mort est une force créatrice qui doit nous faire vivre au-delà de nous-mêmes. Rê porte maintenant en lui l'écriture de la mort, comme une semence, et cela jusqu'à la fin des temps. A travers le manque et le désir, l'écriture offre une place à l'inconnu. Son trait est fait pour relier à l'autre et plus amplement encore pour relier l'origine et la fin. Il ne saurait y avoir de fin en dehors de l'Autre. La Parole, à son tour, va établir un lien avec la mort, comme la plante tirant sa vie d'une graine féconde, car elle s'enracine dans l'écriture qui lui donne naissance. Toute l'écriture se résume en une formule simple : la mort est une force créatrice de vie car elle est là pour creuser la place de l'Autre.

La parole et la transmission du nom

Dans le mythe de Rê et Isis, la parole née de l'écriture est d'abord appel au secours puis elle se présente sous la forme d'une transmission et d'un échange de noms. Autre manière de dire qu'elle est liée à la filiation et à toutes les relations qui vont en découler. Elle prend naissance dans un corps à corps pour bien souligner le lien essentiel qui la relie à l'écriture. Comme le serpent, l'écriture commence par se cacher non pas dans les roseaux mais dans le corps lui-même. Elle est là pour faire surgir la parole et c'est à ce surgissement que nous assistons dans le mythe. Le passage se fait par les oreilles : " Prête-moi tes oreilles de telle sorte que mon nom passe de ton corps dans mon corps ". Et le but de cette transmission qui fonde la Parole est une recréation ou la continuation de la création elle-même car " l'homme revit lorsqu'il est appelé par son nom ". En appelant Rê par son nom, Isis le fait accéder à un niveau supérieur. Le nom inscrit dans le corps de Rê possédait des virtualités qui étaient en attente parce qu'elles n'avaient pas encore été actualisées par un autre. Il fallait l'appel de l'Autre pour qu'elles déploient toute leur richesse à travers la parole.

Le secret marqué par le sacré et l'absolu du sujet

Le nom ici est enveloppé de secret et donc de sacré car les deux mots ont une origine assez proche, qui exprime la séparation radicale entre les êtres : non seulement entre les hommes et Dieu mais aussi entre les hommes eux-mêmes. S'il est transmis à Horus, le nom doit continuer à rester caché sous le sceau d'un serment. L'alliance passe par l'engagement à respecter le nom de l'autre, c'est-à-dire à respecter son identité profonde. Il y a chez tout homme un sacré incommunicable qui définit son altérité radicale et ce sacré permet la relation de parole. De manière plus décisive encore, c'est lui qui fonde l'absolu du sujet.

La genèse d'un Dieu d'amour impliquée dans la mort de l'homme

Dans le mythe de Rê et Isis, il est évident que, pour Rê, la relation de parole avec les autres implique la sortie de la toute-puissance et donc le passage par la mort, même si cette mort est impuissante à détruire la vie elle-même. On assiste là au passage d'un dieu tout-puissant à un dieu d'amour. L'Être, au sens fort du terme, ne signifie plus seulement la capacité de se donner l'existence : il signifie aussi et essentiellement "Aimer dans le respect de l'altérité radicale de l'autre"

Or, si Dieu, dans la Bible, est Amour, et s'il décide d'associer l'homme à cet Amour, il s'engage dans une nouvelle genèse assez semblable à celle de Rê. La mort de l'homme, même dans ses égarements extrêmes, l'affecte très intimement. Il est amené à faire sienne une telle mort pour maintenir sa relation d'Amour. Il est engagé dans une genèse nouvelle constamment marquée par les déploiements variés de la mort dans l'histoire de l'humanité. D'impassible selon la philosophie grecque, le Dieu de la Bible est devenu un Dieu qui souffre avec les hommes.

Toutes les intuitions exprimées ici nous viennent directement d'un seul mythe, vieux sans doute de quatre millénaires

 

Café du 17 février 2007 sur Rê et Isis

Notes prises par Charles Lallemand


Le mythe porte sur Rê, l'Être par excellence, le dieu qui non seulement a crée le ciel et la terre mais qui est à l'origine de sa propre existence. Ce mythe porte tout autant sur Isis et ce qui va se passer entre eux deux.

Rê, c'est "Atoum" qui, en arabe, signifie le feu, le foyer sur lequel on chauffe et cuit les aliments.

"Parole du dieu", en arabe Dieu est la Parole. Ici ce qui va être dit, ce sont des paroles divines, non pas au sens religieux mais au sens du mythe qui lui est antérieur, des paroles fondatrices. Le mythe exprime des fondamentaux, ce qu'on n'a pas compris jusqu'au XXième siècle parce qu'on mettait les faits bout à bout et qu'on allait y chercher des éléments historiques, sociologiques.

Ces paroles s'adressent à des gens qui y croient. Ce sont comme des prières, des incantations dont la synthèse est donnée par le personnage principal présenté là, Rê. La personne qui dit le mythe : ne me demandez pas d'explication, c'est comme ça. Au delà de la croyance et de la non croyance. Interrogation par rapport à un fait brut. Vision poétique qui n'est pas une explication scientifique comme le dieu horloger de Voltaire ou celui des disputes entre créationnistes et évolutionnistes. Jusqu'à Akhenaton qui vers 1350 introduit le monothéisme avec le culte unique d'Aton, dieu solaire figuré par un disque d'or lumineux, nous sommes dans le pur symbolisme: les égyptiens "adorent" le soleil au sens étymologique de ad-orare "s'adresser à, se tourner vers"; ce n'est pas le soleil qu'ils adorent mais Rê représenté dans le soleil. Ce dieu est venu à l'existence de lui-même, il est sa propre cause, causa sui, la définition même de la liberté dont nous, les humains, nous ne sommes pourvus qu'en partie; car contrairement à ce que laisse entendre la paranoïa de l'individualisme actuel, "nul n'est à l'origine de soi"; les lois, les limites, les institutions, c'est avec elles que nous construisons notre autonomie, nous les recevons avant de nous les approprier, nul ne peut se croire "auto-référentiel" (Olivier Rey Le fantasme de l'homme auto-construit). Quant au dieu, il a aussi ses limites mais au delà de ce que le temps et l'espace nous aident à concevoir; ce sera le paradoxe de Zénon : quand Achille a fait un pas pour rejoindre la tortue, celle-ci en a fait un aussi, certes de plus en plus petit mais qui n'arrivera jamais à la limite, pas plus qu'Achille n'arrivera à la rejoindre, il ne peut que la dépasser, il ne la rejoint que dans l'infinitude. C'est ainsi que se définit un nombre, quel qu'il soit, s'il est réel: un nombre a une limite, et c'est dans cette mesure qu'il est infini.

La venue à l'existence de ce dieu Rê-Atoum, c'est un passage de la puissance à l'acte par le désir. À la différence du Nouou qui est indifférencié, un être des possibles qui n'a pas de corps, Atoum a un corps et ...la parole.

D'abord il n'est pas nommé: "Paroles du dieu"; nous apprenons ensuite qu'il possède beaucoup de noms. Dans le Coran de même, Dieu possède 99 noms, attributs, "les Noms les plus beaux lui appartiennent"(sourate LIX,24) dont le Nom: "Il est Dieu! Il n'y a de Dieu que lui. Lâ ilâha ilâ Allah", Nom qui demeure secret, "Il ne montre à personne le secret de son mystère"(sourate LXXII,26) sauf à ceux qui y croient ; pourquoi? Parce que "connaître le nom" ce peut être la transmission d'un pouvoir, un"dynamisme"d??aµ?? et la nomination une domination ; ainsi Adam continue la création : il est nommé, et il impose leur nom aux animaux "Dieu les amena à l'homme pour voir comment celui-ci les appellerait: chacun devait porter le nom que l'homme lui aurait donné."(Gn2,19-20)

Ici Rê est nommé quand apparaît Isis, à l'égal de Rê quant à la connaissance du ciel et de la terre mais sans pour autant connaître son nom, elle n'est donc pas au sommet de l'Ennéade, elle n'a pas le pouvoir. Or il apparaît que son désir à elle de connaître le Nom n'est pas un désir de domination, "le Calife à la place du Calife", mais une démarche d'amour, "elle souhaitait en son coeur..." qui lui fait percevoir que Rê bien que le créateur, n'est pas tout puissant ; d'un grand âge, il est à la croisée des chemins, vulnérable à la mort. La recherche du Nom n'apparaît donc pas ici comme une recherche d'identité, une recherche de l'Être mais un désir de relation ; Iris est amoureuse de Rê ; c'est le sens dans la Bible de (Joël 3,5) "Quiconque invoquera le Nom YHWH sera sauvé", un désir d'amour.

Pour elle, le nom ce peut être aussi, comme l'écrit Pierre Legendre "une manière de se débarrasser du regard, nous ne sommes plus sous la fascination. La ligne, en généalogie, se traduit par un nom et cela déjà la situe dans la perspective de l'institution de l'image et de l'imaginaire, du côté de tout ce qui en principe est là pour endiguer le trop de narcissisme" (L'inestimable objet de la transmission p.58). C'est ainsi qu'Iris entre dans la généalogie de Rê-Atoum, dans la grande Ennéade. Aujourd'hui des associations comme "Nés sous X" revendiquent le droit de connaître le nom de leur géniteur alors que la loi jusqu'à présent maintient l'anonymat, peut-être pour éviter des différends entre le mari de l'épouse et le géniteur sur la présomption de paternité. Mais comme le faisait remarquer un membre de cette association, ce qui est grave ce n'est pas que l'un ou l'autre ne puisse pas contester, c'est que cela se passe dans le secret et finalement dans le non-dit. Que chacun souhaite connaître son géniteur, quoi de plus normal, mais cette question du géniteur reste secondaire ; la loi biotique de 1994 se fonde sur le dogme "un père, une mère, pas un de plus, pas un de moins" mais ce n'est pas l'essentiel ; comme l'observe encore Pierre Legendre p.134 , "le concept de génération doit être distingué de la notion de création réservée à Dieu...L'engendrement humain, l'institution de la multiplication, se place en seconde ligne : la reproduction sexuelle est une procréation, non pas une création : Deus creat, non parentes, mot-à-mot Dieu crée, non les parents. En terme de structure, cela veut dire que l'espèce prime les géniteurs: ceux-ci sont délégués, la reproduction est au compte de l'espèce." Cela signifie aussi que la paternité ce n'est pas un état mais une fonction et en ce sens une représentation, l'institution de l'image du père "sur le registre non pas de la réciprocité contractuelle entre le père et le fils mais sur celui de la permutation symbolique du fait de la dissymétrie entre deux places (qui mobilisent par ailleurs trois personnes, père de mon fils et fils de mon père)...qui met tous les pères au même rang de fiction. Négliger ce mécanisme, cette machine sociale à fabriquer de la paternité, c'est réduire la problématique père-fils à une problématique purement familiale, et la paternité à la propriété des familles, voire des pères qui seraient alors eux-mêmes des souverains" (p.304). La filiation n'est pas un monopole familial, elle assujettit la famille à l'espèce et situe l'enjeu incestueux au niveau du gouvernement de l'espèce (p.106). Car la filiation n'est pas un fait brut, elle ne se situe pas au niveau de la vérité biologique mais de la vérité juridique, théologique ou politique, elle est une construction de discours, un phénomène de pensée. "Qu'est-ce qui peut fonder, dans l'absolu ? Ce ne sont pas des parents, qui fondent une famille, rien de plus. Qui peut se dire père, dans l'absolu ? Aucun père, dans aucun système, n'aurait statut de père, s'il ne tenait sa qualité d'un enchaînement de références juridiques, tombant finalement en impasse. L'impasse, voilà la réponse. Mais nous savons que cette impasse a un sens logique, nous savons qui ferme l'impasse: c'est le répondant absolu, un signifiant: la République, Dieu, le Peuple, des noms du Père absolu. C'est cette articulation qui a été et demeure mythologique. Aucune société ne peut faire l'économie d'une mythologie quand il s'agit de fonder, non pas une règle particulière dans l'ordre du système, mais de fonder ce qui fonde le système, selon une perspective d'absolu" (p.172). D'où la fonction du mythe pour entrer dans "l'ordre symbolique" de la filiation et ouvrir à la parole : non pas "un homme, une femme ensemble", mais soumis à la parole vivante.

Le serpent sacré. Dans les religions monothéistes, nous avons collé le "sacré" à la parole ; le sacré renvoie à l'origine; mystère du secret, de ce qui est caché, à la différence du profane hors du temple. Quant au serpent, c'est celui qui introduit la mort ; ici sous la forme d'un "trait prêt à s'élancer" : c'est l'écriture. L'écriture est mentale avant d'être écrite et elle n'est faite que pour être lue ; quand il n'y a pas de lecture, il n'y a pas d'écriture. Le mythe c'est aussi cela, µ???? : tout ce qui est dit par la bouche et qui vient au langage, ce dont il est question. ?crire: ???fe??, graben en allemand = creuser, graver, introduire le manque et la parole, la lecture qui va dire le manque. L'écriture introduit le manque parce qu'elle introduit à l'ordre symbolique. Comment notre corps est engagé dans l'écriture ? (cf. Jean Berges). Quand l'enfant en fin de maternelle apprend à lire, écrire, c'est sur le corps de sa mère ; ces lettres sont des traces, des dessins, il écrit des boucles, un serpent, langage érotisé : "tu fais une jambe, une bosse ; c'est mon stylo qui écrit mal, prolongement du corps". À un moment, il abandonne le dessin de la lettre, il va sortir de l'image pour que la lettre apparaisse ; le "S"ce n'est plus le serpent, c'est ce qui est lu quand j'oublie l'image et il y a des "s" que je dois accepter de perdre parce qu'ils ne se prononcent pas. Faire apprendre les syllabes, les lettres, les mots par des images, c'est arrêter le processus du rapport au symbolique ; on vient suturer, adapter, guérir alors que ce n'est pas de suture qu'il s'agit mais de coupure.

"La croisée des chemins": on va croiser la vie et la mort. Atoum est entièrement dans la vie et de ce fait il est vulnérable à la mort, elle a pouvoir sur lui. Le feu et la vie sortent de lui. Il a été mordu par le serpent dont le venin pénètre sa chair. Le venin agit tel le désir : venes-nom "philtre d'amour" (venes?Venus). Sa première parole, c'est un cri, "l'effroyable cri", celui d'abord du nouveau-né! Ensuite c'est le questionnement de son Ennéade pour l'aider à parler, à dire non pas la mort, il ne la connaît pas, mais sa souffrance qui lui révèle qu'il a peut-être tout crée -sauf le serpent- mais qu'il ne voit pas tout ; il n'a pas vu le serpent parti se cacher dans les roseaux de son inconscient et qui lui échappe. C'est heureux qu'il ne voie pas tout : "Si mon père voyait tout, ce serait une sorte d'ogre."

Horus et Atoum : non pas plusieurs personnes mais plusieurs attributs du même dieu. Il sort pour voir ce qu'il a crée " comme on dirait de deux amoureux "ils sortent ensemble, ces deux là". Il se raconte comme dans une sorte de dédoublement, comme l'enfant devant le miroir qui prend peu à peu conscience de lui-même, de son "domicile subjectif", qui le crée.

Iris possède le souffle de vie et c'est elle aussi qui place le serpent à la croisée des chemins de la vie et de la mort, tel le f??µa??? qui peut être aussi bien poison que médicament. Elle amène Rê à sortir de son bavardage, à faire silence pour arriver enfin à se dire lui-même dans une véritable opération de transfert où la parole est transmise de façon très corporelle, orale, de bouche à oreille, tel le mythe, comme nous l'avons vu, tout ce qui est dit par la bouche et dont il est question. Et c'est cette transmission de la parole qui va faire que l'amour d'Iris pour Rê, son philtre d'amour de magicienne, ne sera pas un poison ; car à l'inverse, l'amour devient un poison s'il n'y a pas de parole dans l'amour.

Cette transmission se fait dans le creux de l'oreille, dans le secret. Pourquoi le secret ? En arabe, ce que je n'arrive pas à te dire tellement c'est "incommunicable", je te le transmets dans le mystère, ce qui va te ménager un espace, ton espace, l'espace de l'Autre et ...réaliser ainsi la communication.

Ce secret ici ce serait la mort. Le terme de "mort" n'apparaît à aucun moment dans le texte mais il se cache comme un rébus dans la "morsure". La mort est secret et sacrée au sens où c'est la mort qui opère la séparation entre les choses et les êtres: ton nom n'est pas mon nom.

Dans l'Égypte ancienne, la mort faisait de leur roi leur dieu.

La mort, c'est un corps qui bascule dans une di-mension que je ressens, physique, une autre dimension, quelque chose d'énergique, un partenaire de la vie. En service de réanimation le visage se transforme, se détend, une tension disparaît.

On meurt, c'est un fait biologique. Freud disait qu'il est impossible de se représenter sa propre mort. Avec les nouvelles technologies on n'accepte plus de mourir. Parler de nos morts, reconnaître leur place; antecessores "ancêtres", ils nous précèdent. Être partenaires et non ennemis. Lâcher prise: reconnaître la mort, c'est accepter de ne pas tout maîtriser.

Atoum, il renonce à son autosuffisance, à lui-même en divulguant son nom, il découvre l'altérité et du coup sa vie devient autre.

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