Le mythe grec du déluge et la sortie de crise



Le déluge

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Le mythe grec du déluge et la sortie de crise


Les mythes figurent encore aujourd'hui les grands événements qui nous sollicitent. Ils le font sous forme d'images et de récits qui parlent à notre imaginaire. Or, le dernier article du blog a fait ressortir la logique destructrice qui a conduit à la crise actuelle. Mais ce n'est qu'un premier temps : un temps de lucidité pour imaginer ensuite la sortie de crise elle-même. Pour nous fournir les instruments nécessaires de réflexion sur un tel sujet, les Grecs anciens, sans que nous puissions en désigner les auteurs, ont élaboré le mythe du déluge. Égarés par la toute-puissance, les hommes ont transgressé et même inversé toutes les lois, qui permettent de vivre dans la cohérence et la paix. Aussi ce ne sont pas simplement les hommes qui en ont subi les conséquences mais l'univers terrestre tout entier s'est trouvé ébranlé, au point que les limites entre la mer et la terre se sont effacées. Sous l'effet de pluies incessantes, l'eau a fini par recouvrir tout l'espace habité jusqu'au sommet des montagnes. Seul " le Mont Parnasse s'élevait encore au-dessus de l'eau. " Ainsi ce qui était source de vie est devenu source de mort. Au lieu de féconder la terre et assurer la subsistance des animaux et des hommes, l'eau a tout englouti dans la mort.

Il n'est pas difficile de faire le lien avec la situation actuelle. Ce n'est plus l'eau qui est en cause. Mais c'est l'argent, expression des richesses permettant de vivre et de survivre, qui contribue à nous enfoncer dans le désastre. L'argent est sorti du jeu symbolique. Au lieu de promouvoir une économie de l'homme et du sujet, il est devenu un " diviseur ". A force de spéculations financières, les gains faciles des uns entraînent la misère des autres et nous ne savons pas comment sortir de ce monde en folie. Or, voici ce que dit le mythe grec.

Un petit reste, à la marge, qui permet de sortir du système
Il n'est plus possible de permettre au système, conduisant à sa perte, de se transformer par lui-même. Il faut interroger la marge qui s'est mise à distance. Le mythe nous parle d'un " petit bateau dans lequel s'étaient réfugiés Deucalion, fils de Prométhée et Pyrrha sa femme… Prométhée (l'homme prévoyant et critique) les avait prévenus à temps et leur avait donné une solide embarcation (capable de résister au système destructeur). Lorsque Zeus (figure de la raison) vit que les seuls rescapés étaient Deucalion et Pyrrha, tous deux honnêtes justes et pieux, il dispersa les nuages, montrant les cieux à la terre et la terre au ciel. " Il suffit d'un petit reste, qui a conservé le lien entre la terre et le ciel, sans perdre la raison, pour envisager une recréation de l'homme. Deucalion, fils de Prométhée, l'évoque sans détour : " Deucalion soupira doucement : " Chère Pyrrha, dit-il, nous sommes les seuls survivants ; qu'allons-nous faire ? Si seulement, je pouvais comme mon père, créer l'homme avec l'argile ! "

Le temps nécessaire du recueillement pour retrouver l'écoute intérieure
Il semble que la parole créatrice, élan de vie traversant l'univers, parle à l'intérieur de l'homme. Encore faut-il l'écouter pour savoir ce qu'il faut faire. " Les yeux, pleins de larmes, Deucalion et Pyrrha se mirent à prier sur les marches pleines de mousse du temple de Zeus. Ils l'implorèrent de les aider à rendre la vie à la terre ". Il ne faut pas oublier que la plupart des malheurs de l'homme tiennent à la perte de son écoute intérieure. C'est ce qu'ont bien compris les spécialistes de la psychanalyse. C'est ce qu'avait déjà compris, bien avant eux, Shéhérazade, dans les Mille et Une Nuits. Patiemment, au cours de Mille et une Nuits, elle a travaillé à rétablir, chez le roi, son mari, le lien perdu à la parole créatrice, porteuse de vie. Chaque matin, il faisait tuer la femme avec laquelle il avait passé la nuit ; l'infidélité de son épouse précédente, lui avait fait perdre l'écoute et donc le lien à la parole créatrice. Et pour réparer un tel traumatisme en ouvrant à nouveau son oreille, Shéhérazade, lui a raconté des contes, qui, comme les mythes, renferment les racines de la vie

Sortir de soi et du temple de pierre pour construire un temple vivant
En réalité, l'homme n'est pas un individu isolé. Même si, comme le dit le mythe, tous les autres êtres humains, à part Pyrrha, sont morts, il n'en reste pas moins que chacun fait partie d'une humanité plurielle à reconstruire. Or cette humanité où convergeraient les paroles créatrices, en interaction les unes avec les autres, représente le temple vivant qui s'oppose au temple de pierre. Il devient urgent de passer de l'un à l'autre. C'est bien ce que propose Zeus aux deux rescapés du déluge : " Quittez ce temple, voilez vos têtes... " Pour avoir invoqué un tel passage, certains ont été accusés de blasphème et ont payé de leur vie un projet apparemment destructeur. Mais aujourd'hui n'avons-nous pas construit les temples de l'argent, où du matin jusqu'au soir les plus habiles s'efforcent de multiplier leurs richesses en prenant le pain des pauvres ? S'il ne faut plus s'enfermer dans des temples de pierre, pour passer de la prière à une re-création, comme le prétend Zeus lui-même, combien est-il plus urgent de quitter les temples de l'argent pour construire de nouveaux temples, où chaque pierre serait un être humain, libre et créateur de véritables richesses.

Jeter la mort derrière soi pour en faire surgir la vie
Le conseil de Zeus est plus explicite encore que celui de quitter le temple : " … jetez, derrière vous, dit-il, les ossements de votre grand-mère ". Comment comprendre un message aussi mystérieux ? " Perdus dans leurs pensées, ils quittèrent le temple sans parvenir à comprendre pourquoi ils devaient ainsi troubler la paix de leurs ancêtres. Ils réfléchirent longtemps quand soudain Deucalion comprit que la grand-mère dont parlait le dieu était la Terre. " La Terre est notre grand-mère à tous, dit Deucalion, et ses ossements ne peuvent être que les pierres. " Il doutait que des cailloux puissent faire revenir la vie sur terre. Pourtant, aidé de Pyrrha, il en ramassa et les jeta par-dessus son épaule. C'est alors que le miracle se produisit : à peine touchaient-elles la terre que les pierres perdaient leur dureté et qu'elles se transformaient en corps humains. La partie la plus dure devenait les os, quant aux veines de la pierre, elles sont à l'origine des veines du corps humain. Les pierres que Deucalion jetait se transformaient en hommes, celles que jetait Pyrrha se transformaient en femmes. "

Mettre l'argent au service de l'homme et de son économie
L'image précédente est amusante, mais elle nous fait comprendre qu'il faut mettre la mort à sa place au service de la vie. Alors, rejetée à l'arrière, dans un passé dépassé, elle devient elle-même source de vie nouvelle. De la même façon, il faut mettre l'argent au service de l'homme et de son économie, en lui enlevant le rôle primordial, fait de toute puissance, qu'il avait usurpé. Autrement dit, comme on l'a déjà suggéré, il convient de sortir du temple des pleurs et de l'argent, et jeter derrière soi les pierres dont il est construit et qui ont fait leur temps, pour faire surgir les pierres vivantes de l'avenir. Et alors, le mythe précise bien que le dépassement à accomplir doit être opéré, en même temps, par l'homme et par la femme.

La naissance d'un homme nouveau
Rien ne sert de réparer un système ébranlé, qui conduit à la mort : il faut en bâtir un nouveau, où chaque homme, devenant sujet à part entière, en associant l'individuel et le collectif, trouvera une place centrale et pourra redonner à l'argent, rejeté à l'arrière, sa véritable signification au service de la vie. Ainsi, il faut faire un détour : passer du temple de la finance à la maison des hommes, faite de pierres vivantes. C'est alors que les problèmes économiques, trouvant leur juste place, pourront être plus facilement résolus par des hommes aguerris par l'épreuve comme l'exprime, à sa manière, la fin du mythe grec : " C'est ainsi que vint au monde une nouvelle race d'hommes, actifs et résistants au travail et à la souffrance, race issue de la pierre dure comme elle ".

 

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Texte du mythe grec