Les communes et leur avenir





Hôtel de ville d'Annecy

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Les communes
Leur avenir


Le mal de notre pays est la toute-puissance administrative liée à une centralisation excessive. Vouloir supprimer les communes, c'est faire un pas en arrière au détriment de la démocratie, car la commune proche du terrain est un chaînon indispensable pour que chaque habitant puisse avoir sa part de responsabilité. Les ressentis, admis comme une vérité première, vont à l'encontre de la réalité. C'est ce qu'essaie de montrer André Duval, ancien maire et ancien président d'une communauté de communes de Haute-Savoie. Son texte est un plaidoyer pour une démocratie plus proche du terrain.


Si l'on écoute ou si on lit ce qui se dit à propos des communes on ne peut qu'être convaincu de leur disparition prochaine. Les comparaisons avec nos voisins montrent que leur nombre est nettement plus important 36 000 par rapport aux 12 000 allemandes ; en Grande Bretagne le nombre est encore plus réduit. Elles sont aussi beaucoup trop coûteuses du fait du nombre de conseillers, de maires et de maires adjoints. Un argument indirect contre les petites communes : elles ont trop de pouvoirs dans l'élection des sénateurs. Enfin et c'est le principal, peut-être pas dans le fond, mais dans la démonstration : elles participent au mille-feuille administratif tant décrié. Il est intéressant d'aller au-delà de l'incantation et d'analyser ces critiques avec objectivité et de les confronter aux avantages qu'en tire notre démocratie. Le principe de subsidiarité qui veut que toute responsabilité soit assumée par la population concernée servira à cette confrontation.

Trop de communes ?
Le premier argument en faveur de la suppression des communes est leur nombre important par rapport à d'autres pays. Il est vrai que le nombre de communes françaises est très nettement supérieur à celui de l'Allemagne. Mais en y regardant de plus près on s'aperçoit que ce n'est pas si évident : en effet le nombre de communes dans le land de Rhénanie Palatinat est de 2 306 pour une superficie de 19 855 km² et pour 4 053 948 habitants ce qui donne une superficie et un nombre moyen d'habitants par commune inférieurs aux moyennes françaises. C'est donc que même en Allemagne on n'est pas absolument convaincu de la nécessité de réduire le nombre de communes. Le tableau ci-dessous donne d'autres exemples proches de la Haute-Savoie d'où est écrit cet article et qui sont encore plus extrêmes que le cas français. Quelques mots concernant la Grande-Bretagne : les responsabilités effectives sont exercées par des institutions en nombre très restreint, mais il existe en dessous un réseau de paroisses ou de communes semblable au nôtre ; celles-ci munies d'un conseil élu jouent un rôle de communication avec les autorités supérieures. Or dans ce pays on est conscient de la faiblesse de cette animation démocratique et on nous envie notre système si bien que le nouveau gouvernement (Cameron) vient de donner des responsabilités réelles à ces paroisses ou communes. Ainsi ce premier argument pour la suppression des communes, c'est-à-dire leur nombre, reste très discutable.

Quelques exemples

Territoire Superficie km2 Nombre d'habitants Nombre de communes Superficie commune Population commune
           
France 547 030 65 400 000 35 569 15,4 1 839
           
Haute-Savoie 4 234 740 000 294 14,4 2 517
           
Allemagne 362 598 82 317 658 12 226 28,8 6 733
           
Rhénanie Palatinat 19 855 4 053 948 2 306 8,6 1 758
           
Canton de Vaud 3 212 697 802 375 8,6 1 861
           
Pays d'Aoste 3 263 120 000 72 45,3 1 667
           

 

Le nombre des communes serait source de coûts que leur suppression réduirait. Grâce aux données de l'Insee nous disposons d'une bonne base pour comparer les coûts des communes en fonction de leur nombre d'habitants. Si nous traçons la courbe du coût par habitant en fonction du nombre d'habitants des communes on obtient un résultat des plus démonstratifs : le coût par habitant croît avec la dimension de la commune, ce qui signifie que deux communes séparées coûtent moins que la commune fusionnée.


*L'anomalie de l'avant dernier point correspondant aux communes de plus de 150000 habitants hors Paris(dernier point) est lié au taux de transfert des charges de ces communes vers la communauté d'agglomération. Pour la bonne lecture les points représentent les classes de communes suivantes : <250<500<2000<3500<5000<10000<20000<50000<100000<Paris.

Ainsi supprimer les communes aurait pour résultat un supplément de coût. Vu l'état des finances de la France ce n'est pas la solution à préconiser.
Comment expliquer ce paradoxe ? Nous avons une première réponse : le taux d'absentéisme du personnel croît avec la dimension de la commune et peut aller du simple au double. Comme on le voit, en effet, le coût du personnel par habitant croît avec le nombre d'habitants.
Mais la source de cet effet a sûrement d'autres conséquences, car elle découle de la moindre motivation qui est elle-même liée à un plus faible engagement des élus. Une autre raison doit être que, dans le domaine administratif, il n'y a pas d'économie d'échelle et au contraire dés-économie d'échelle. Ce phénomène a été théorisé dans le cadre de l'analyse de la complexité qui veut qu'une administration génère des communications entre son personnel et que leur nombre croît avec le carré de celui des employés dans cette administration et non proportionnellement avec ce nombre.
Dans une approche défensive on pourrait argumenter et dire que les grandes communes offrent plus de services à leurs administrés, mais ce plus de services ne peut justifier un coût croissant avec le nombre d'habitants car dans ce cas le coût par habitant devrait se situer au même niveau quelle que soit la dimension des communes puisqu'il y aurait propension à plus dépenser. La courbe pour les investissements confirme cette interprétation, elle est relativement stable avec le nombre d'habitants hormis le cas de Paris.

Il ne faut pas oublier que les communautés de communes assument normalement les fonctions réservées aux collectivités de plus grandes dimensions.

Puisque nous avons cité comme cas particulier le land de Rhénanie-Palatinat, les statistiques allemandes montrent que ce land est moins coûteux pour la totalité de la chaîne administrative : 4590 €, que la moyenne de l'ensemble des lands : 5062 €, confirmant ainsi l'observation faite pour la France.


Le soi-disant mille-feuille administratif et la centralisation excessive
Nous pouvons alors passer à un mille-feuille administratif auquel les communes participeraient. Tout d'abord la France comporte-t-elle un nombre d'échelons administratifs plus important que les autres pays, par exemple l'Allemagne ? Oubliant pour l'instant la Rhénanie Palatinat pour partir d'un land plus connu celui du Bade-Wurtemberg, la hiérarchie des structures s'établit ainsi : Communes (regroupées), kreiss, land, État fédéral, soit quatre niveaux. Mais on doit y ajouter les anciennes communes qui disposent d'un conseil élu et d'un budget. C'est alors le même nombre que chez nous en comptant les communes et les communautés de communes. D'où vient alors la différence de ressenti puisque en Allemagne ce problème de mille-feuille ne se pose pas ? Considérons alors une responsabilité parmi d'autres : les lycées, en Allemagne, bien que très majoritairement payés par les lands, sont gérés par les communes d'implantation ou de recrutement, en France ils le sont par les régions. Ainsi en Allemagne il y a une très forte relation entre le lycée et la commune alors qu'en France un lycée est comme un corps étranger dans sa commune. En Allemagne la grande salle de spectacle du lycée peut-être partagée par le lycée et la commune, en France le gymnase, propriété de la commune sera séparé du lycée pour lequel il a été construit par une clôture. En réalité la différence tient à ce que l'Allemagne ne connaît pas la centralisation administrative et s'en félicite*. C'est-à-dire que chaque niveau d'administration n'intervient pas dans le niveau inférieur à qui il délègue chaque responsabilité quant celle-ci doit descendre plus bas. En France chaque niveau veut intervenir dans les niveaux inférieurs ; nous venons de le voir pour les lycées, mais nous avons aussi les préfectures de région, de département, les sous-préfectures. Les régions sont en passe de créer leurs propres sous-préfectures, les départements font la même chose avec la territorialisation des services sociaux, des services de la petite enfance qui pourraient être délégués aux communes ou communautés de communes. Ainsi en Allemagne un problème ne nécessite de contact qu'avec une administration, en France vous devez souvent vous mettre en relation avec deux voir trois ou quatre. Par exemple un problème de construction de logements sociaux exige que vous interveniez auprès des services de l'État déconcentrés dans les départements, auprès de ceux de la région, du département et de la communauté de communes. Et voilà où se cache le mille-feuille administratif. Cette centralisation administrative outre qu'elle rend un mauvais service au citoyen coûte nécessairement très cher. Comment gérer efficacement les personnels de service des lycées depuis la capitale de la région alors que la commune d'implantation ou la communauté de communes pourraient l'assumer tout en respectant les consignes qui leur seraient données par la région ? Les services sociaux territorialisés des départements pourraient être confiés aux communautés de communes ou aux communes, ce qui éviterait qu'ils passent le quart de leur temps à produire des rapports que les supérieurs ne liront pas.

Ainsi le mille-feuille ressenti n'est pas dû à la hiérarchie des collectivités locales mais à la centralisation administrative que chaque niveau exerce pour le plus grand malheur des administrés et pour les finances publiques. La somme des budgets administratifs français par habitant est supérieure à celle de l'Allemagne alors que les ressources des communes françaises sont très inférieures à celles des communes allemandes.

On peut alors se demander quels sont les principes sur lesquels fonder la juste répartition des tâches. Ne nous basons pas sur les principes de la démocratie qui est un concept devenu extrêmement vague mais partons des droits de l'homme. " Les droits de l'homme se définissent d'abord, comme un espace minimum de liberté qu'on doit reconnaître à chacun. Cet espace permet à tout individu de s'épanouir dans une société. " Tocqueville partant de ce principe arrive à celui de la subsidiarité qui stipule que chaque responsabilité doit être assignée à la population concernée : " Constitués d'ajouts successifs au fil de l'histoire, les droits de l'homme se définissent : " L'individu est le meilleur comme le seul juge de son intérêt particulier et la société n'a le droit de diriger ses actions que quand elle se sent lésée par son fait, ou lorsqu'elle a besoin de son concours " et sa conséquence : " La commune prise en masse et par rapport au gouvernement central n'est qu'un individu comme un autre auquel s'applique la théorie ci-dessus" . On peut généraliser la notion de commune à tous regroupements ou subdivisions de la société et nous retrouvons ainsi par déduction des droits de l'homme le principe général de subsidiarité. Ainsi tout ce qui ne concerne que la commune n'a aucune justification à être délégué au niveau supérieur. Et comme le dit Yves Simon avec Jacques Maritain, tous deux philosophes humanistes du XXème siècle (Yves Simon: "Notes sur le fédéralisme proudhonien", Esprit, 1er avril 1937, page 62-63) : " Toute fonction qui peut être assumée par l'inférieur, doit être exercée par l'inférieur, à peine de dommage pour l'ensemble tout entier. Car il y a plus de perfection dans un ensemble dont toutes les parties sont pleines de vie et d'initiative que dans un ensemble dont les parties ne sont que des instruments traversés par l'initiative des organes supérieurs de la communauté ". Le texte du Sénat du 31/03/2011 appliqué à la relation Pays-Europe va dans le même sens : "Dans ce contexte, votre rapporteur voudrait souligner que vouloir réellement mettre en oeuvre le principe de subsidiarité n'est pas s'en prendre à la construction européenne, mais au contraire travailler dans l'intérêt de celle-ci, qui loin de se renforcer s'affaiblit par un interventionnisme excessif ". En effet le principe de subsidiarité ne s'oppose pas dans la relation communes/communautés de communes à ces dernières mais fournit les arguments pour bien juger des responsabilités communales qui doivent être déléguées à la communauté de communes, ce qui peut varier d'une communauté de communes à une autre. Pour revenir aux exemples cités, par exemple à propos des lycées, si la propriété et la gestion par la région ne sont pas opportunes, par contre le financement distribué par la région peut répondre à un objectif de justice entre tous les territoires. Donc la subsidiarité comme le souligne le rapporteur du sénat n'oppose pas l'inférieur au supérieur mais vise à bien affecter chaque responsabilité au niveau adéquat.

En conclusion nous pouvons dire que la suppression des communes serait contraire à l'efficacité et aux principes d'économie, que c'est la centralisation administrative qui est la cause de la complexité du système administratif français, que la démocratie aurait beaucoup à perdre dans la suppression des communes si on entend par démocratie le système qui découle des droits de l'homme, que la subsidiarité qui stipule que chaque responsabilité doit être assumée par la population concernée est le critère qui permet de juger de la manière de répartir les tâches ou les fonctions entre les différents niveaux . A l'heure où la mondialisation exige une gouvernance au niveau de la planète il est important à moins de sombrer dans un despotisme loin des populations qu'elle se construise de niveau à niveau à partir du plus proche des personnes.

*Depuis la fameuse crise de la dette non seulement l'Allemagne se réjouit d'être libre de toute centralisation administrative mais exprime presque ostensiblement le vœu que la France veuille bien l'imiter dans ce domaine afin d'éviter les doublons administratifs et les coûts qui les accompagnent.

Annexe
Le cas du Québec : un problème mal posé

Le Québec au début des années 2000 avait décidé de fusionner d'autorité quelques 92 communes pour former plusieurs grandes villes autour de Montréal et de Québec en particulier. Quelques années plus tard les opposants ont obtenu en vertu du droit démocratique de revenir sur ces fusions par voie référendaire. Malgré des contraintes sérieuses mises à ce vote, 32 communes ont obtenu la majorité pour cette défusion qui a donc été réalisée.

Ces changements administratifs sont coûteux, car fusionner des administrations pour les séparer à nouveau implique des perturbations importantes concernant les bâtiments, les contrats de travail, l'archivage des documents, les procédures, etc.…

L'explication : La situation du canada est particulière en ce sens que les communes ne sont le fait que des provinces et n'ont aucune histoire. La province du Québec ne considère pas qu'il y ait un droit communal, elle est détentrice de tous les pouvoirs en dehors de ceux de l'État national.

Un problème mal posé. La hiérarchie d'institutions ne doit être réduite au plus simple et ce qu'ont voulu réaliser les promoteurs des fusions et que n'ont voulu considérer les défusionistes. Bien sûr il pouvait être intéressant de déléguer à une institution de niveau supérieur quelques compétences telles que le développement économique, mais en même temps la gestion des établissements scolaires de type primaire ou même des collèges ou le soin de la voirie pouvaient être mieux gérés par des entités moins larges. Chacun comme le montre la copie d'un argumentaire peut mettre en avant des coûts supérieurs ou des efficacités moindres mais seule la reconnaissance de la subsidiarité aurait pu conduire vers des solutions se rapprochant de l'optimalité.

Exemples d'argumentaire développé en faveur de la " défusion ":
" …. il y a trois arguments liés à l'impact de la fusion municipale sur les services que reçoivent les citoyens et le coût de ces services. En premier lieu, les représentants des arrondissements se plaignent de ce que, depuis la fusion, les citoyens doivent payer plus de taxes. D'ailleurs, les documents consultés soulèvent l'idée que non seulement les citoyens doivent payer plus mais aussi que les services municipaux se détériorent. La diminution de la qualité des services et de l'efficacité est un autre argument présent dans le discours. La fusion de différentes municipalités, selon eux, a entraîné la création d'une immense bureaucratie, ce qui aurait fait augmenter les délais de réponse aux besoins des citoyens. Les fonctionnaires locaux perdraient beaucoup de temps pour trouver les informations nécessaires car l'appartenance à une ville plus grande augmenterait les procédures bureaucratiques. En outre, les mémoires soulignent que les élus sont consultés sur des sujets qui affectent toute la ville, incluant des secteurs qu'ils ne connaissent pas (notamment dans les villes plus grandes), ce qui ralentit la gestion municipale quotidienne. Finalement, il y a une utilisation répétitive de l'idée que la fusion a fait diminuer la qualité de vie des citoyens, en général, et que la fusion a entraîné plus d'inconvénients que d'avantages. " (Thomas et Collin: "Constance et mutation: le discours des élus municipaux devant le mouvement défusioniste au Québec", Revue canadienne des sciences sociales, XXVIII-1 page 160.)

André Duval

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