Malentendu et malentendre





Le malentendu entre l'homme et la femme

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Malentendu et malentendre


Je voudrais évoquer ici le malentendu fondamental qui contrarie les relations entre les hommes et plus directement entre les hommes et les femmes. A l'origine, il y a la peur et même le refus de la mort, qui va entraîner un " malentendre de l'autre ". Pour le montrer, je vais commencer par faire le récit d'une très forte expérience personnelle que je relierai au texte mythique de la chute.

Mon oreille s'ouvre

Nous sommes en 1987. Je viens de m'apercevoir que je n'entends pas de l'oreille droite. J'achète une poire en caoutchouc pour la nettoyer mais rien n'y fait. Tous mes efforts, quels qu'ils soient, n'aboutissent à aucun résultat. Faut-il me rendre à l'évidence ? Je me dis que je dois être sourd depuis ma naissance et que je viens seulement d'en prendre conscience. C'est dur de se sentir handicapé, surtout lorsqu'il s'agit de l'oreille. Mes élucubrations symboliques me renvoient à la féminité de mon père. Il y aurait un problème à chercher dans cette direction. J'en suis là de mes interrogations lorsqu'une collègue de travail m'interpelle : "Tu n'entends pas ?" Elle est en train de critiquer une autre collègue et je fais mine de ne pas l'écouter pour ne pas donner prise à la mésentente sous-jacente. Un peu piqué au vif, je lui réponds : "Je vois tout mais je n'entends pas tout." Or cette petite scène va être d'une importance capitale. Il est six heures du soir. C'est le moment de quitter le travail. Je m'engage dans le centre commercial de la Part-Dieu tout proche. Tout à coup, je ressens dans l'oreille droite la détonation d'un coup de fusil. Mon oreille s'ouvre et, au même moment, j'aperçois, au bas du centre commercial, à la hauteur du métro, de petits enfants qui font du pédalo sur un bac d'eau, qui a disparu depuis. Très rapidement, je vais faire le lien. Je suis renvoyé au moment de ma naissance, avec l'eau et les enfants. Or, à cette époque, il y avait une mauvaise entente entre mes parents et ma grand-mère paternelle. Mon oreille n'aurait-elle pas enregistré cette mauvaise entente ? C'est en tout cas l'interprétation qui me vient rapidement à l'esprit. Mais après réflexion et discussion avec des amis, je comprends que, dès mes premiers jours, j'ai refusé d'entendre la " mauvaise entente " parce qu'elle mettait ma vie en danger. C'est ainsi que ce premier événement a contribué à fermer mon oreille droite, qui évoquait discrètement la maison de mes grands parents, où je suis né. Comme chez tout le monde, il y avait, en moi, dès l'origine, une peur viscérale de la mort, qui dictait mes comportements. Sans le vouloir, ma collègue, empruntant probablement la figure de la grand-mère, venait de reproduire la scène primitive qui avait marqué ma naissance. C'est ainsi que j'ai retrouvé, à mon insu, la voie de mon origine et le chemin de ma guérison. Avec l'apparent coup de fusil, la mort dont je refusais l'inextricable implication dans mon existence, refait surface et s'impose comme une dimension nécessaire de ma vie. Pour moi, c'est sa force positive, qui vient de m'ouvrir l'oreille. Aussi la réappropriation de mon écoute est-elle définitivement liée à l'acceptation de la mort elle-même.


Récit de la chute dans la Genèse

Gn 3:1- Le serpent était le plus rusé de tous les animaux des champs que Yahvé Dieu avait faits. Il dit à la femme : Alors, Dieu a dit : Vous ne mangerez pas de tous les arbres du jardin ?
Gn 3:2- La femme répondit au serpent : Nous pouvons manger du fruit des arbres du jardin.
Gn 3:3- Mais du fruit de l'arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit : Vous n'en mangerez pas, vous n'y toucherez pas, sous peine de mort.
Gn 3:4- Le serpent répliqua à la femme : Pas du tout ! Vous ne mourrez pas !
Gn 3:5- Mais Dieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s'ouvriront et vous serez comme des dieux, qui connaissent le bien et le mal.
Gn 3:6- La femme vit que l'arbre était bon à manger et séduisant à voir, et qu'il était, cet arbre, désirable pour acquérir le discernement. Elle prit de son fruit et mangea. Elle en donna aussi à son mari, qui était avec elle, et il mangea.
Gn 3:7- Alors leurs yeux à tous deux s'ouvrirent et ils connurent qu'ils étaient nus; ils cousirent des feuilles de figuier et se firent des pagnes.

Le serpent qui nous renvoie à l'origine de l'homme est incapable d'entendre le langage de la mort. Comment d'ailleurs pourrait-il l'entendre puisqu'il n'a pas d'oreille ? C'est pourquoi Dieu veut provoquer une mutation de l'homme lui-même. Il veut l'amener à accepter la mort pour pouvoir la dépasser en disant à Adam et Ève : " Du fruit de l'arbre qui est au milieu du jardin vous n'en mangerez pas, vous n'y toucherez pas, sous peine de mort. " Avant de goûter à la vie, l'homme doit entendre le langage de la mort car celle-ci est indissociablement liée à la vie. Jusqu'ici, il n'a connu que le langage de la vie comme le serpent lui-même. La mort qui lui apparaît comme le contraire de la vie elle-même est inassimilable. Sous la pression du serpent, qui demeure en lui comme sa propre origine, il refuse d'entendre la Parole de Dieu, qui voudrait lui faire faire un pas décisif dans l'évolution. Il s'installe dans un malentendre, source de tous les malentendus entre l'homme et le divin, entre les hommes et les femmes et dans toutes les relations qu'entretiennent les hommes entre eux.

Chacun doit pouvoir entendre le message du mythe, même s'il n'est pas croyant. La mutation qui nous sollicite encore aujourd'hui nous invite à l'intégration de la mort pour pouvoir la dépasser. Mais pour cela, il faut sortir du malentendre et de tous les malentendus qu'il provoque pour suivre le chemin que la vie elle-même nous propose.

Etienne Duval

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