Israéliens et Palestiniens

dans un passage dangereux




Vue de Jerusalem

http://www.harissa.com/D_Communautes/Israel/israel.htm

Israéliens et Palestiniens, dans un passage dangereux

Une médiation nécessaire pour sortir d'un cycle infernal

 

Il est difficile de parler du conflit israélo-palestinien : les nerfs sont à vif et les souffrances trop profondes. C'est donc avec un infini respect qu'il faut aborder un tel sujet. Mais, en même temps, il serait criminel de se taire car il y va de la survie de populations en grand danger et de la paix du monde. Comme l'exprime Pascal Boniface dans un excellent article de Confluences Méditerranée du 15 mai 2007, " Proche-Orient et élection présidentielle 2007 ", il est important que le Président de la République nouvellement élu prenne la mesure d'un tel problème pour agir en conséquence.

Israël aux prises avec la Shoah

Israël n'en a pas fini avec la Shoah. Qu'on le veuille ou non, elle est au fondement de l'État. Un cataclysme, une souffrance extrême, une traversée de la mort constituent le socle de cette nouvelle expérience, initiée en 1948. C'est pourquoi les Juifs du monde entier ont eu l'intuition que leur identité s'en trouvait radicalement modifiée et que la promesse d'un avenir radieux se profilait à l'horizon, avec l'ancrage sur une terre et le renoncement au statut de victime. Sans doute y a-t-il, en même temps, dans une telle perception, une part d'utopie et une part de vérité. Mais cela suppose que la Shoah soit intégrée. Or le travail de deuil n'arrive pas à se faire et la prise de distance par rapport au supplice passé est rendue difficile par une présence encore importante d'anciens déportés. Les comportements politiques en sont lourdement affectés : toute agression est insupportable et engendre des réactions démesurées pour se défendre, transformant en camps retranchés les territoires palestiniens.

Renforcement des communautarismes et manichéisme

C'est le passé de souffrances associé à un avenir prometteur mais c'est aussi l'attachement à la terre qui constitue l'identité de la communauté. Pour s'approprier cette nouvelle identité, les Juifs de France mais aussi ceux du monde entier ont tendance à prendre parti pour l'État d'Israël, ne se rendant pas compte qu'ils opèrent ainsi une régression du politique en revenant au communautarisme. De la même façon les Arabes, qu'ils soient de France ou d'ailleurs, compatissent aux souffrances des Palestiniens dépossédés d'une partie de leur terre. Les Israéliens, par les performances qu'ils ont réalisées sur des sols arides, en ont révélé le prix inestimable, et inconsciemment chacun veut avoir en partage l'avenir radieux qui semble petit à petit prendre forme. Communautarisme juif et communautarisme arabe finissent par se faire face, engendrant un manichéisme où celui qui n'est pas avec soi est contre soi. Les soupçons et les accusations de racisme et d'antisémitisme deviennent insupportables.

La violence circulaire, qui engendre la mort

Palestiniens et Israéliens, aspirant à la même terre, se comportent comme des frères soucieux de capter l'héritage des parents. C'est une sorte de lutte à mort, qui s'engage entre eux, car chacun cherche à défendre son identité attachée à la terre. Mais de quelle terre s'agit-il ? Les frontières ont en partie disparu à partir de 1967 et depuis la constitution de nombreuses colonies, si bien que chacun veut posséder ce que l'autre réclame. Parce que les frontières restent confuses, la lutte de chacun pour sa propre identité est sans issue et engendre d'incessantes violences porteuses de mort. Le mythe grec de Déméter et Perséphone avait déjà perçu une telle difficulté. Déméter n'a pas supporté d'être séparé de sa fille Perséphone, que le dieu Hadès avait emmené pour en faire sa femme. Le partage de la Terre avec un autre apparaissait comme une atteinte à son identité et plus encore comme une descente aux enfers inacceptable.

Une médiation s'impose pour sortir du cycle infernal de la violence

Dans le mythe grec, il fallut passer par Hermès, le médiateur par excellence, pour résoudre la crise : il donna satisfaction, en même temps, à Déméter, la mère, à Perséphone, la fille et à Hadès son nouveau mari. Dans la Bible, il y a aussi l'exemple extraordinaire du Jugement de Salomon. Une lutte sans issue entre deux femmes avait pour objet un même enfant que chacune réclamait. Salomon fit mine de le partager à tel point qu'une des femmes préféra s'en séparer plutôt que de le voir voué à la mort. C'était elle la vraie mère que la parole de Salomon finit par désigner. Ces deux exemples montrent à l'évidence qu'une violence circulaire, comme celle qui oppose Israéliens et Palestiniens, ne peut être résolue sans l'intervention d'un tiers impartial.

La médiation des États-unis ou le risque de transformer un conflit local en choc de civilisations

Les États-unis sont trop proches d'Israël pour jouer le rôle d'un médiateur impartial. Ils ont tendance à tout analyser à partir du schéma simpliste de la lutte pour la démocratie. Comme Israël a apparemment un gouvernement démocratique, ce sont donc les Palestiniens qui sont coupables : leur action pour se défendre est univoquement recouverte du voile du terrorisme. En l'occurrence, le voile du terrorisme contribue fortement à cacher la vérité et empêche de voir, de manière précise, ce qui est en cause.

Ce qui est en cause, ce sont les frontières et les territoires. La France, avec l'appui de l'Europe, parce qu'elle semble plus impartiale que les États-unis, pourrait faciliter le retour aux frontières de 1967, avant la guerre des six jours.

Ouvrir l'espace de la vie entre communauté et société

La situation actuelle du Moyen Orient montre, sans équivoque possible, que l'enfermement dans la communauté est mortifère. Or au-delà de la communauté qui rattache aux origines, il y a la société plus universelle qui rattache aux projets. Le sujet ne peut se constituer favorablement et la parole ne peut réellement prendre forme que dans l'espace intermédiaire entre communauté et société. Mais comment permettre aux Palestiniens de marcher sur leurs deux jambes sans un État viable ? Il devient urgent de favoriser la constitution d'un tel État si l'on veut sortir de la violence destructrice. En même temps il est fortement souhaitable que l'État d'Israël lui-même soit reconnu dans des frontières précises par tous les pays du Moyen Orient, ce qui suppose le retour rapide aux frontières de 1967, avant la guerre des six jours.

Le nécessaire renoncement à la toute-puissance

Israël se trouve dans la position d'Abraham, il y a plusieurs milliers d'années. Abraham était un vrai père, un père autoritaire qui avait le sens de l'honneur. Isaac, son fils adolescent, le trouvait un peu dur d'oreille : en tout cas, le fils n'avait pas droit à la parole. Or priver un enfant de la parole, c'est le condamner à mort. C'est en effet ce qui risqua de se passer. Pour obéir à un rite dont il ignorait le sens, le père emmena le fils et son âne vers une destination encore inconnue dans le but d'offrir un sacrifice à Yahvé. A un moment donné, le pauvre Isaac prit peur. Il dit : " Je vois bien le feu et le bois du sacrifice, mais où est l'agneau ? ". Abraham faillit perdre sa grande assurance. L'émotion le troubla. Il répondit : " Dieu y pourvoira ". Arrivé sur la montagne de l'holocauste, le père dressa l'autel et y installa son fils à la place de l'agneau. Son bras se leva avec le couteau prêt à égorger, mais au moment de l'abaisser, il sentit une force le retenir. Un bélier dont les cornes étaient enchevêtrées dans un buisson était là tout près de lui. Dans un éclair d'intelligence, il reconnut sa toute-puissance qui le mettait en difficulté avec le buisson de Dieu. Aussitôt Abraham délia le fils, plaça le bélier à sa place et sacrifia sa toute puissance pour donner à Isaac le droit à la parole. Aujourd'hui Israël se trouve affronté à un excès de pouvoir. Il y a eu la guerre des six jours et la prise de conscience d'une force sans équivalence dans la région. Le recours à cette force permet de régler les problèmes. Mais, de jour en jour, le pauvre Palestinien risque d'y laisser sa peau. Or des voix, depuis plusieurs années, interpellent le pouvoir trop sûr de lui. Déjà il sent une force retenir son bras : c'est la force de la conscience. Puisque le vieux père Abraham a épargné son fils, Israël aujourd'hui n'a plus le choix : il doit épargner Ismaël en renonçant à sa toute-puissance.

L'identité juive ou le temps du passage

Si l'histoire, dans sa dimension mythique, conserve une part de vérité, le Juif n'a jamais été autant lui-même que lorsqu'il a fallu effectuer des passages : il est l'homme du passage et, en ce sens, il est profondément humain. Israël a traversé la mer rouge et le désert pour acquérir sa liberté. A ce moment crucial de son histoire, il est aussi acculé à un nouveau passage : passer de la violence à la parole pour donner sa place au Palestinien dans le partage de la terre et des mots (maux). C'est ainsi qu'il est appelé à réinventer l'homme après le drame de la Shoah.

L'écoute de la parole, qui guérit

Mais auparavant, Israël doit écouter Shéhérazade des Mille et une nuits pour guérir de la blessure qu'il n'arrive pas à refermer. Il y avait un roi, trompé par son épouse, qui était incapable de sortir de sa souffrance. Chaque nuit, il recevait une femme dans son lit, mais il la faisait tuer le matin pour ne pas endurer une nouvelle trahison. Shéhérazade eut l'idée de l'épouser pour affronter le mal qui continuait à le terrasser, malgré lui. Au petit matin, elle lui racontait des histoires qu'elle laissait inachevées pour réveiller son désir d'écouter et de vivre. C'est ainsi qu'il remettait sans cesse au lendemain la mise à mort de sa compagne. Shéhérazade, de jour en jour, lui décrivait des souffrances beaucoup plus dramatiques que celle qu'il avait lui-même endurée. Le roi put ainsi cicatriser la plaie qui lui empoisonnait la vie. Au terme de mille et une nuits, sa femme put lui présenter trois superbes garçons que leur amour avait fait naître.

Il ne suffit pas de dire sa souffrance pour continuer à vivre. Il faut aussi écouter le récit de la souffrance de l'autre. C'est au croisement des deux souffrances que jaillit la guérison. Shéhérazade, ce sont toutes ces femmes palestiniennes qui doivent, avec leurs familles, endurer les multiples souffrances des territoires transformés en prisons. Comme les femmes israéliennes engagées dans le camp de la paix, elles ont ce pouvoir de panser les blessures en en faisant autant de lieux d'écoute pour entendre la douleur de l'autre.

Etienne Duval, le 25 mai 2007

 

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