Identité nationale et immigration




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Identité nationale et immigration


Nicolas Sarkozy a jeté un pavé dans la mare en parlant d'un Ministère de l'immigration et de l'identité nationale. Il va sans dire que l'idée d'un ministère de ce type, par les références qui le sous-tendent, était tout à fait contestable. Dans le pire des cas, elle rappelle les pratiques du gouvernement de Vichy, qui en venait à dénationaliser des Juifs, sous prétexte qu'ils ne correspondaient pas à l'idée que l'on se faisait de la France : c'était une forme de dé création, une injure faite à l'humanité.

Mais l'idée d'associer identité nationale et immigration paraît être une ruse de l'inconscient : quoi que nous fassions, quoi que nous disions, nous appartenons tous à la même humanité et l'inconscient finit par le rappeler. L'identité nationale est en effet très directement liée à l'immigration.

Contre l'exclusion, accepter le paradoxe

Paradoxalement, il ne peut exister de nation sans immigré. L'immigré apporte la différence sans laquelle la nation ne peut pas vivre. Peut-être les difficultés que nous avons aujourd'hui tiennent-elles en partie à cette absence. Les trois valeurs républicaines, liberté, égalité, fraternité, structurant la nation française, semblent marcher à cloche-pied ; il manque la différence, ouvrant une place à l'étranger ou à l'immigré. L'identité est faite de similitude et d'altérité : je suis moi-même mais je suis aussi un autre, un être de relation. L'altérité est inscrite au cœur de mon être d'homme. Contrairement à ce qui a été dit, nous avons besoin de l'Afrique, sous ses différentes composantes ; elle nous apporte l'hospitalité. Si d'emblée l'hospitalité réglait nos rapports avec les nations du sud ou de l'est et avec leurs habitants, il serait beaucoup plus facile de trouver des solutions aux problèmes de l'immigration car chacun serait amené à respecter l'autre, à l'aider, à lui offrir l'asile en cas de nécessité, à l'accueillir de manière temporaire, à respecter les règles qu'impose le vivre ensemble.

Pour des êtres de parole, il n'y a pas d'identité toute faite

Créer une identité c'est donner un nom, c'est entrer dans l'espace de la parole et de la création. Le nom est fait de valeurs, mais il est aussi fait d'incomplétude. Il est en même temps un point d'appui et un projet à réaliser, un manque que la dynamique du désir devra combler. Il n'y a donc pas d'identité toute faite. En un sens chacun a la responsabilité de créer son identité et de créer l'identité des réalités dont il a la charge. Et les autres, dans le jeu des relations, sont aussi responsables de leur devenir.

Babel nous montre que la volonté d'enfermer l'identité d'un groupe conduit à la destruction de la parole : plus personne n'écoute et ne comprend ce que dit l'autre. Mais en réalité il n'y a pas d'autre. Autrement dit, c'est l'autre qui fait naître la parole. L'étranger et donc l'immigré ont ce privilège insigne de nous apporter la parole pour que nous construisions ensemble notre identité et en particulier notre identité nationale.


Le projet de vivre ensemble avec l'autre

La nation est donc non seulement le projet de vivre ensemble : elle est le projet de vivre ensemble avec l'autre. L'autre et donc l'immigré a une place essentielle : il doit contribuer à faire de la France une terre d'hospitalité. Il crée du vide pour que le groupe ne s'enferme sur lui-même et ne finisse par s'étioler. Sa mission est de nous ouvrir les bras pour accueillir ceux qui frappent à la porte. Il porte la miséricorde au moment où la crispation sur notre identité nous ferme le cœur. Sans doute avons-nous le droit de nous protéger et de contrôler nos frontières. Mais ce droit ne trouvera sa juste place que là où est l'hospitalité car l'hospitalité a des règles qu'elle seule peut faire respecter. Ce devrait être, en tout cas, notre pari d'humanité.

La culture ou l'interaction entre différentes cultures

Comme la nation elle-même, la culture française qui la fait vivre n'est pas une réalité figée dans le passé. De tout temps, elle s'est enrichie de cultures qui venaient d'ailleurs et qui conservent leurs traces dans les cultures locales. Mais notre excès de centralisation contribue aujourd'hui à les asphyxier et conduit à une purification culturelle assez proche de la purification ethnique. L'immigré arrive avec sa culture. Nous voudrions qu'il y renonce pour entrer dans la nôtre. Il nous apporte un cadeau inestimable et nous finissons par le rejeter. Son intégration dans la nation française est pourtant impossible si nous n'acceptons pas de nous confronter avec sa propre culture pour élargir la nôtre et la sienne, dans le même mouvement. C'est à ce prix qu'il pourra trouver sa place et conforter celle de tous.

Un morceau d'humanité pour engendrer des sujets

Dans l'étymologie du mot nation, il y a la naissance et l'engendrement. La nation est un espace, un morceau d'humanité où nous sommes appelés à naître et à renaître. Son ambition est de fabriquer des hommes, mêlant l'universel et le particulier, donnant une coloration régionale à celui qui a pourtant vocation à devenir citoyen du monde. Mais grâce à l'immigré qui est la figure de l'autre, elle est appelée à faire plus encore : elle doit engendrer des sujets caractérisés par leur hospitalité et leur aptitude à faire une place à l'étranger.

Etienne Duval
Le 24 avril 2007


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