Le grand opéra de la création

ou la genèse du monde



Tapisserie de Lurçat dans l'église du Plateau d'Assy

 

Le grand opéra de la création ou la genèse du monde

A force de décrypter, de décortiquer, nous sommes devenus incapables de saisir sous sa globalité le processus dans lequel nous sommes engagés. La création a ses péripéties multiples, ses hésitations et ses drames, mais elle est aussi une fête grandiose. Et le mot le plus adapté pourrait être celui de " grand opéra " qui exprimerait, à sa manière, la gestation du monde, avec un chef d'orchestre mystérieux, que nous hésitons à nommer mais dont nous sommes obligés de reconnaître les immenses talents d'un parfait musicien. Ici la musique se présente comme la matrice de la parole et la parole n'a de véritable justification que si elle conduit à un amour créateur.

Au commencement était le souffle créateur
Tout commence par un grand souffle. " Le souffle d'Élohim planait sur la face des eaux ", comme le traduit André Chouraqui, au début de la Genèse, dans la bible hébraïque. Et le Nouveau Testament donne la réplique avec le récit de la Pentecôte : " Et c'est tout d'un coup un bruit du ciel, comme la venue d'un souffle violent ; il remplit toute la maison où siègent les apôtres " (André Chouraqui). De leur côté, les différentes cultures ont leur mot singulier avec une sonorité particulière pour exprimer la nature du souffle vital, qu'il soit divin ou humain : ruah en hébreu, er-ruh en arabe coranique, pneuma en grec, prana en sanscrit, shi en chinois, k'i en japonais, spiritus en latin et esprit en français. Et, depuis les temps les plus anciens, le berger souligne, à sa manière, la naissance de l'amour, en soufflant dans un morceau de sureau qu'il a percé de petits trous.

Tout se met à vibrer
Le grand souffle des origines produit une immense vibration. Les savants parlent du big bang. Et aujourd'hui encore la matière résonne de cette vibration des origines, qui chante et oscille non seulement au niveau de l'atome et du cosmos, mais aussi au niveau de la cellule. A tous les niveaux, la vibration est présente comme une énergie d'information à tel point que les nom et prénom tracent une voie, non complètement écrite, il est vrai, pour le devenir des humains. Ils fonctionnent intérieurement comme un mantra qui peut transformer, en profondeur, les individus.

Associé aux vibrations, le nombre donne naissance à la musique
Après l'immense vibration, le nombre intervient comme le grand ordonnateur. Dans Le Timée, Platon écrit : " Lorsque le Tout eut commencé de s'ordonner, tout au début, le feu, l'eau, la terre et l'air avaient bien quelque trace de leur forme propre, mais, pour l'ensemble, ils demeuraient évidemment dans l'état où il est naturel que soit toute chose d'où le Dieu est absent. Et c'est alors que tous ces genres ainsi constitués ont reçu de lui leurs figures, par l'action des Idées et des Nombres. Car, autant qu'il se pouvait, de ces genres qui n'étaient point ainsi disposés, le Dieu a fait un ensemble, le plus beau et le meilleur. Prenons donc partout et toujours cette proposition-là comme base ". Il devient dès lors possible de représenter la structuration de l'Univers par une approche mathématique. Mais bien avant Platon, Pythagore avait montré que la musique est un acte mathématique. On dit que, " dans une forge, il écoute résonner une enclume par des marteaux de masses différentes. Il comprend que les différences de l'enclume répondent à une loi mathématique. Il établit ainsi la gamme musicale qui repose principalement sur les quatre intervalles consonants (unisson, octave, quinte, quarte). Il montre par exemple qu'à partir d'un do, une corde deux fois plus courte permettrait d'entendre un do élevé d'une octave, une corde trois fois plus courte donnerait un sol… ".

La musique engendre la danse, première forme d'écriture
La musique s'imprime dans le corps et le corps peut exprimer, à sa façon, le rythme et les variations qui la constituent, sous la forme de la danse. On pourrait dire que la danse est la mise en musique du corps lui-même. L'homme commence ainsi à écrire avec tout son corps : élaborant le mouvement, il dessine des figures plus ou moins complexes qui traduisent le son et ses multiples expressions en formes et en figures. Progressivement, à partir du souffle et des vibrations originelles, le monde et l'homme lui-même se construisent, passant d'un niveau à un autre. Pour le moment il est donc en train d'inventer l'écriture.

L'écriture est à l'origine du langage et des langues
L'écriture précède la parole, dont elle est la mère, en suscitant intérieurement la pensée, sorte d'écriture intérieure, qui se charge de sens, sous l'impulsion des images qui s'organisent en symboles. Et puis elle invente un langage universel, comme fut inventé récemment le langage informatique, pour que l'homme puisse communiquer aux autres ses propres pensées. Sans doute ce que nous disons en peu de mots a-t-il pris des siècles entiers pour se mettre en place comme si la nature avait tout son temps. Mais le langage ne saurait suffire pour se faire comprendre. L'informaticien est obligé de passer par des programmes ; de la même façon, les hommes inventent de multiples langues, selon leur milieu d'origine, pour communiquer entre eux. Si le langage est unique, les langues se diversifient en se multipliant. Babel essaie bien de confondre le langage et la langue pour unifier l'humanité, mais il sombre alors dans la confusion, c'est-à-dire dans la folie. Comprenant qu'ils s'engagent ainsi sur une mauvaise voie, les hommes se résignent à passer du langage à la langue.

Chacun peut parler dans sa langue et la parole est d'abord un chant d'amour
L'élan de la vie, prenant pour véhicule la musique et l'écriture, aboutit à la parole, mais la parole est d'abord un chant. Chant de guerre parfois mais surtout chant d'amour car la violence est là pour opérer les séparations nécessaires à la concorde des hommes. Ainsi le chant de guerre est-il peut-être, paradoxalement, un appel au chant d'amour. C'est ce que soulignent les grands chants qui sont à la base des cultures : l'Iliade et l'Odyssée pour la culture grecque, la chanson de Roland pour la culture française…

Pour Saint François, qui fait passer de la violence à l'amour, en prenant le chemin du détachement, le chant n'est plus qu'un chant d'amour. " Le chant des créatures ", dans lequel il s'exprime tout entier, se présente non seulement comme une des pièces maîtresses du grand opéra de la création mais aussi, plus humblement, comme l'acte inaugural de la littérature italienne. Nous le donnons dans sa version originale pour laisser s'exprimer la musique intérieure qui le soutient.

Le cantique des créatures de Saint-François

Altissimu, onnipotente bon Signore,
Tue so' le laude, la gloria e l'honore et onne benedictione.
Ad Te solo, Altissimo, se konfano,
et nullu homo ène dignu te mentovare.
Ad Te solo, Altissimo, se konfano,
et nullu homo ène dignu te mentovare.

Laudato sie, mi' Signore cum tucte le Tue creature,
spetialmente messor lo frate Sole,
lo qual è iorno, et allumini noi per lui.
Et ellu è bellu e radiante cum grande splendore:
de Te, Altissimo, porta significatione.

Laudato si', mi Signore, per sora Luna e le stelle:
in celu l'ài formate clarite et pretiose et belle.
Laudato si', mi' Signore, per frate Vento
et per aere et nubilo et sereno et onne tempo,
per lo quale, a le Tue creature dài sustentamento.

Laudato si', mi Signore, per sor'Acqua.
la quale è multo utile et humile et pretiosa et casta.
Laudato si', mi Signore, per frate Focu,
per lo quale ennallumini la nocte:
ed ello è bello et iocundo et robustoso et forte.

Laudato si', mi Signore, per sora nostra matre Terra,
la quale ne sustenta et governa,
et produce diversi fructi con coloriti fior et herba.

Laudato si', mi Signore, per quelli che perdonano per lo Tuo amore
et sostengono infrmitate et tribulatione.
Beati quelli ke 'l sosterranno in pace,
ka da Te, Altissimo, sirano incoronati.

Laudato s' mi Signore, per sora nostra Morte corporale,
da la quale nullu homo vivente pò skappare:
guai a quelli ke morrano ne le peccata mortali;
beati quelli ke trovarà ne le Tue sanctissime voluntati,
ka la morte secunda no 'l farrà male.

Laudate et benedicete mi Signore et rengratiate
e serviateli cum grande humilitate.

Traduction

Etienne Duval

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