Cafés philosophiques interculturels de Formidec


Saison 2010-2012

Le clip, place Gabriel Péri, près du café philosophique

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Carte

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Troisième samedi du mois à 15 heures

Centre social, 5, rue Bonnefoi

(Lyon 3è, à 150 mètres du métro Guillotière )

Prendre la rue Paul Bert : la rue Bonnefoi est la seconde à droite

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Programme du café philosophique 2010-2012

Il y a deux problèmes très importants que révèlent les mythes : la violence et la confrontation hommes/femmes. Nous avons souvent évoqué le problème de la violence. Il s'agit pour le cycle 2010-2012 de regrouper nos forces et notre capacité d'investigation pour y voir plus clair en ce qui concerne la confrontation hommes/femmes. C'est ce problème qui est souligné dans les mythes de la chute, dans ceux de Ré et Isis, d'Œdipe et Antigone, Orphée et Eurydice, sans oublier Chahrazade. Une telle question nous interpelle particulièrement en ce moment à travers les évocations du voile, de la burka, de la place faite aux femmes dans la vie sociale et politique. Qu'est-ce qui se cache derrière la peur que soulève le rapport hommes-femmes, en deçà et au-delà même de la sexualité ? Nous reviendrons sur des textes que nous avons déjà travaillés, à part La chute dans le Coran et Chariyar, trompé par sa femme, dans Les Mille et Une Nuits.
Au niveau de la méthode, nous innoverons. En un premier temps, nous ferons un travail d'interprétation comme nous le faisons depuis longtemps. Le mois suivant, en prenant une des phrases les plus suggestives du texte, nous travaillerons à partir de nos ressentis. Cette méthode nouvelle a été testée avec succès dans un autre groupe, au cours de cette année.

Le même programme sera suivi par le Groupe de la parole à des dates différentes.

- Ré et Isis (Égypte)
- La chute dans la Bible
- La chute dans le Coran
- Œdipe et Antigone (Grèce)
- La belle au bois dormant (Europe)
- Orphée et Eurydice (Grèce)
- Chariyar trompé par sa femme (Mille et une Nuits)
- Chahrazade (Mille et Une Nuits)
- La fille tuée sept fois (Chine)
- Comment se rencontrèrent les hommes et les femmes (Indiens d'Amérique)

 


Samedi 16 octobre 2010 à 15 heures

Ré et Isis (Mythe égyptien)

Paroles du dieu qui vint à l'existence de lui-même, qui créa le ciel, la terre et l'eau, le souffle de la vie et le feu, les divinités et les hommes, le bétail, les serpents, les oiseaux et les poissons ; le roi des hommes et des dieux réunis dont les limites vont au-delà des années, et possédant beaucoup de noms, inconnus de celui-ci ou inconnus de celui-là.

Isis était une femme intelligente ; son cœur était plus habile que celui de millions d'hommes ; elle avait plus de discernement qu'un million de dieux ; elle était plus judicieuse qu'un million d'esprits. Elle n'ignorait rien de ce qui était dans le ciel et sur la terre, à l'égal de Rê, qui avait créé ce qui est sur la terre. Mais elle souhaitait, en son cœur, connaître le nom de ce dieu auguste.

Rê, chaque jour, entrait à la tête de son équipage et s'asseyait sur le trône des Deux Horizons. Le grand âge du dieu rendait sa bouche molle ; aussi laissait-il tomber sa salive sur le sol, ou bien il crachait en la jetant à terre. Isis (un jour) la pétrit en ses mains avec la terre sur laquelle elle se trouvait ; elle lui donna la forme d'un serpent sacré, et le modela tel un trait prêt à s'élancer. Mais, devant elle, il ne bougea pas ; aussi put-elle le placer à la croisée des chemins que le dieu auguste avait coutume de suivre, selon son désir, sur le Double Pays.

Le dieu fit son apparition hors des portes de son palais, tandis que les divinités du palais étaient en sa suite, afin de se promener, comme chaque jour. Alors le serpent sacré le mordit, et le feu de la vie sortit de lui, puis l'animal se cacha dans les roseaux. Le dieu ouvrit la bouche et la voix de Sa Majesté atteignit le ciel. Son Ennéade dit : " Qu'est-ce donc ? Qu'est-ce donc ? " ; ses dieux dirent : " Quoi donc ? Quoi donc ? " Il ne pouvait leur répondre, ses lèvres tremblaient, ses membres étaient secoués, car le poison avait pris possession de son corps, de même que le grand Nil charrie tout derrière lui.

Le grand dieu affermit alors son cœur et il appela ceux qui étaient en sa suite : " Venez à moi, vous qui êtes venus à l'existence hors de mon corps, dieux qui êtes issus de moi, afin que je vous fasse connaître ce qui m'est arrivé. Une chose douloureuse m'a mordu. Mon cœur ne la connaît pas, mes yeux ne l'ont pas vue, ma main ne l'a pas faite. Je ne reconnais en elle aucun des éléments de ma création. Mais je n'ai jamais ressenti une souffrance comme celle-là ; il n'y a rien de plus pénible que cela. Je suis un Souverain, fils de Souverain, une semence divine venue à l'existence comme dieu. Je suis le Grand, fils du Grand, celui dont le nom fut pensé par son père. J'ai beaucoup de noms et beaucoup de formes. Ma forme est aussi en chaque dieu. Je suis celui que l'on appelle Atoum et Horus le loué. Mon père et ma mère m'ont dit mon nom, et je l'ai caché en mon corps hors de portée de mes enfants de peur qu'un pouvoir soit donné à un magicien contre moi. Or je sortais pour voir ce que j'avais créé, je me promenais sur le Double Pays que j'avais fait, lorsqu'une chose me mordit que je ne connais point. Ce n'est pas le feu, ce n'est pas l'eau, mais mon cœur brûle, mon corps tremble et mes membres ont froid. Que mes enfants, les dieux me soient amenés, avec des paroles bénéfiques - les dieux qui savent les formules magiques et dont la connaissance atteint le ciel ".

Alors les enfants du dieu vinrent à lui, chacun d'eux se lamentant. Isis s'en vint avec son pouvoir et ses incantations magiques, possédant le souffle de la vie, avec ses incantations magiques pour repousser la maladie, avec ses paroles capables de rendre la vie à une bouche qui étouffe. Elle dit : " Qu'est-ce-donc ? Qu'est-ce donc ? ô mon divin père ! L'un de tes enfants aurait-il levé la tête à ton encontre ? Alors je le ferai tomber grâce à mon pouvoir magique parfait, et je ferai qu'il soit chassé de la vue de tes rayons ".

Le dieu auguste ouvrit la bouche : " En vérité, je marchais sur le chemin, je me prosternais dans le Double Pays, mon cœur souhaitant de revoir ce que j'avais créé, lorsque je fus mordu par un serpent que je n'aperçus même point. Ce n'est pas le feu, ce n'est pas l'eau, mais je suis plus froid que l'eau et plus chaud que le feu ; tout mon corps transpire, et je tremble ; mon regard n'est pas ferme, je ne vois plus ; et le ciel fait que l'eau inonde mon visage comme au temps de l'été ".

Isis répondit : " Dis-moi ton nom, mon divin père ! Car un homme revit lorsqu'il est appelé par son nom ". - " Je suis celui qui a fait le ciel et la terre, qui a lié les montagnes, qui a créé ce qui existe sur eux. Je suis celui qui a fait l'eau, de telle sorte que la vache nommée Mehet-Ouret put venir à l'existence. J'ai fait le taureau pour la vache, de telle sorte que la jouissance sexuelle vînt aussi à l'existence. Je suis celui qui a fait l'empyrée et les mystères des deux horizons, j'ai placé là les ba des dieux. Je suis celui qui fait venir la lumière lorsqu'il ouvre les yeux, et amène l'obscurité lorsqu'il les ferme. L'eau du Nil coule selon son ordre, celui dont les dieux ignorent le nom. Je suis celui qui a fait venir à l'existence les heures et les jours, je suis celui qui a établi la répartition des fêtes de l'année, et qui a créé le fleuve. Je suis celui qui a fait le feu de la vie, afin de donner existence aux œuvres des temples. Je suis Khepri au matin, Rê au zénith, Atoum dans le soir/ "

- Mais cela n'arrêta pas le poison dans sa course, et le grand dieu ne se remettait point.

Isis dit alors à Rê : " Ton nom n'est pas parmi ceux que tu m'as dits. Dis-le-moi donc, et le poison sortira, car un homme revit lorsque son nom est prononcé ".

Le poison brûlait de toute sa brûlure, il était plus fort que la cuisson du feu. Alors Rê dit : " Prête-moi tes oreilles, ma fille Isis, de telle sorte que mon nom passe de mon corps dans ton corps. Le plus divin des dieux l'a caché, pour que ma place soit vaste dans le navire des millions d'années. Lorsqu'il sera sorti de mon cœur, dis-le à ton fils Horus, en le liant par un serment divin, en ayant placé Dieu devant son regard ". Et le grand dieu divulgua son nom auprès d'Isis, la Grande Magicienne.

" Ecoule-toi, poison du scorpion. Sors de Rê et de l'œil d'Horus ! Sors du dieu, ô brûlant, selon mon incantation ! Je suis celle qui agit et je suis celle qui chasse. Va-t-en dedans la terre, puissant poison ! Vois, le grand dieu a divulgué son nom. Rê vit, le poison est mort ! " - Selon les mots d'Isis, la grande magicienne, la maîtresse des dieux, qui connaît Rê par son nom.

Paroles à prononcer sur une image d'Atoum, Horus le loué, une figure d'Isis et une image d'Horus, peintes sur la main du malade et qui doivent être léchées par cet homme. Cela peut être fait aussi sur une bande de lin très fin que l'on placera sur la gorge du malade. Ceci est un procédé pour agir contre le poison du scorpion. Ou bien encore, on pourra agir de même avec de la bière et du vin qui seront bus par l'homme qu'un scorpion a mordu. C'est cela qui détruit le poison. Vraiment efficace, un million de fois.
(Textes sacrés et textes profanes de l'ancienne Egypte II, traductions et commentaires par Claire Lalouette, Connaissance de l'Orient, Gallimard)

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Analyse de Rê et Isis

 

Café philosophique interculturel de Formidec

" Prête-moi tes oreilles, ma fille Isis, de telle sorte que mon nom passe de mon corps dans ton corps"

Samedi 20 novembre 2010 à 15 heures

Centre social, 5, rue Bonnefoi
(Lyon 3è, à 150 mètres du métro Guillotière )
Prendre la rue Paul Bert : la rue Bonnefoi est la seconde à droite


" Prête-moi tes oreilles, ma fille Isis, de telle sorte que mon nom passe de mon corps dans ton corps"

Ce sont les paroles adressées par le dieu Rê à Isis, vers la fin du texte, commenté lors du dernier café (ici début de la page 3). Pour aller plus loin dans notre interrogation et notre réflexion, nous allons, dans ce second temps, changer de registre. Il s'agira non plus d'interpréter à partir du texte mais de parler sur la base de notre ressenti. Qu'évoque, en nous, la phrase prononcée par Rê ? Pour bien interpréter cette phrase selon notre ressenti, il sera souhaitable de prendre en compte l'ensemble du paragraphe où elle est placée, et la phrase qui précède.

 

Rê et Isis (mythe égyptien)

Paroles du dieu qui vint à l'existence de lui-même, qui créa le ciel, la terre et l'eau, le souffle de la vie et le feu, les divinités et les hommes, le bétail, les serpents, les oiseaux et les poissons ; le roi des hommes et des dieux réunis dont les limites vont au-delà des années, et possédant beaucoup de noms, inconnus de celui-ci ou inconnus de celui-là.

Isis était une femme intelligente ; son cœur était plus habile que celui de millions d'hommes ; elle avait plus de discernement qu'un million de dieux ; elle était plus judicieuse qu'un million d'esprits. Elle n'ignorait rien de ce qui était dans le ciel et sur la terre, à l'égal de Rê, qui avait créé ce qui est sur la terre. Mais elle souhaitait, en son cœur, connaître le nom de ce dieu auguste.

Rê, chaque jour, entrait à la tête de son équipage et s'asseyait sur le trône des Deux Horizons. Le grand âge du dieu rendait sa bouche molle ; aussi laissait-il tomber sa salive sur le sol, ou bien il crachait en la jetant à terre. Isis (un jour) la pétrit en ses mains avec la terre sur laquelle elle se trouvait ; elle lui donna la forme d'un serpent sacré, et le modela tel un trait prêt à s'élancer. Mais, devant elle, il ne bougea pas ; aussi put-elle le placer à la croisée des chemins que le dieu auguste avait coutume de suivre, selon son désir, sur le Double Pays.

Le dieu fit son apparition hors des portes de son palais, tandis que les divinités du palais étaient en sa suite, afin de se promener, comme chaque jour. Alors le serpent sacré le mordit, et le feu de la vie sortit de lui, puis l'animal se cacha dans les roseaux. Le dieu ouvrit la bouche et la voix de Sa Majesté atteignit le ciel. Son Ennéade dit : " Qu'est-ce donc ? Qu'est-ce donc ? " ; ses dieux dirent : " Quoi donc ? Quoi donc ? " Il ne pouvait leur répondre, ses lèvres tremblaient, ses membres étaient secoués, car le poison avait pris possession de son corps, de même que le grand Nil charrie tout derrière lui.

Le grand dieu affermit alors son cœur et il appela ceux qui étaient en sa suite : " Venez à moi, vous qui êtes venus à l'existence hors de mon corps, dieux qui êtes issus de moi, afin que je vous fasse connaître ce qui m'est arrivé. Une chose douloureuse m'a mordu. Mon cœur ne la connaît pas, mes yeux ne l'ont pas vue, ma main ne l'a pas faite. Je ne reconnais en elle aucun des éléments de ma création. Mais je n'ai jamais ressenti une souffrance comme celle-là ; il n'y a rien de plus pénible que cela. Je suis un Souverain, fils de Souverain, une semence divine venue à l'existence comme dieu. Je suis le Grand, fils du Grand, celui dont le nom fut pensé par son père. J'ai beaucoup de noms et beaucoup de formes. Ma forme est aussi en chaque dieu. Je suis celui que l'on appelle Atoum et Horus le loué. Mon père et ma mère m'ont dit mon nom, et je l'ai caché en mon corps hors de portée de mes enfants de peur qu'un pouvoir soit donné à un magicien contre moi. Or je sortais pour voir ce que j'avais créé, je me promenais sur le Double Pays que j'avais fait, lorsqu'une chose me mordit que je ne connais point. Ce n'est pas le feu, ce n'est pas l'eau, mais mon cœur brûle, mon corps tremble et mes membres ont froid. Que mes enfants, les dieux me soient amenés, avec des paroles bénéfiques - les dieux qui savent les formules magiques et dont la connaissance atteint le ciel ".

Alors les enfants du dieu vinrent à lui, chacun d'eux se lamentant. Isis s'en vint avec son pouvoir et ses incantations magiques, possédant le souffle de la vie, avec ses incantations magiques pour repousser la maladie, avec ses paroles capables de rendre la vie à une bouche qui étouffe. Elle dit : " Qu'est-ce-donc ? Qu'est-ce donc ? ô mon divin père ! L'un de tes enfants aurait-il levé la tête à ton encontre ? Alors je le ferai tomber grâce à mon pouvoir magique parfait, et je ferai qu'il soit chassé de la vue de tes rayons ".

Le dieu auguste ouvrit la bouche : " En vérité, je marchais sur le chemin, je me prosternais dans le Double Pays, mon cœur souhaitant de revoir ce que j'avais créé, lorsque je fus mordu par un serpent que je n'aperçus même point. Ce n'est pas le feu, ce n'est pas l'eau, mais je suis plus froid que l'eau et plus chaud que le feu ; tout mon corps transpire, et je tremble ; mon regard n'est pas ferme, je ne vois plus ; et le ciel fait que l'eau inonde mon visage comme au temps de l'été ".

Isis répondit : " Dis-moi ton nom, mon divin père ! Car un homme revit lorsqu'il est appelé par son nom ". - " Je suis celui qui a fait le ciel et la terre, qui a lié les montagnes, qui a créé ce qui existe sur eux. Je suis celui qui a fait l'eau, de telle sorte que la vache nommée Mehet-Ouret put venir à l'existence. J'ai fait le taureau pour la vache, de telle sorte que la jouissance sexuelle vînt aussi à l'existence. Je suis celui qui a fait l'empyrée et les mystères des deux horizons, j'ai placé là les ba des dieux. Je suis celui qui fait venir la lumière lorsqu'il ouvre les yeux, et amène l'obscurité lorsqu'il les ferme. L'eau du Nil coule selon son ordre, celui dont les dieux ignorent le nom. Je suis celui qui a fait venir à l'existence les heures et les jours, je suis celui qui a établi la répartition des fêtes de l'année, et qui a créé le fleuve. Je suis celui qui a fait le feu de la vie, afin de donner existence aux œuvres des temples. Je suis Khepri au matin, Rê au zénith, Atoum dans le soir/ "

- Mais cela n'arrêta pas le poison dans sa course, et le grand dieu ne se remettait point.

Isis dit alors à Rê : " Ton nom n'est pas parmi ceux que tu m'as dits. Dis-le-moi donc, et le poison sortira, car un homme revit lorsque son nom est prononcé ".

Le poison brûlait de toute sa brûlure, il était plus fort que la cuisson du feu. Alors Rê dit : " Prête-moi tes oreilles, ma fille Isis, de telle sorte que mon nom passe de mon corps dans ton corps. Le plus divin des dieux l'a caché, pour que ma place soit vaste dans le navire des millions d'années. Lorsqu'il sera sorti de mon cœur, dis-le à ton fils Horus, en le liant par un serment divin, en ayant placé Dieu devant son regard ". Et le grand dieu divulgua son nom auprès d'Isis, la Grande Magicienne.

" Ecoule-toi, poison du scorpion. Sors de Rê et de l'œil d'Horus ! Sors du dieu, ô brûlant, selon mon incantation ! Je suis celle qui agit et je suis celle qui chasse. Va-t-en dedans la terre, puissant poison ! Vois, le grand dieu a divulgué son nom. Rê vit, le poison est mort ! " - Selon les mots d'Isis, la grande magicienne, la maîtresse des dieux, qui connaît Rê par son nom.

Paroles à prononcer sur une image d'Atoum, Horus le loué, une figure d'Isis et une image d'Horus, peintes sur la main du malade et qui doivent être léchées par cet homme. Cela peut être fait aussi sur une bande de lin très fin que l'on placera sur la gorge du malade. Ceci est un procédé pour agir contre le poison du scorpion. Ou bien encore, on pourra agir de même avec de la bière et du vin qui seront bus par l'homme qu'un scorpion a mordu. C'est cela qui détruit le poison. Vraiment efficace, un million de fois.
(Textes sacrés et textes profanes de l'ancienne Egypte II, traductions et commentaires par Claire Lalouette, Connaissance de l'Orient, Gallimard)


Internet : http://www.etienneduval.fr/cafephilosophique/

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Analyse synthétique

 

Samedi 18 décembre 2010 à 15 heures

Homme et femme dans le récit de la chute

Centre social, 5, rue Bonnefoi
(Lyon 3è, à 150 mètres du métro Guillotière )
Prendre la rue Paul Bert : la rue Bonnefoi est la seconde à droite

La chute dans la Bible

Le serpent était le plus rusé de tous les animaux des champs
Que Yahvé avait faits.
Il dit à la femme : "Alors Dieu a dit :
Vous ne mangerez pas de tous les arbres du jardin ?"
La femme répondit au serpent :
"Nous pouvons manger du fruit des arbres du jardin.
Mais du fruit qui est au milieu du jardin, Dieu a dit :
Vous n'en mangerez pas, vous n'y toucherez pas, sous peine de mort."
Le serpent répliqua à la femme :
"Pas du tout ! Vous ne mourrez pas !
Mais Dieu sait que le jour où vous en mangerez,
Vos yeux s'ouvriront et vous serez comme des dieux,
Qui connaissent le bien et le mal."
La femme vit que l'arbre était bon à manger et séduisant à voir,
Et qu'il était, cet arbre, désirable pour acquérir le discernement.
Elle prit de son fruit et mangea.
Elle en donna aussi à son mari,
Qui était avec elle, et il mangea.
Alors leurs yeux à tous deux s'ouvrirent
Et ils connurent qu'ils étaient nus ;
Ils cousirent des feuilles de figuier et se firent des pagnes.

Ils entendirent le pas de Yahvé Dieu,
Qui se promenait dans le jardin à la brise du jour,
Et l'homme et la femme se cachèrent devant Yahvé Dieu
Parmi les arbres du jardin.
Yahvé Dieu appela l'homme : "Où es-tu ?" dit-il.
"J'ai entendu ton pas dans le jardin, répondit l'homme :
J'ai eu peur parce que je suis nu et je me suis caché."
Il reprit : "Et qui t'a appris que tu étais nu ?
Tu as donc mangé de l'arbre dont je t'avais défendu de manger !"
L'homme répondit : "C'est la femme que tu as mise auprès de moi
Qui m'a donné de l'arbre et j'ai mangé !"
Yahvé Dieu dit à la femme : "Qu'as-tu fait là ?"
Et la femme répondit : "C'est le serpent
Qui m'a séduite et j'ai mangé."

Alors Yahvé Dieu dit au serpent : Parce que tu as fait cela,
Maudit sois-tu entre tous les bestiaux
Et toutes les bêtes sauvages.
Tu marcheras sur ton ventre
Et tu mangeras de la terre tous les jours de ta vie.
Je mettrai une hostilité entre toi et la femme, entre ton lignage et le sien.
Il t'écrasera la tête et tu l'atteindra au talon."


A la femme il dit : "Je multiplierai les peines de tes grossesses,
Dans la peine, tu enfanteras des fils.
Ta convoitise te poussera vers ton mari
Et lui dominera sur toi."

A l'homme il dit : "Parce que tu as écouté la voix de la femme
Et que tu as mangé de l'arbre dont je t'avais interdit de manger,
Maudit soit le sol à cause de toi !
A force de peine tu en tireras subsistance
Tous les jours de ta vie.
Il produira pour toi épines et chardons
Et tu mangeras l'herbe des champs.
A la sueur de ton visage, tu mangeras ton pain,
Jusqu'à ce que tu retournes au sol, puisque tu en fus tiré.
Car tu es glaise et tu retourneras à la glaise."

L'homme appela sa femme "Eve",
Parce qu'elle fut la mère de tous les vivants.
Yahvé fit à l'homme et à sa femme des tuniques de peau et les en vêtit.
Puis Yahvé Dieu dit : "Voilà que l'homme est devenu comme l'un de nous,
Pour connaître le bien et le mal !
Qu'il n'étende pas maintenant la main,
Ne cueille aussi de l'arbre de vie,
N'en mange et ne vive pour toujours !"
Et Yahvé Dieu le renvoya du jardin d'Eden
Pour cultiver le sol d'où il avait été tiré.
Il bannit l'homme et il posta devant le jardin d'Eden les chérubins
Et la flamme du glaive fulgurant
Pour garder le chemin de l'arbre de vie.
(Bible de Jérusalem, Genèse, 3, 1-24)
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Analyse de la chute

 

Samedi 15 janvier 2011 à 15 heures

" Puis Yahvé Dieu dit :

"Voilà que l'homme est devenu comme l'un de nous,
Pour connaître le bien et le mal !
Qu'il n'étende pas maintenant la main,
Ne cueille aussi de l'arbre de vie,
N'en mange et ne vive pour toujours !
"

Centre social, 5, rue Bonnefoi
(Lyon 3è, à 150 mètres du métro Guillotière)
Prendre la rue Paul Bert : la rue Bonnefoi est la seconde à droite


Au cours du café philosophique du 18 décembre, qui s'est avéré passionnant comme le précédent, nous avons choisi, par vote, la phrase du texte de la chute, reprise ci-dessus. Le 15 janvier prochain, nous travaillerons donc sur cette phrase à partir de notre ressenti. Ainsi, après avoir travaillé principalement sur l'arbre de la connaissance, nous nous interrogerons sur l'arbre de vie.

Récit de la chute dans la Genèse


Le serpent était le plus rusé de tous les animaux des champs
Que Yahvé avait faits.
Il dit à la femme : "Alors Dieu a dit :
Vous ne mangerez pas de tous les arbres du jardin ?"
La femme répondit au serpent :
"Nous pouvons manger du fruit des arbres du jardin.
Mais du fruit qui est au milieu du jardin, Dieu a dit :
Vous n'en mangerez pas, vous n'y toucherez pas, sous peine de mort."
Le serpent répliqua à la femme :
"Pas du tout ! Vous ne mourrez pas !
Mais Dieu sait que le jour où vous en mangerez,
Vos yeux s'ouvriront et vous serez comme des dieux,
Qui connaissent le bien et le mal."
La femme vit que l'arbre était bon à manger et séduisant à voir,
Et qu'il était, cet arbre, désirable pour acquérir le discernement.
Elle prit de son fruit et mangea.
Elle en donna aussi à son mari,
Qui était avec elle, et il mangea.
Alors leurs yeux à tous deux s'ouvrirent
Et ils connurent qu'ils étaient nus ;
Ils cousirent des feuilles de figuier et se firent des pagnes.

Ils entendirent le pas de Yahvé Dieu,
Qui se promenait dans le jardin à la brise du jour,
Et l'homme et la femme se cachèrent devant Yahvé Dieu
Parmi les arbres du jardin.
Yahvé Dieu appela l'homme : "Où es-tu ?" dit-il.
"J'ai entendu ton pas dans le jardin, répondit l'homme :
J'ai eu peur parce que je suis nu et je me suis caché."
Il reprit : "Et qui t'a appris que tu étais nu ?
Tu as donc mangé de l'arbre dont je t'avais défendu de manger !"
L'homme répondit : "C'est la femme que tu as mise auprès de moi
Qui m'a donné de l'arbre et j'ai mangé !"
Yahvé Dieu dit à la femme : "Qu'as-tu fait là ?"
Et la femme répondit : "C'est le serpent
Qui m'a séduite et j'ai mangé."

Alors Yahvé Dieu dit au serpent : Parce que tu as fait cela,
Maudit sois-tu entre tous les bestiaux
Et toutes les bêtes sauvages.
Tu marcheras sur ton ventre
Et tu mangeras de la terre tous les jours de ta vie.
Je mettrai une hostilité entre toi et la femme, entre ton lignage et le sien.
Il t'écrasera la tête et tu l'atteindra au talon."


A la femme il dit : "Je multiplierai les peines de tes grossesses,
Dans la peine, tu enfanteras des fils.
Ta convoitise te poussera vers ton mari
Et lui dominera sur toi."

A l'homme il dit : "Parce que tu as écouté la voix de la femme
Et que tu as mangé de l'arbre dont je t'avais interdit de manger,
Maudit soit le sol à cause de toi !
A force de peine tu en tireras subsistance
Tous les jours de ta vie.
Il produira pour toi épines et chardons
Et tu mangeras l'herbe des champs.
A la sueur de ton visage, tu mangeras ton pain,
Jusqu'à ce que tu retournes au sol, puisque tu en fus tiré.
Car tu es glaise et tu retourneras à la glaise."

L'homme appela sa femme "Ève",
Parce qu'elle fut la mère de tous les vivants.
Yahvé fit à l'homme et à sa femme des tuniques de peau et les en vêtit.
Puis Yahvé Dieu dit : "Voilà que l'homme est devenu comme l'un de nous,
Pour connaître le bien et le mal !
Qu'il n'étende pas maintenant la main,
Ne cueille aussi de l'arbre de vie,
N'en mange et ne vive pour toujours !"
Et Yahvé Dieu le renvoya du jardin d'Eden
Pour cultiver le sol d'où il avait été tiré.
Il bannit l'homme et il posta devant le jardin d'Eden les chérubins
Et la flamme du glaive fulgurant
Pour garder le chemin de l'arbre de vie.
(Bible de Jérusalem, Genèse, 3, 1-24)

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Analyse de Genèse 3, 22

 

 

Samedi 19 février à 15 heures

Centre social, 5, rue Bonnefoi
(Lyon 3è, à 150 mètres du métro Guillotière)
Prendre la rue Paul Bert : la rue Bonnefoi est la seconde à droite

La chute dans le Coran

Nous vous avons créés et de plus façonnés. Et pour comble, Nous dîmes aux anges : " Prosternez-vous devant Adam ". Ils le firent, à l'exception d'Iblis, qui n'était pas des prosternants.
Dieu lui dit : " Qu'est-ce qui t'empêche de te prosterner, quand Je te l'ai enjoint ? - Je vaux mieux qu'Adam, dit-il, Tu m'as réé de feu, lui d'argile ".
Dieu dit: "Descends d'ici : tu n'es pas en mesure d'y faire l'orgueilleux. Sors. Abject sois-tu entre tous ! "
Satan dit : " Ajourne-moi aux jours de leur résurrection ".
Dieu dit : " Ajourné sois-tu ".
Il dit : " De ce même égarement dont Tu m'as affligé, je veux hanter pour eux Ta voie de rectitude ;
Que dis-je ? fondre sur eux de devant, de derrière, de droite et de gauche : Tu n'en trouveras pas beaucoup pour T'être reconnaissants ".
Dieu dit : " Sors d'ici dans la déchéance et l'exil. Quiconque parmi eux te suivra… que de vous tous ensemble J'emplisse la Géhenne ! "
Et aussi : " Toi Adam, ainsi que ton épouse, habitez le Jardin, mangez de ce que vous voudrez, mais n'approchez pas de cet arbre : vous seriez des iniques ".
Alors Satan leur chuchota, de sorte à leur découvrir ce qui de leurs parties honteuses leur demeurait jusque là caché : " Votre Seigneur ne vous a interdit cet arbre, dit-il, que pour vous empêcher d'être deux anges ou des éternels ".
Et de leur jurer : " Je suis pour vous le meilleur des conseillers ".
Ainsi perfidement les faisait-il dévaler. Alors, dès qu'ils eurent goûter à l'arbre, ils découvrirent leur sexe et commencèrent par tresser dessus des feuilles du Jardin. Cependant leur Seigneur les héla : " Ne vous avais-je pas interdit cet arbre, et prévenus que Satan est pour vous un ennemi déclaré ? "
- " Notre Seigneur, dirent-ils, nous deux, nous venons d'être iniques envers nous-mêmes. A moins que Tu ne nous pardonnes et ne nous dispenses Ta Miséricorde, sûr que nous sommes des perdants entre tous ".

Dieu dit : " Descendez ! L'un de l'autre ennemi vous serez. Toutefois sur la terre vous aurez établissement, et jouissance pour un temps. Vous y vivrez, dit-il, vous y mourrez, et puis l'on vous fera sortir…
O Fils d'Adam, nous avons fait descendre sur vous une vêture pour cacher votre honte, et comme plumage, mais la vêture de se prémunir vaut davantage ".
- Autant de signes de Dieu, destinés à vous faire méditer.
O Fils d'Adam, que ne vous séduise le Satan, de même qu'il fit sortir vos parents du Jardin en leur ôtant leur vêture leur découvrir leur honte. Car il vous voit, lui et sa gent, par où vous ne voyez point. Nous avons donné les satans comme protecteurs aux incroyants…
Le Coran, traduction de Jacques Berque, Sourate VII, Les Redans, 11-27

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Analyse du récit de la chute dans le Coran

 

Café philosophique interculturel de Formidec

Samedi 19 mars 2011 à 15 heures

Centre social, 5, rue Bonnefoi
(Lyon 3è, à 150 mètres du métro Guillotière)
Prendre la rue Paul Bert : la rue Bonnefoi est la seconde à droite

Sulaïmâane et la reine de Saba
(Sourate XXVII, " Les fourmis ")

1 Tâ sîne (T S). Ce sont là des signes du Coran et d'un Livre explicite
2 en tant que guidance et que bonne nouvelle pour les croyants
3 ceux qui élèvent la prière, acquittent la purification : ils ont certitude, eux, de la vie dernière
[…]
6 tu reçois certes le Coran du sein d'un Sage, d'un Connaissant.
7. Lors Moïse dit aux siens : " Je perçois un feu. Je vous en rapporterai une information, ou un brandon en flamme dont vous pourriez vous réchauffer ".
8. Quand il y parvint, il fut appelé : " Beni Celui qui est dans le feu et [Celui] qui l'entoure
- O transcendance de Dieu, Seigneur des univers !
9. - Moïse, Moi Je suis Dieu, le Tout-puissant, le Sage […] "
16. Sulaïmâane hérita de Dâwood. Il dit : " Humains, on nous a enseigné le langage des oiseaux, nous sommes gratifiés de tout [outîna min koulli chaïe]. "
- C'était là le privilège éclatant.
17. Et fut rassemblée par Sulaïmâane son armée de djinns, d'hommes et d'oiseaux, à sa discrétion.
18. Ils arrivèrent enfin à la vallée des fourmis. Une fourmi dit : " Fourmis, rentrons dans nos demeures, que Sulaïmâane ne nous écrase avec ses soldats, sans même s'en rendre compte ".
19. Sulaïmâane modéra en sourire le rire que lui inspirait ce propos : " Seigneur, dit-il, confirme-moi dans l'action de grâces pour le bienfait que Tu m'as dispensé comme à mon père et mère, et dans l'accomplissement de l'œuvre salutaire qui puisse Te contenter. Fais-moi entrer par Ta miséricorde au nombre de Tes adorateurs justifiés ".
20. Après avoir cherché parmi les oiseaux, il dit : " Comment ne vois-je pas la huppe ? Serait-elle parmi les manquants ? "
21. que je lui inflige une punition sévère ! Ou même l'égorge à moins qu'elle ne me présente une justification explicite "
22. or, sans l'avoir trop fait attendre, elle dit : " J'ai embrassé de mon savoir ce que tu ne sais pas. Je t'arrive de Saba avec une information de certitude
23. J'ai trouvé qu'une femme est leur reine [tamlikouhoum] : elle est comblée de tout [outïate min koulli chaïe], possède un trône magnifique [archoune âdîme]
24. J'ai trouvé qu'elle et son peuple se prosternent devant le soleil en place de Dieu. Satan leur pare leurs actions et les détourne du chemin, de sorte qu'ils ne se dirigent pas bien ".
25. - Quoi ! ne pas se prosterner devant Dieu qui met au jour ce qui est caché aux cieux et sur la terre, et connaît ce qu'ils cèlent et ce qu'ils publient
26. Dieu - il n'est de dieu que Lui -, c'est Lui le seigneur du Trône souverain [al-archi l'âdîme].
27. Sulaïmâane dit : " Nous verrons si tu dis vrai ou si tu n'es qu'une menteuse effrontée
28. pars avec ce mien écrit, et lance-le-leur, et puis prends quelque distance et observe leur réponse. "
29. Elle dit : " Conseil, il m'a été lancé un écrit généreux
30. "C'est de la part de Sulaïmâane et c'est au nom de Dieu, le Tout miséricorde, le Miséricordieux :
31. N'allez pas vous croire supérieurs à moi. Venez à moi faire votre soumission [muslimîne]." "
32. Elle dit : " Conseil, éclairez-moi sur ma décision. Je ne trancherai rien qu'en votre présence "
33. Ils dirent : " Nous sommes détenteurs d'une force et d'une puissance redoutable. La décision te revient. Vois toi-même que décider "
34. Elle dit : " Les rois quand ils envahissent une cité, y font grand dégât, et réduisent les honorables citoyens parmi son peuple à la vilenie (adillah]. " - Ils en usent ainsi
35. c'est pourquoi je leur dépêche un messager avec un présent, puis j'attends pour voir ce que rapportent les messagers "
36. Quand le messager vint à Sulaïmâane, ce dernier lui dit : " Vous me feriez largesse d'argent ? Mais Dieu m'a donné davantage qu'à vous ! À vous plutôt, de faire bombance avec votre présent !
37. Toi, retourne aux tiens. Je jure de les assaillir avec une armée à laquelle ils ne peuvent faire face, et de les expulser de leur cité, avilis et humiliés [adillah] ! "
38. " Conseil, dit-il, qui va m'apporter son trône avant qu'ils ne viennent à moi soumis ? "
39. Un djinn redoutable dit : " Je vais te l'apporter avant que tu ne te lèves de ta place, et je suis aussi sûr que fort "
40. Celui qui avait une connaissance du Livre dit : " Je te l'apporterai avant que tu n'aies cillé. " Quand Sulaïmâane eut vu le trône bien en place auprès de lui, il dit : " Cela n'est dû qu'à la grâce de mon Seigneur, aux fins de m'éprouver : serai-je reconnaissant ou ingrat ? Qui témoigne de gratitude ne le fait que pour lui-même, qui témoigne d'ingratitude… mon Seigneur est Suffisant-à-Soi, Généreux "
41. Il dit : " Transformez-lui son trône. Nous allons voir si elle va se guider ou si elle fait partie de ceux qui ne se guident pas "
42 quand elle fut venue, il lui fut dit : " Ton trône est-il bien ainsi ? "
- " On dirait que c'est lui ", répondit-elle. " Mais nous avions été dotés de la science avant elle, étant déjà musulmans (ou de Ceux-qui-se-soumettent)
43. tandis qu'elle trouvait un obstacle en cela qu'elle adorait en place de Dieu, appartenant à un peuple de dénégation. "
44. - On lui dit : " Entre dans le palais. " À sa vue, elle crut voir une nappe d'eau profonde et dénuda ses jambes. Sulaïmâane dit : " C'est un palais lissé de verre. " " Mon Dieu, dit-elle alors, j'étais inique envers moi-même. Avec Sulaïmâane je me soumets à Dieu, Seigneur des univers. "
Internet : http://www.etienneduval.fr/cafephilosophique

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Samedi 16 avril 2011 à 15 heures

Centre social, 5, rue Bonnefoi
(Lyon 3è, à 150 mètres du métro Guillotière)
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Oedipe

Il y a bien longtemps,Thèbes était gouverné par le roi Laïos et la reine Jocaste. Ils n'avaient pas d'enfant et souhaitaient en vain un garçon pour assurer leur succession.

Un jour, le roi envoya un messager à Delphes pour demander au fameux oracle ce qu'il fallait faire pour apaiser le courroux des dieux. Ce fut une atroce prédiction que rapporta l'homme à ses souverains : le monarque en resta muet d'horreur. " Il te naîtra un fils, et, avec lui, le malheur s'abattra sur ton palais. Tu mourras toi-même de sa main. " Désespérée, la reine passa ses nuits à pleurer. Aussi, lorsque Jocaste mit au monde un garçon, la joie céda la place à la terreur. Laïos ne voulut pas voir l'enfant et ordonna sur-le-champ qu'un vieux berger l'emporte dans la montagne et l'abandonne aux animaux sauvages. Mais le berger prit pitié de cet innocent et le sauva de la mort. Il l'emmena chez un de ses amis, berger lui aussi, qui gardait les troupeaux du roi de Corinthe. Puis il s'en revint à Thèbes en prétendant avoir accompli sa fatale mission. Alors Laïos se calma et, après quelques mois, la reine sécha ses pleurs et oublia son malheureux nouveau-né. Puis le couple royal se fit à l'idée qu'il n'aurait pas de descendance.

Le berger qui avait recueilli le petit garçon lui donna pour nom Oedipe et l'emmena dans la cité de Corinthe. Le roi de ce pays, qui lui aussi n'avait pas d'héritier, s'attacha à l'enfant et l'adopta. Oedipe prit ses forces et grandit sans se douter le moins du monde de ses véritables origines : le secret en était bien gardé.

Lorsqu'il devint adulte, son père adoptif organisa une grande fête en son honneur. Les vins les plus fins égayèrent les visages et les esprits des joyeux convives. Puis les invités se mirent à raconter des histoires vraies ou fausses et ceux qui avaient le sang chaud se mirent à se disputer. Oedipe, qui était lui aussi un tempérament très passionné, prit part à la querelle. C'est alors qu'un homme, pris de boisson, voulant cruellement l'offenser, s'exclama : " J'en ai assez de me disputer avec toi. Seuls les dieux savent de qui tu es le fils. Sûrement pas celui de notre roi ". Le jeune homme domina sa colère et se tut car une étrange pensée venait de le priver à jamais de la paix du coeur. La première chose qu'il fit le lendemain fut de demander au roi et à la reine si on lui avait dit la vérité. Ils essayèrent de le rassurer, et se fâchèrent contre l'imprudent bavard. Doutant de leur sincérité, Oedipe sourit tristement sans les croire. Et, comme les soupçons le troublaient chaque jour davantage, il décida, sans en demander la permission, d'aller consulter l'oracle de Delphes. Mais il quitta Delphes encore plus troublé qu'il n'y était arrivé, car une sinistre prédiction lui avait été faite : " Fuis ton père ! Si tu le rencontres, tu le tueras de tes propres mains, et tu épouseras ta mère ".

Aussitôt, la résolution d'Oedipe fut prise : il ne retournerait pas chez ses parents adoptifs, qu'il croyait être ses véritables parents. Il prit la direction opposée à Corinthe, erra dans des pays inconnus et suivit les étoiles de façon que sa route ne le ramène jamais vers sa patrie, car il craignait de voir s'accomplir le présage fatal. Un jour, il rencontra un char à la croisée de deux chemins. Sur ce char, un vieillard et deux serviteurs. Comme ils étaient pressés, ils interpellèrent Oedipe : " Laisse-nous passer et vite ! " Notre héros ne bougea pas mais se mit à se quereller avec le conducteur impatient, et le jeta à bas de son siège. Alors le vieillard entra dans une grande colère et voulut frapper le jeune homme. Mais celui-ci, plus rapide que lui et doté d'un caractère fort emporté, le tua, massacra ses serviteurs, et, enfin calmé, poursuivit sa route.

Peu de temps après, Oedipe aperçut les remparts de la ville de Thèbes. Comme il se sentait fatigué, il s'assit sur une pierre en bordure du chemin pour se reposer. Soudain, il vit apparaître un voyageur marchant d'un pas très rapide et qui semblait fuir la cité. L'homme s'arrêta devant notre héros et s'exclama : " Qui es-tu donc pour t'arrêter aussi calmement ? Je ne conseillerais pas cela même à mon pire ennemi ". Oedipe regarda le nouveau venu avec stupéfaction. " L'un se repose tandis que l'autre court, dit-il, tu fuis Thèbes tandis que moi j'y vais. - Tu vas à Thèbes, s'écria le voyageur terrifié. Mais ne sais-tu pas qu'un Sphinx s'est installé sur un rocher près des murs de la ville ? - Je viens de Corinthe, répondit le jeune homme, et je n'ai parlé à personne en chemin. - Eh bien, écoute, lui murmura l'homme. Le Sphinx est une créature à tête de femme et au corps de lion. Sur son dos, il a des ailes. Chaque jour, un habitant de la ville doit aller le voir pour qu'il lui pose une énigme. S'il ne la résout pas, le Sphinx le précipite dans l'abîme. Personne n'arrive à trouver la réponse, c'est une véritable sorcellerie. Aussi, je suis bien content de n'être pas Thébain. Dès que je suis arrivé dans la cité et que j'ai su le funeste sort qui la frappait, j'ai pris mes jambes à mon cou. Puisque toi aussi, tu es étranger, n'y va pas, fuis avec moi. - Poursuis ta route, dit Oedipe, ta vie t'est sans doute très chère si j'en juge par la façon dont tu la protèges. Quant à moi, si je meurs, j'échapperai à une terrible fatalité. " Ayant prononcé ces paroles, il se leva et, perdu dans ses tristes pensées, s'avança vers la ville. Resté seul, le voyageur hocha la tête : " Il n'est pas de Thèbes et il veut se mêler de cela ! Grand bien lui fasse ! " Et il reprit sa course.

Ayant atteint la cité, Oedipe se dirigea aussitôt vers le palais royal où il trouva la reine Jocaste et son frère Créon. Le roi Laïos était parti à Delphes pour demander à l'oracle comment délivrer le royaume. Il n'en était pas revenu et l'on supposait qu'il avait été attaqué et tué par des voleurs de grand chemin. Aussi, pour le moment, Créon régnait-il à la place du défunt. Le jeune homme s'avança devant lui et dit : " Je sais le fléau qui s'est abattu sur ton peuple. Je vais aller trouver le Sphinx et j'essaierai de résoudre son énigme ". Jocaste et Créon furent surpris par tant de ténacité et le frère de la reine soupira tristement : " Les dieux aident les braves. Mon fils lui aussi a été victime de ce maudit sort et nous le serons tous à notre tour si personne ne trouve la solution de l'énigme. Je serai heureux de céder mon trône à qui nous délivrera du Sphinx. " La reine contempla le jeune homme avec admiration sans se douter qu'il était son propre fils. Le lendemain, tous les citoyens de Thèbes accompagnèrent le héros à l'une des sept portes de la ville ; mais ils n'osèrent pas s'aventurer plus loin. Oedipe escalada le sentier abrupt qui menait au rocher où se tenait le Sphinx. Déjà celui-ci attendait sa victime. Il cligna de l'oeil et lança au jeune homme un regard rusé. " Ecoute attentivement, scanda la voix avec une dureté inhumaine : Le matin, il a une tête et quatre jambes. A midi, il n'en a plus que deux. Et, le soir, il en a trois. Plus il a de jambes et moins il a de forces ". Oedipe sourit : grâce à son intelligence, la question lui avait paru facile. " C'est l'homme, dit-il. Au matin de sa vie il marche à quatre pattes. Au midi, qui représente l'âge adulte, il marche droit sur ses deux jambes, et au soir de sa vie il a besoin d'un bâton pour étayer sa faiblesse. Ce bâton, c'est sa troisième jambe. - Tu as résolu l'énigme, hurla le Sphinx ", et il se précipita dans l'abîme.

Lorsque du haut des remparts les Thébains aperçurent Oedipe qui revenait, sain et sauf, de sa mission, leur joie éclata bruyamment. Ils l'accueillirent en libérateur et Créon lui céda le trône. Ainsi le jeune homme devint roi de Thèbes et reçut la reine Jocaste pour épouse. Longtemps Oedipe régna avec bonheur et justice. La reine donna naissance à deux fils, Etéocle et Polynice, et à deux filles, Antigone et Ismène, sans que personne ne soupçonne que le enfants du roi étaient aussi ses frères et ses soeurs. Les années passèrent. Les fils devinrent des hommes, les filles des femmes. C'est alors que la peste s'abattit sur le pays. La Mort fit des ravages dans toutes les demeures, des familles entières furent décimées et une grande anxiété s'empara de ceux qui espéraient encore survivre. Même le bétail dans les prés se fit rare. Les bergers disparaissaient et les troupeaux périssaient. Les vallons, qui auparavant retentissaient de meuglements, étaient maintenant silencieux et déserts. Le peuple terrifié supplia Oedipe d'intercéder en sa faveur : depuis sa victoire sur le Sphinx, on le pensait protégé par l'Olympe. " Rentrez tranquillement chez vous, répondit le héros. Ce soir, Créon, le frère de ma femme, reviendra de Delphes avec une prédiction. Nous obéirons à la volonté exprimée par les dieux et chasserons le fléau de notre pays. "

Avant même que le jour soit tombé, un char tiré par des chevaux écumants s'arrêta devant le palais et Créon en descendit rapidement pour faire part au roi de ce que lui avait dit l'oracle. " Ce ne sera ni facile ni rapide de soulager notre peine, dit-il au souverain. Le meurtrier du roi Laïos est dans nos murs. Tant qu'il ne sera pas puni nous ne serons pas débarrassés de la peste. " Aussitôt Oedipe fit annoncer dans toute le royaume que quiconque aurait un témoignage à fournir concernant l'assassinat du défunt roi était prié de se présenter au palais sans aucun délai. Il convoqua ainsi l'aveugle Tirésias auquel les dieux avaient accordé le don de prophétie. Mais celui-ci refusa plusieurs fois d'obéir à cet appel et, lorsque finalement il fut forcé de se rendre au palais, il montra une grande réticence, refusa de franchir la porte et resta obstinément sur le seuil. Oedipe sortit le rejoindre : " Entre donc, insista-t-il, nous attendons avec impatience ton sage conseil. - Renvoie-moi, ô roi, supplia alors l'aveugle, il serait préférable, pour toi comme pour moi, que je ne te révèle pas le nom du coupable. L'ignorance est parfois précieuse. - Parle, l'encouragea le héros, nous souhaitons tous délivrer Thèbes. Tu ne dois pas être une exception. Chacun, ici, désire t'entendre. - Ne m'oblige pas à dévoiler le secret. Permets-moi de me taire : un horrible fléau s'est abattu sur nos têtes, mais un malheur bien plus grand te frappera si je parle. - Très bien, s'exclama le roi. Je comprends pourquoi tu gardes le silence : je pense que tu es le complice des meurtriers. Tu es traître à ton pays et, si tu n'étais pas aveugle, je dirais que tu es toi-même l'assassin. " Après une telle réprimande, Tirésias ne résista plus et révéla ce qu'il savait depuis longtemps. " Tu veux connaître la vérité ? Eh bien, je vais te le dire. Tu as toi-même tué Laïos et tu as épousé ta propre mère ! " Se souvenant du lointain présage, Oedipe s'alarma. Mais bientôt la colère chassa ce troublant souvenir. " Qui a inventé cela ? s'écria-t-il : Créon ou toi ? Vous voulez donc vous emparer de mon trône par la traîtrise et par la fourberie ? Ou bien peut-être es-tu fou ? - Il te semble que j'ai perdu la raison, répondit le prophète, pourtant tes parents me considéraient comme un sage. L'avenir montrera qui a dit la vérité et qui n'a pas voulu comprendre. " Et, sur ces mots, le vieil aveugle quitta le palais. La reine Jocaste consola le bouillant Oedipe : " Quelle importance a donc la prophétie de Tirésias ? Ne te tracasse pas. Je peux te donner l'exemple d'un faux présage : mon premier mari Laïos, avait lui aussi consulté l'oracle qui lui avait prédit qu'il périrait de la main de son propre fils. Et notre unique enfant est mort dans la montagne. Quant à Laïos, il fut tué par des voleurs, au croisement de deux routes en revenant de Delphes. - A un croisement de chemins, reprit vivement Oedipe. Et à quoi ressemblait-il ? - Il était grand, répondit la reine, ses cheveux blanchissaient sur les tempes et il te ressemblait beaucoup. - L'aveugle avait raison ", s'écria Oedipe horrifié. Et il se mit à poser des questions à sa femme. Plus il obtenait de réponses, plus il se sentait coupable et malheureux. L'histoire du défunt roi, tué par des voleurs s'évanouit, faisant place à l'horrible supposition qu'Oedipe lui-même était le meurtrier.

C'est alors qu'arriva de Corinthe un messager apportant la nouvelle de la mort du roi et offrant au héros le trône vacant. Jocaste demanda des précisions sur la mort du souverain et lorsqu'elle apprit que celui-ci était mort de vieillesse dans son lit, elle courut trouver son époux et lui dit, avec un radieux souvenir, " Tu t'es fait bien du souci : pendant ce temps, ton père passait paisiblement de vie à trépas ". Mais cette annonce n'apaisa pas Oedipe. Il ne pouvait s'empêcher de penser aux propos de l'ivrogne qui avaient gâché sa jeunesse. " Je ne retournerai pas à Corinthe, dit-il au messager, car ma mère y vit encore. - Seigneur, si tu crains ta mère, je vais te rassurer : ni le roi ni la reine n'étaient tes parents : c'est moi-même, qui t'ai apporté dans la cité alors que tu n'étais qu'un tout petit enfant. - Et où m'as-tu trouvé ? s'enquit Oedipe. - Un vieux berger du roi de Thèbes t'a confié à moi, un jour dans la montagne. " A ces mots, Oedipe poussa un horrible cri et s'enfuit du palais. Il n'y avait plus de doute possible : l'affreuse prédiction s'était accomplie. Il parcourut la ville en demandant à tous les citoyens qu'il rencontrait de le tuer et de délivrer ainsi le pays du mal qui le rongeait. Mais les Thébains avaient pitié de leur roi et n'arrivaient pas à le haïr. Alors le malheureux revint au palais, fermement décidé à se punir lui-même. Il y trouva les servantes en pleurs. Ses filles terrorisées lui montrèrent la chambre où la reine Jocaste venait de se pendre. Oedipe se précipita vers elle, prit une épingle d'or de son voile et se creva les yeux. Rendu aveugle par sa propre volonté, il appela Créon : " Prends le trône et bannis-moi ! "

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Analyse d'Œdipe et Mort de'Oedipe

Samedi 21 mai 2011

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Antigone et la mort d'Oedipe

Le nouveau souverain s'efforça pourtant de le garder à Thèbes. La peste avait disparu, la paix et la prospérité revenaient. Mais personne n'arriva à persuader Oedipe de rester dans la ville. Il partit, appuyé sur un bâton, accompagné de sa fille aînée Antigone. Elle seule avait refusé d'abandonner son père dans le malheur. Bientôt ce couple d'étranges voyageurs fut connu de toute la Grèce : le vieil aveugle conduit par la ravissante jeune fille. Ils erraient tous les deux à la recherche des bosquets des Erinyes, déesses chargées de punir les parricides, car l'oracle avait prédit qu'Oedipe y trouverait la paix.

Pendant ce temps les fils d'Oedipe, Etéocle et Polynice, avaient grandi et se disputaient le trône de Thèbes. Leur rivalité était bien loin de rendre service au pays et Créon, inquiet de cette discorde, leur conseilla de régner chacun à leur tour. Les frères acceptèrent. Polynice allait régner une année, puis Etéocle lui succéderait pour douze mois avant de lui céder le trône pour une nouvelle année. Mais il advint que pendant son année de gouvernement Etéocle assura tellement bien son pouvoir que Polynice dut fuir le royaume. Etéocle devint roi de Thèbes et son frère partit à l'étranger pour rassembler une armée afin de reconquérir le trône par la force. Comme les deux prétendants avaient le caractère aussi vif que leur père, aucun des deux ne voulut céder et la guerre fut bientôt sur le point d'éclater. Chacun souhaita alors s'assurer l'appui d'Oedipe car il avait été prédit que celui qui le gagnerait à sa cause serait victorieux. Aussi se mirent-ils en quête de l'aveugle et, pour la première fois, depuis tant d'années, s'inquiétèrent de son sort.

A ce moment, Oedipe était arrivé non loin d'Athènes et, enfin, il sentait, en son coeur, que le moment où il trouverait la paix était proche. Il s'assit, avec Antigone, à la lisière d'un bois pour se reposer. Soudain, il entendit un bruit de sabots et une troupe de chasseurs conduits par le roi d'Athènes, Thésée, s'arrêta devant lui. Ce souverain reconnut aussitôt l'aveugle, il sauta à bas de son cheval et vint le saluer : " Pauvre Oedipe, dit-il, je sais ton triste sort et aimerais t'offrir mon aide. Viens avec nous à Athènes, tu pourras y vivre une vieillesse paisible. Bientôt la nuit froide va tomber et tu ne peux rester ici dans le bois destiné aux Erynies ". Quand Oedipe apprit où il était, il se réjouit car son voyage était fini. Aussi il remercia le roi avec douceur et tranquillité : " Merci, ô Thésée, mais j'ai achevé mon périple. Je partirai bientôt pour le royaume des ombres. Si tu veux me rendre un dernier service, dis à tes serviteurs de m'apporter des vêtements neufs pour que je ne vive pas en guenilles ce moment solennel ". Accédant à sa prière, le souverain envoya ses gens à Athènes et s'assit à côté d'Oedipe. A peine la suite royale était-elle partie que retentit à nouveau le bruit de chevaux au galop, et ce fut cette fois Polynice qui mit pied à terre devant l'aveugle. Enfin, il avait retrouvé son père ! Il tomba à genoux, se plaignant de son frère qui l'avait privé du trône, et supplia Oedipe de se joindre à lui dans sa lutte fratricide. " Pendant des années, tu ne t'es pas soucié de moi, répondit le héros à ses lamentations, et maintenant que tu veux t'emparer du pouvoir tu voudrais que je t'aide dans cette lutte contre nature ? Reçois donc le conseil de ton père, au seuil de la mort : si tu attaques Thèbes, tu subiras le même sort que celui que tu souhaites à ton frère. Va-t'en d'ici ! Même mes yeux aveugles peuvent voir le sang de ton frère imprimé sur ton glaive. " Fou de rage, Polynice sauta sur son cheval, et, sans dire adieu, partit rejoindre son armée. Etéocle, quant à lui, envoya Créon en ambassadeur à son père pour le persuader de revenir à Thèbes. Créon arriva aux portes d'Athènes alors que Polynice, le visage contracté par la colère, quittait Oedipe. Il était tellement perdu dans ses amères pensées qu'il ne reconnut même pas son oncle, mais sa vue donna à Créon l'espoir de réussir sa délicate mission. Il se précipita donc vers le bois pour présenter sa requête. Mais Oedipe, dégoûté par ces manoeuvres, détourna la tête. Au moment de quitter la vie, il devinait les terribles conséquences de la guerre de Thèbes et ne voulait plus se mêler des affaires terrestres. A son tour, Créon le quitta. Pendant ce temps, les serviteurs étaient revenus d'Athènes et l'aveugle revêtit le vêtement qu'ils lui avaient rapporté. Il fit à tous ses adieux et demanda à Thésée d'aider Antigone à retourner dans son pays natal. Puis, comme si soudain, la vue lui était revenue, il pénétra d'une marche assurée dans le bois dédié aux déesses infernales. Au plus profond des buissons, il trouva l'entrée du monde inférieur. Il y disparut et la terre se referma silencieusement après son passage. Personne ne retrouva jamais son corps.

Antigone revint à Thèbes alors que les troupes de Polynice encerclaient déjà la ville. Six courageux commandants se présentaient à six portes de la cité tandis que Polynice se chargeait lui-même de la septième. Craignant un siège prolongé, Etéocle se montra sur les remparts et s'écria : " Pourquoi, mon frère, de braves guerriers périraient-ils de part et d'autre pour une querelle que nous pouvons régler nous-mêmes ? Mesure ta force à la mienne. Si tu es vaincu, tes troupes se retireront, si tu es vainqueur, tu deviendras roi de Thèbes sans qu'il y ait eu de guerre et les Thébains t'ouvriront leurs portes ". Polynice accepta la proposition de son frère. Les deux armées se confondirent et se rassemblèrent en dehors des murs de la ville. Les soldats se mirent aussitôt à faire des paris sur l'issue du combat. Etéocle et Polynice se jetèrent l'un sur l'autre en brandissant leurs armes et, sous les regards de leurs concitoyens, commencèrent leur combat fratricide. Les lames sifflaient dans les airs avant de rebondir sur les boucliers qu'ils tenaient à bout de bras. Les deux frères lançaient leurs assauts avec rage, encouragés par leurs guerriers, mais les boucliers arrêtaient tous les coups. Le premier qui commit une imprudence fut Etéocle, qui laissa une jambe à découvert. Aussitôt, celle-ci fut impitoyablement sectionnée d'un coup de lance, à la grande joie des troupes de Polynice. Le malheureux, surmontant la souffrance causée par sa blessure, ressaisit son épée. Polynice fit de même et le combat continua. Soudain, Etéocle arriva à s'approcher très près du côté où son adversaire n'était pas protégé par son bouclier. Il prit son élan et lui porta un coup mortel. Polynice s'écroula aux pieds de son frère. Mais alors qu'Etéocle se penchait sur le mourant, celui-ci ouvrit une ultime fois les yeux, et, rassemblant ses dernières forces, brandit l'épée et tua son frère. Tous deux rendirent l'âme en même temps. Les frères étaient bien morts, mais une violente dispute s'éleva aussitôt entre les armées en présence, l'une soutenant qu'Etéocle était le vainqueur, l'autre affirmant le contraire. Par chance pour les Thébains, ils avaient pensé à prendre leurs armes, alors que les partisans de Polynice avaient oublié les leurs. En conséquence, l'armée de Thèbes fut la plus forte et celle de Polynice amorça une retraite qui se termina en fuite éperdue. La troupe victorieuse put faire son entrée dans la ville ainsi libérée.

Une fois de plus, Créon prit le pouvoir. Comme Etéocle était mort pour sauver sa patrie, il eut droit à des funérailles solennelles, quant à Polynice, puisqu'il avait levé les armes contre sa propre ville, son corps fut condamné à rester à l'air libre, en dehors de Thèbes. Les oiseaux de proie et les chiens sauvages se partageraient sa dépouille. Quiconque oserait l'enterrer serait puni de mort, et Créon envoya même des gardes pour s'assurer que personne ne désobéissait à son ordre. Cet arrêt inhumain attrista Antigone : comment l'âme de son frère pourrait-elle trouver la paix, si elle n'était pas enterrée ? " Ma soeur, dit Antigone à Ismène, le corps de Polynice gît hors de l'enceinte de cette ville. Viens avec moi, allons nous occuper de lui avant que les bêtes ne passent à notre place. - Ne sais-tu pas que cela signifie la mort ? demanda Ismène, effrayée. - Mourir pour une action agréable aux dieux et aux hommes est une belle fin, répondit Antigone. - Il n'est pas toujours possible de faire le bien, se défendit Ismène. Créon est puissant et tu ne lui échapperas pas. - Je lui ai déjà échappé, dit Antigone. Il peut me tuer pour avoir obéi à l'amour humain et fraternel. Mais il ne peut supprimer l'amour et la charité. Si tu ne veux pas venir avec moi, j
'irai seule. " Elle n'essaya pas davantage de convaincre sa soeur. Profitant de l'obscurité de la nuit, elle s'échappa du palais et sortit de la ville. Le mort était couché le long des remparts de la cité, tandis que non loin de là sommeillaient les gardes. Sans bruit, elle tira le corps de son frère vers une rivière où elle le lava avant d'oindre son corps d'huile ; puis elle le couvrit de terre. Dès l'aurore, elle revint à Thèbes. La fraîcheur du matin réveilla les sentinelles. Elles s'aperçurent alors que l'endroit où gisait la dépouille était vide et imaginèrent la colère de Créon. Aussi cherchèrent-ils fébrilement les traces de l'enlèvement, et, en les suivant, atteignirent la rivière où ils découvrirent la tombe inachevée. Ils enlevèrent la pierre qui recouvrait le corps et s'embusquèrent pour confondre le coupable. Ils attendirent ainsi toute la journée et lorsque l'obscurité fut tombée ils remarquèrent une sombre silhouette. C'était Antigone qui allait achever sa tâche. Elle s'arrêta devant la sépulture profanée mais, au lieu de s'attarder, prit des poignées de terre et se mit à les jeter pour combler à nouveau le trou. Comme elle se penchait pour la seconde fois, les gardes quittèrent leur cachette et s'emparèrent d'Antigone, qui n'opposa aucune résistance et ne nia pas les faits.

" Comment as-tu pu désobéir à mes ordres ? s'écria Créon, fort en colère. - Ce n'était pas le commandement de Zeus, mais celui du roi, répondit Antigone, donc il ne peut compter davantage que l'amour et la charité. Il y a des lois qui sont au-dessus de celles que peuvent instituer les souverains. - Tu es bien la seule à avoir cette opinion, hurla le roi. - Non, dit la jeune fille, le peuple de Thèbes pense la même chose, mais il n'ose pas le dire. - N'es-tu pas honteuse d'être unique en ton genre ? demanda Créon. - Je ne regrette pas d'avoir honoré mon frère défunt. La mort donne les mêmes droits au vaincu et au vainqueur. Et tu ne peux m'ôter plus que la vie. - Tu parles bravement, mais nous verrons si tu es aussi courageuse devant le chemin qui mène au royaume des ombres. A moi, gardes ! " Les hommes en armes accoururent à l'appel de Créon qui leur ordonna d'emmener Antigone dans une grotte isolée, puis de l'y enterrer vivante. La troupe était déjà partie avec sa prisonnière lorsque le fils du roi, Hémon, qui était son fiancé, apprit ce qui s'était passé. L'insensible Créon fut sans pitié. Alors Hémon s'enfuit du palais, espérant arriver à empêcher l'accomplissement de l'injuste punition. Pendant ce temps, le prophète aveugle Tirésias se fit conduire au palais et mit en garde le roi contre une aussi cruelle décision. De très mauvais présages avaient prévenu le vieil homme que de lourdes menaces pesaient sur la famille royale. Après son départ, Créon se mit à réfléchir. Puis, soudain, il prit peur de la punition des dieux immortels. Il fit harnacher ses chevaux, sauta dans son char et galopa jusqu'à la grotte. Mais, déjà en chemin, lui parvinrent de terribles nouvelles : Antigone s'était pendue à son voile et son fils Hémon s'était transpercé le corps de son glaive devant sa défunte fiancée. Lorsque la femme du roi apprit ce malheur, elle se suicida. Comme Créon eût été plus heureux s'il avait pu faire revivre les morts ! Mais tel est le destin des rois tyranniques : sur un seul ordre, ils peuvent décider du sort de leurs sujets et les priver à jamais du bonheur ; mais nul de leurs ordres ne peut, par contre, rendre le bonheur aux sujets ni la vie aux morts. Créon vécut tristement, avant de rejoindre ses victimes au royaume des ombres. (Mythes te légendes de la Grèce antique, éd. Gründ)

 

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Analyse d'Œdipe et Mort de'Oedipe

 

Samedi 18 juin 2011 à 15 heures

Centre social, 5, rue Bonnefoi
(Lyon 3è, à 150 mètres du métro Guillotière)
Prendre la rue Paul Bert : la rue Bonnefoi est la seconde à droite

La Belle au bois dormant

Il y avait, dans le temps, un roi et une reine qui se répétaient, chaque jour : " Ah ! si seulement nous avions un enfant ! " Mais ils n'en avaient toujours pas. Un jour que la reine était au bain, il advint qu'une grenouille sauta de l'eau pour s'avancer vers elle et lui parler :

- Ton vœu sera exaucé, lui annonça-t-elle : avant un an, tu mettras une fille au monde.

Ce que la grenouille avait dit se produisit, et la reine donna naissance à une fille ; et l'enfant était tellement jolie que le roi ne se tenait plus de joie et fit donner une grande fête. Il ne se contenta pas d'y inviter ses parents, amis et connaissances, mais il voulut aussi que les fées y eussent part afin qu'elles fussent favorables et bienveillantes à l'enfant. On en comptait treize dans le royaume, mais comme il n'y avait que douze assiettes d'or au palais, pour leur servir le festin, il fallut en laisser une chez elle.

La fête eut lieu et le festin se déroula au milieu des splendeurs, puis, quand tout finissait, les fées revêtirent l'enfant de leurs dons merveilleux : de l'une, la vertu ; de l'autre la beauté ; de la troisième, la richesse ; et ainsi de suite, pour tout ce qu'on peut souhaiter et avoir au monde. La onzième venait juste de présenter son incantation, quand brusquement entra la treizième : celle qui n'avait pas été invitée et qui voulait se venger. Sans un salut ni seulement un regard pour personne, elle lança, à voie haute, sur le berceau, cette parole : " La princesse, quand elle aura quinze ans, se piquera avec un fuseau et tombera morte ". Sans un mot de plus, elle fit demi-tour et quitta la chambre. Dans l'effroi général, la douzième fée qui avait encore à prononcer son vœu, s'avança vers le berceau ; elle ne pouvait pas annuler la malédiction, mais elle pouvait en atténuer les effets. Aussi prononça-t-elle : " Ce n'est pas dans la mort que sera plongée la princesse, mais dans un sommeil profond de cent années ".

Le roi, qui eût bien voulu préserver son enfant chérie du mauvais sort, fit ordonner que tous les fuseaux soient brûlés dans le royaume tout entier. Les dons des fées se réalisèrent pleinement chez l'enfant qui devint si belle, si vertueuse, si gracieuse et si intelligente que tous ceux qui seulement la voyaient se sentaient obligés de l'aimer.

Le jour de ses quinze ans, il se trouva que le roi et la reine furent absents et que la jeune princesse resta toute seule au château, où elle se mit à errer çà et là, visitant les chambres et les galeries, les salons et les resserres selon sa fantaisie et son humeur. Sa promenade la conduisit finalement dans un très vieux donjon, dont elle gravit, marche à marche, l'étroit escalier tournant, pour arriver devant une petite porte, tout en haut. Il y avait une vieille clé rouillée dans la serrure, et quand elle la fit tourner, la porte s'ouvrit d'un coup, lui découvrant une chambrette où se tenait une vieille femme assise, le fuseau à la main, occupée à filer son lin avec beaucoup d'ardeur.

- Bonjour, petite grand-mère, lui dit la princesse, que fais-tu là ?
- Je file, dit la vieille, avec un bref mouvement de tête.
- Et cette chose-là qui danse si joyeusement, qu'est-ce que c'est, fit la demoiselle, en s'emparant du fuseau, pour essayer de filer, elle aussi ?

Mais elle l'avait à peine touché que l'incantation prenait son plein effet et qu'elle se piquait le doigt. Ce fut à peine si elle sentit la piqûre, car elle tombait sur le lit, derrière elle, et s'y trouvait plongée dans un profond sommeil.

Ce sommeil profond se répandit sur le château entier, à commencer par le roi et la reine qui venaient de rentrer et se trouvaient encore dans la grande-salle, où ils se mirent à dormir, et avec eux toute la cour. Alors les chevaux s'endormirent dans les écuries, et les chiens dans la cour d'entrée, et les pigeons sur le toit, et les mouches même sur le mur, et le feu lui aussi, qui cessa de flamber dans la cheminée, et qui se fit silencieux et s'endormit ; le rôti sur la broche cessa de grillotter, et le cuisinier, qui allait tirer l'oreille du marmiton pour quelque bêtise, le laissa et dormit. Même le vent se coucha, et plus la moindre feuille ne bougea sur les arbres tout autour du château.

Mais, autour du château, la broussaille épineuse se mit à croître et à grandir, à s'épaissir et à monter année après année, si bien que le château en fut d'abord tout entouré, puis complètement recouvert. C'était à tel point qu'on ne le voyait plus du tout, non, pas même la bannière sur la plus haute tour. Et, peu à peu, dans le pays, circula la légende de la Belle Fleur d'épine endormie sous les ronces, car telle était le nom que l'on avait donné à la princesse. Et des princes y venaient de temps à autre, qui voulaient forcer un passage à travers les buissons pour pénétrer dans le château. Mais c'était impossible parce que les buissons d'épines, comme avec des mains, se tenaient fermement ensemble, et les jeunes gens y restaient accrochés. Ils ne pouvaient plus s'en défaire et finissaient par mourir là, de la plus misérable des morts.

Après bien des années et encore bien des années, il arriva qu'un fils de roi passa dans le pays et entendit ce que racontait un vieillard sur ce massif d'épines, et comment il devait y avoir un château par-dessous, dans lequel une princesse d'une beauté merveilleuse, appelée Fleur d'épine, dormait depuis cent ans déjà. Et, avec elle, dormaient aussi le roi, la reine et la cour tout entière. Ce prince avait également entendu raconter par son grand-père que de nombreux fils de roi étaient déjà venus et avaient essayé de passer à travers la broussaille, mais qu'ils en étaient tous restés prisonniers, mourant là d'une affreuse mort.

Le jeune prince n'en déclara pas moins : " Je n'ai pas peur : je veux y aller et voir la belle princesse Fleur d'épine ! " le bon vieillard put bien le lui déconseiller tant qu'il voulut, il n'écouta rien et n'entendit rien de ce qu'on lui disait.

Mais, en réalité, les cent années se trouvaient justement révolues et le jour était arrivé, que la princesse devait se réveiller. Quand le prince avança vers la haute roncière, il ne trouva plus rien devant lui que de belles et grandes fleurs épanouies, qui s'écartaient d'elles-mêmes pour lui ouvrir le passage, et qui se resserraient derrière lui en refermant leur masse épaisse. Dans la cour du château, il vit des chevaux couchés dans leurs stalles comme au-dehors, les grands chiens de chasse blancs et roux, qui dormaient ; sur le toit, il vit des pigeons, qui avaient tous la tête sous l'aile. A l'intérieur du château, quand il entra, les mouches dormaient sur le mur ; le cuisinier, dans sa cuisine, avait toujours le bras tendu, comme s'il voulait attraper le petit marmiton, et la servante était assise avec la poule noire qu'elle allait plumer. Il pénétra dans la grande salle du trône, où il vit toute la cour royale endormie et couchée çà et là. Et, plus haut, près du trône, le roi lui-même et la reine étaient allongés. Il s'avança encore et s'en alla plus loin. Tout était si calme et si parfaitement silencieux qu'on s'entendait respirer. Et, pour finir, le prince monta dans le vieux donjon, ouvrit la porte de la chambrette haute, où la belle princesse Fleur d'épine dormait. Couchée là, elle était si merveilleusement belle qu'il ne pouvait pas en détourner les yeux ; il se pencha sur elle et lui donna un baiser.

A la caresse de ce baiser, Fleur d'épine ouvrit les yeux, et la belle se réveilla tout à fait, regarda le prince d'un regard tendre et amoureux. Alors ils redescendirent ensemble et, quand ils furent en bas, le roi se réveilla, puis la reine et toute la cour sortirent de leur sommeil et tous s'entre-regardaient avec des yeux ronds. Les chevaux, dans la cour, se relevèrent et s'ébrouèrent. Les chiens de chasse bondirent en frétillant la queue. Les pigeons sur le toit tirèrent leur tête de sous l'aile, inspectèrent les environs et prirent leur vol. Les mouches recommencèrent à grimper le long des murs, cependant que le feu reprenait dans la cuisine et, flambant clair, remettait la cuisson en train. Le rôti à la broche grésilla de nouveau, et le cuisinier expédia une bonne taloche au marmiton, le faisant criailler tandis que la servante se remettait à plumer la volaille.

Alors furent célébrées avec splendeur les noces du prince avec la belle princesse, que la légende et les gens avaient nommé Fleur d'épine, et ce fut le bonheur pour eux jusqu'à la fin de leurs jours. (Version des frères Grimm)

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Analyse de La belle au bois dormant

 

Samedi 15 octobre 2011 à 15 heures

Centre social, 5, rue Bonnefoi
(Lyon 3è, à 150 mètres du métro Guillotière)
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La résurrection d'Osiris

Passé dans le royaume des morts, Osiris fut alors embaumé au son des Lamentations d'Isis et de Nephtys.
Isis inventa ainsi le "remède qui donne l'immortalité".
Avec Nephthys, Thot et Anubis, elle disposa les restes d'Osiris et les transforma en une momie impérissable, capable de supporter éternellement l'âme de ce dieu. Car Anubis le chacal avait depuis longtemps déjà la science mystérieuse qui assure la persistance infinie de la chair.

Pourtant il ne réussissait à obtenir qu'un corps desséché, immobile et glacé, que le Double ne pouvait ni soulever ni faire remuer et qui le condamnait à mener une existence ténébreuse.
Thot et Isis voulurent qu'Osiris fût plus favorisé. Ils ajoutèrent cette fois à la préparation de la momie des rites magiques qui devaient procurer à la chair desséchée une nouvelle existence. Et voici comment ils s'y prirent.
Isis avait, au moment de ses trouvailles, revivifié l'un après l'autre chacun des membres du dieu mutilé. Elle enveloppa ces membres dans une figure faite de cire et d'aromates, et de terre mélangée de blé, et d'encens, et de pierres précieuses, de la grandeur d'Osiris et faite à sa ressemblance. Ensuite, elle fit sur cette figure des opérations magiques. Et Isis et Nephthys lui dirent :
"Tu as repris ta tête, tu as resserré tes chairs, on t'a rendu tes veines, tu as rassemblé tes membres ".

Et Sibou, le père d'Osiris, présidait la cérémonie, et Râ, du ciel, envoyait les déesses Vautour et Uraeus, celles qui ceignent comme d'une couronne le front des dieux, mettre en place la tête d'Osiris et consolider sa nuque.
Et la statue fut revêtue d'un linceul de lin bien ajusté. Alors Isis et Nephthys, en robes de deuil, les cheveux dénoués, se meurtrissant la poitrine de coups, se mirent à chanter lamentablement, suppliant Osiris de revenir habiter sa forme reconstituée.
Isis chanta en embrassant les pieds de la momie :

" Viens vers ta demeure, viens à ta demeure,
Toi qui n'a plus d'ennemis,
O bel adolescent, viens à ta demeure pour que tu me voies.
Je suis ta sœur que tu aimes,
Ne te sépare pas de moi, bel adolescent.
Viens à ta demeure,
Je ne te vois pas et pourtant
Mon cœur aspire à te rejoindre
Et mes yeux te réclament
Je cours de tous côtés pour te voir.
(...)
Cela est merveilleux de te contempler.
(...)
Viens à celle qui t'aime, qui t'aime ô Ounen-Nèfer,
Viens auprès de ta sœur,
Viens auprès de ta femme,
Toi dont le cœur a cessé de battre !
Viens vers la maîtresse de ta maison.
Je suis ta sœur, de la même mère,
Ne t'éloigne pas de moi...
Les dieux et les hommes ont tourné leur visage vers toi
Et tous te pleurent ensemble car ils me voient
Je t'appelle et je pleure si fort
Qu'on l'entend dans le ciel
Mais tu n'entends pas ma voix ?
Je suis la sœur que tu aimais sur terre,
Tu n'aimais aucune autre femme
En dehors de moi, ô mon frère, ô mon frère".

Et Nephtys, penchée sur la tête de la momie, dit à son tour :

"Reviens en cette heure, mon maître, toi qui es parti,
Afin de faire ce qui te plaît, sous les arbres.
Tu as éloigné mon cœur de moi de milliers de mille.
Avec toi seul, je désire faire ce que j'aime !
Si tu vas au pays d'éternité, je t'accompagne,
J'ai peur que mon époux ne me tue.
Y eût-il roi qui, en son temps, fît ainsi ?
Je suis venue pour l'amour de toi.
Tu délivres mon corps de ton amour."

Ils enveloppèrent encore la momie d'un autre linceul de lin qu'ils fixèrent avec des bandelettes ; puis ils tracèrent sur les bandelettes des figures sacrées et des formules magiques, ils déposèrent sur les membres des amulettes recélant des charmes puissants ; ils tracèrent ensuite sur les planches du cercueil et sur les murs de la chambre mortuaire les scènes de l'existence terrestre et de la vie d'outre-tombe en chantant des incantations pour rendre à Osiris l'usage de ses yeux pour voir, de ses oreilles pour entendre, de sa bouche pour manger et parler, de ses mains pour agir, de ses jambes pour marcher et ces formules sont écrites dans "le Livre de l'ouverture de la bouche".
Et ils firent encore autre chose. Ils dressèrent à côté du cercueil qui contenait la momie une statue faite à la ressemblance du vivant. Et ils la remirent aux mains des habilleurs qui lui firent subir une toilette minutieuse, ablutions, fumigations, encensements, onctions du fard, puis ils revêtirent la statue de bandelettes vertes, rouges, jaunes et blanches, d'armes et de couronnes. Ensuite, ils firent fabriquer soit en cornaline, soit en pierreries, soit en or, la croix ansée, signe de vie, les liens de cou, de poignets, de chevilles, toutes les amulettes destinées à éloigner Seth l'adversaire et l'ennemi et à le frapper d'impuissance.

Et à la statue aussi ils chantèrent les chants magiques pour ouvrir sa bouche, ses yeux et ses oreilles, pour délier ses bras et ses jambes, pour donner le souffle à son gosier et pour susciter les battements de son coeur. Et les formules qu'ils prononcèrent étaient si puissantes que le double, cette statue à l'image d'Osiris, vit et entendit, parla et mangea, assis devant une table chargée de toutes les choses bonnes et pures que donne le ciel, que crée la terre, que le Nil amène de sa cachette. Et les pains, les viandes, les fruits, les boissons écartent à jamais de lui toute menace de soif ou de faim.

Isis la magicienne alors transformée de nouveau en oiselle battit l'air avec ses ailes pour lui redonner le souffle vital, et ranima son frère-époux. Mais "c'est une chose à garder bien cachée ! qu'il ne soit pas permis qu'un homme ou une femme la divulgue à haute voix !". Puis, grâce à sa magique puissance, elle lui rendit quelques instants son membre disparu et descendit en planant doucement sur le corps d'Osiris qui, revirilisé par cette action, la féconda.

Ressuscité, Osiris aurait pu reprendre sa place parmi les hommes et quelquefois il lui est arrivé de se montrer à ses fidèles serviteurs. Mais il ne voulut pas séjourner dans les villes comme l'avaient fait ses ancêtres. Il préféra la Prairie du repos au milieu des marais dans les îlots sablonneux à l'abri des inondations du Nil. Ce fut le premier royaume d'Osiris où il mena une existence toute semblable à sa vie première, mais sans vieillir jamais.
Là est son royaume éternel. Le soleil et la lune l'éclairent en même temps. Quand il fait chaud au milieu du jour, le vent du nord souffle pour rafraîchir l'atmosphère, les moissons y sont abondantes et magnifiques. Des remparts épais protègent ce séjour des entreprises de Seth et des esprits malfaisants. Un palais semblable à celui de Pharaon, mais mille fois plus beau, s'y élève au milieu de jardins délicieux. Osiris entouré des siens y mène une vie tranquille où abondent tous les plaisirs de la vie terrestre sans aucune de ses douleurs.
Cependant Osiris, Ounnefer-le-bon, le type de la bonté parfaite, a voulu ouvrir les portes de son paradis aux âmes de ses anciens sujets fidèles, ceux qui sont les suivants d'Horus, afin que ceux qui ont été bons sur la terre, qui ont compris les enseignements sacrés et qui ont suivi la voie droite, mènent dans l'autre monde une heureuse existence et jouissent du bonheur éternel auprès du dieu qu'ils ont adoré et honoré pendant leur vie humaine. Il prit la croix de la vie, l'Ankh de la résurrection, et avec elle dans son Ba il alla pour sauver et protéger tous ceux qui, seuls ou terrifiés, pénétraient dans l'Amenti. Il leur revint de vivre à l'ouest en attendant ceux qui, déshérités, sont exilés du règne de la vie.

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Analyse de la résurrection d'Osiris

 

Samedi 19 novembre 2011 à 15 heures

Centre social, 5, rue Bonnefoi
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Orphée et Eurydice

Dans une région de Grèce appelée la Thrace, vivait, il y a très longtemps, un fameux aède : Orphée. Il s'accompagnait avec une lyre et chantait si merveilleusement que personne ne pouvait résister à sa musique. Les oiseaux eux-mêmes l'écoutaient en silence et les animaux quittaient la forêt pour le suivre. Le loup trottait à côté de l'agneau, le renard suivait le lièvre, sans qu'aucun animal cherchât querelle à un autre. Même les serpents quittaient leurs trous et les pierres s'écartaient pour faire un chemin devant Orphée. Ses chansons arrêtaient le cours des rivières et les poissons sortaient de l'eau pour l'écouter. Les hommes riaient ou pleuraient, selon que son chant était gai ou triste. Ils oubliaient tous leurs soucis. Les dieux, attirés eux aussi par la voix d'Orphée, se rendaient en suivant la Voie Lactée aux endroits où il chantait. De même les naïades quittèrent les vagues dès qu'elles entendirent les sons mélodieux. Orphée tomba amoureux de l'une d'elles, l'emmena avec lui et l'épousa. La nymphe Eurydice était aussi jolie que ses chansons et, pendant quelque temps, ils vécurent très heureux.

Un jour, Orphée dut s'absenter et Eurydice resta seule. Dans sa solitude lui vint la nostalgie des prairies vertes et douces où murmuraient les rivières et les sources. Là-bas, dans les eaux scintillantes, vivaient ses soeurs les naïades. Eurydice pensait souvent à elles ; aussi décida-t-elle de leur rendre visite. Elle partit en courant de chez elle, tant elle était pressée de les surprendre. Elle se hâtait par les raccourcis quand, soudain, elle ressentit une douleur aiguë au pied, qui inonda bientôt tout son corps. A terre, elle aperçut un serpent venimeux qui rampait dans l'herbe. Elle tomba évanouie dans l'herbe. La morsure était mortelle, son coeur cessa de battre. Eurydice était morte, et ni les pleurs de ses soeurs, ni le désespoir d'Orphée, qui était accouru, ne purent la ramener à la vie.

Orphée enterra Eurydice, et, avec elle, toutes ses chansons gaies. Tristement, il erra par le monde, et ceux qui écoutaient ses nouvelles paroles avaient le visage ruisselant de larmes. Les feuilles des arbres soupiraient et les bêtes sauvages, les yeux humides, sortaient des profondeurs des forêts. Orphée ne trouva la paix nulle part sur terre : il ne cessait de penser à Eurydice et à la joie qu'il avait perdue. Le temps n'adoucissait pas sa peine. Aussi, après sa longue marche, il décida de descendre sous terre, dans le monde inférieur où s'étendait l'ombre de la mort. Le dieu Adès et sa femme Perséphone gouvernaient ce royaume des âmes des défunts. Orphée voulait convaincre les dieux des Enfers de lui rendre son Eurydice, de lui permettre d'enfreindre la loi de la mort en la laissant revivre sur terre. Il marcha vers l'Ouest, car c'était là que se trouvait cachée, sous de noirs rochers, l'entrée du royaume. Il s'avançait inlassablement, mais, ne trouvant rien, crut avoir perdu son chemin et se mit à chanter tristement son amour pour Eurydice. Les arbres eux-mêmes furent émus : ils lui montrèrent le chemin avec leurs branches, et l'herbe, saisie de pitié, courba ses brins dans la direction du monde des ténèbres. Enfin Orphée vit une rangée de cyprès immobiles et un amoncellement de noirs rochers disparaissant presque dans un épais brouillard gris. Il pénétra dans ce nuage de mort. Soudain, trois paires d'yeux flamboyants scintillèrent devant lui et un aboiement sauvage retentit. C'était le Cerbère, le chien à trois têtes, l'effrayant gardien des portes du royaume, capable de reconnaître l'odeur des vivants. Orphée se mit à chanter et les trois gueules ensanglantées se turent. Le gigantesque chien se coucha et laissa passer Orphée. Tout en chantant, celui-ci descendit un sentier escarpé, évitant les endroits d'où jaillissaient les flammes, bien qu'en l'entendant les flammes elles-mêmes se soient raidies et aient perdu de leur éclat.
L'intrépide voyageur se joignit à la foule silencieuse des ombres qui se pressaient sur les rives du Styx. Bientôt apparut la barque menée par le vieux Charon pour faire traverser le fleuve aux silhouettes grises. Orphée sauta à leur suite dans le bateau, mais Charon l'aperçut et refusa de l'emmener sur l'autre rive. Le malheureux Orphée se mit à chanter et fit pleurer le vieux nocher qui ne put se résoudre à l'abandonner. La barque fit la traversée et les âmes des morts allèrent se faire juger. Orphée, lui, partit à la recherche du roi du monde des profondeurs. Il traversa une prairie hantée par les ombres de ceux qui, durant leur vie, n'avaient été ni bons ni mauvais ; il vit la région bénie des Champs Elysées où se réjouissaient les âmes des hommes de bien, et il finit par arriver dans le lugubre Tartare. Les morts s'y repentaient de leurs mauvaises actions dans la souffrance et la torture. Sur le passage d'Orphée, la douleur disparaissait au son de sa voix. Les âmes tourmentées oubliaient leur peine en écoutant son chant. L'ombre du roi Tantale ne pensait plus à l'éternelle faim et à l'éternelle soif auxquelles les dieux l'avaient condamné. Celle de Sisyphe se reposait un moment de son vain travail, qui était de pousser un rocher au sommet d'une colline pour le voir ensuite dévaler la pente... et recommencer éternellement. Au milieu de ce royaume, assis sur un trône noir, on pouvait voir le roi du monde souterrain, l'impitoyable Hadès. Ses cheveux noirs tombaient sur son front et ses yeux froids brillaient dans sa figure blanche. Perséphone était à ses côtés, sa face blanche émergeant d'un vêtement noir, telle la lune pâle qui apparaît derrière un nuage. Cette vision fit trembler Orphée, mais son amour fut plus fort que sa peur et il se mit à chanter devant les souverains. Il raconta son amour pour Eurydice et la mort qui l'avait fauchée en pleine jeunesse ; il dit sa peine et son immense chagrin, puis supplia les dieux de lui rendre sa femme. De toutes manières, nul n'échappe au dernier voyage, et ils reviendraient, un jour, ensemble au royaume des morts.

Emus, Hadès et Perséphone écoutèrent son chant. " J'exaucerai ton voeu ", dit le roi quand Orphée eut fini de chanter. " Eurydice peut retourner parmi les vivants. Mais ne te retourne pas pour voir ta femme tant que tu n'as pas quitté le royaume des ombres. Si tu la regardes avant d'atteindre la surface, elle retournera dans les ténèbres et disparaîtra pour toujours. " Orphée remercia chaleureusement et, sur l'ordre du dieu Hadès, l'ombre d'Eurydice s'approcha doucement pour suivre son mari. Ils empruntèrent le sentier qui accédait à la terre et remontèrent dans la barque de Charon pour traverser le Styx. Tous deux, ils s'avancèrent à travers une zone où régnait un silence impressionnant. Orphée marchait devant, essayant d'entendre le pas d'Eurydice. Comme il ne pouvait percevoir aucun bruit, il fut saisi d'une crainte terrible. Il pensa qu'Eurydice avait pu tomber, qu'elle avait pu perdre son chemin ou avoir été frappée par un diabolique coup du sort. Tout à sa peur, Orphée oublia sa promesse et se retourna. L'image d'Eurydice se brouilla devant ses yeux et sa femme bien-aimée mourut une seconde fois. Comme un dernier baiser, une brise légère toucha le front d'Orphée, le laissant pétrifié d'horreur, tout seul sur le sentier, entouré de silence. Le désespoir submergea Orphée, il courut comme un fou au bas du sentier en appelant Eurydice. Mais ce fut en vain, cette fois, qu'il supplia le nocher de lui faire traverser le fleuve.

Pendant sept jours, Orphée erra le long du Styx, espérant pénétrer encore dans le royaume des morts. Sept jours, il vécut de ses seules larmes ; en vain. Tristement, il revint sur terre et se réfugia dans une région montagneuse désolée. Il chanta son malheur aux rochers et au vent. Les arbres des vallées l'entendirent et se mirent en mouvement au son de sa voix. Avant qu'il ait fini, un épais buisson l'entourait. La nudité de la montagne s'était recouverte du vert des fourrés, et les oiseaux sauvages, suivis d'autres animaux, élisaient domicile dans la nouvelle forêt. Sa chanson atteignait même, grâce au vent, les habitations des hommes, qui, l'entendant, l'écoutaient avec sympathie. Pendant ce temps, un groupe de Ménades, prêtresses de Dionysos, dieu du vin et de la vigne, se promenaient à travers la campagne. Ivres et à moitié folles, ces femmes surgirent dans le bosquet où Orphée exhalait sa plainte. Ses lamentations mirent en colère les exubérantes prêtresses, et l'une d'elles lui jeta son thyrse, bâton entouré de feuilles de vigne, tandis qu'une autre le visait avec une pierre. Mais ni le thyrse ni la pierre n'atteignirent l'aède. Saisies de frénésie, les Ménades se mirent, l'une après l'autre à ramasser et à lui jeter des pierres, et, sous leurs cris, la chanson d'Orphée faiblit. C'est seulement alors que les pierres atteignirent leur cible, prenant la couleur de son sang. Il cessa de chanter et il cessa de vivre. Quant aux Ménades, tout à leur oeuvre démoniaque, elles massacrèrent aussi les animaux, encore sous le charme, qui entouraient Orphée.

L'annonce de la mort d'Orphée se répandit partout. Non seulement les hommes mais toute la nature furent en deuil. Les arbres perdirent leurs feuilles en témoignage de leur peine, les rochers pleurèrent et le niveau des eaux monta à cause des larmes versées. Les nymphes des forêts et des eaux dénouèrent leurs cheveux et mirent des vêtements noirs. L'âme d'Orphée descendit dans le royaume des ténèbres. Cette fois, Charon ne lui refusa pas le passage. L'ombre d'Orphée rejoignait celle des autres morts. Orphée reconnut de loin son Eurydice et se hâta à sa rencontre. Il pourrait maintenant la regarder, et même sans se retourner, pour l'admirer ; elle ne disparaîtrait plus. Le dieu Dionysos ne laissa pas ce crime impuni. Il changea les jambes des Ménades en racines, leurs corps en troncs d'arbres et leurs branches furent à jamais secouées par le vent. Les muses, déesses des arts et de la sagesse, enterrèrent le corps d'Orphée. Sa tête, arrachée par les Ménades, flotta avec la lyre au fil des eaux du fleuve Hebros jusqu'à la mer, où elle atteignit l'île de Lesbos. Depuis ce jour, les rossignols y chantent le plus merveilleusement du monde et l'île a vu naître des aèdes renommés ainsi que la fameuse poétesse Sapho. Comme elle descendait le cours de la rivière, la lyre d'Orphée continuait à jouer doucement et sa tête murmurait une chanson dont, pour la dernière fois, les eaux et les rives se faisaient l'écho. C'est ainsi qu'aujourd'hui encore les rivières gardent le souvenir d'Orphée et chantent sa chanson. (Mythes et légendes de la Grèce antique, éd. Gründ, Prague 1991)

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Analyse d'Orphée et Eurydice

 

Samedi 17 décembre 2011 à 15 heures

Centre social, 5, rue Bonnefoi
(Lyon 3è, à 150 mètres du métro Guillotière)
Prendre la rue Paul Bert : la rue Bonnefoi est la seconde à droite

Narcisse

Narcisse était de Thespies : il était fils de Liriopé, la Nymphe bleue que le dieu-Fleuve Céphise avait un jour emportée dans ses tourbillons et violée. Le devin Tirésias dit à Liriopé, qui fut la première personne à le consulter : " Narcisse vivra très vieux, à condition qu'il ne se regarde jamais ". On était bien excusable alors de tomber amoureux de Narcisse ; enfant et adolescent déjà, sa route était semée des cœurs de ses soupirants des deux sexes qu'il avait repoussés avec indifférence ; il était en effet farouchement orgueilleux de sa propre beauté.

Parmi ses amoureux se trouvait la Nymphe Écho qui ne pouvait plus se servir de sa voix si ce n'est pour répéter comme une insensée les paroles de quelqu'un d'autre ; c'était une punition pour avoir longtemps retenu l'attention d'Héra, racontant de longues histoires pendant que les concubines de Zeus, les nymphes de la montagne échappaient à on œil jaloux et parvenaient à s'enfuir. Un jour que Narcisse était sorti pour prendre des cerfs au filet, Écho le suivit furtivement dans la forêt épaisse, dévorée du désir de lui adresser la parole mais incapable de parler la première. A la fin, Narcisse s'étant aperçu qu'il s'était égaré et avait perdu ses compagnons, cria : " Holà, y a-t-il quelqu'un par ici ? - Par ici ! " répondit Écho, ce qui surprit Narcisse car il ne voyait personne. " Viens ! -Viens ! - Pourquoi me fuis-tu ? - Pourquoi me fuis-tu ? - Rejoignons-nous ! - Rejoignons-nous ! " répéta Écho et, sortant de sa cachette, tout heureuse, elle se précipita pour embrasser Narcisse.

Mais il la repoussa brutalement et s'enfuit. " Je mourrai plutôt que d'être à toi. - Être à toi ", implora Écho. Mais Narcisse était parti, et elle passa le restant de sa vie dans des vallons abandonnés, se languissant d'amour et se laissant dépérir par mortification, au point que seule sa voix subsista.

Un jour, Narcisse envoya, en présent, une épée à Ameinias, le plus tenace de ses soupirants, et dont le fleuve Ameinias porte le nom ; c'est un affluent du fleuve Hélicon qui se jette dans l'Alphée. Ameinias se tua devant la porte de Narcisse, faisant appel aux dieux pour venger sa mort.

Artémis l'entendit et fit que Narcisse tomba amoureux. Mais elle l'empêcha de consommer son amour. A Donacon, à Thespies, il vit une source ; elle était claire et argentée et n'avait encore jamais été touchée par un troupeau, ou des oiseaux, ou des bêtes sauvages, ni même par des branches tombées des arbres, qui l'ombrageaient ; et, comme épuisé de fatigue, il s'était laissé tomber sur l'herbe, pour étancher sa soif, il tomba amoureux de sa propre image, reflétée dans l'eau. Il commença par essayer de saisir et d'embrasser le beau jeune homme qui se trouvait devant lui, mais il se reconnut lui-même et, transporté d'amour, resta couché à regarder dans l'eau pendant des heures.

Comment supporter à la fois de posséder et de ne pas posséder ? Il était miné par le chagrin et, cependant, il se réjouissait de son tourment ; il sut au moins que son autre moi lui restait fidèle, quoi qu'il arrive.

Écho, bien qu'elle n'eût pas pardonné à Narcisse, souffrait avec lui ; elle répéta en écho à sa voix : " Hélas ! Hélas ! ", comme il se plongeait un poignard dans sa poitrine ; et elle redit aussi sa dernière phrase au moment où il expirait : " Ô toi, jeune homme que j'ai vainement aimé, adieu ! "

Son sang s'écoula dans la terre et il naquit un narcisse blanc à corolle rouge dont on extrait un baume, à Chéronée, de nos jours encore. Il est recommandé dans les affections des oreilles (bien qu'il puisse occasionner des maux de tête) et comme vulnéraire contre les engelures. (Les mythes grecs, Robert Graves, traduit de l'anglais par Maurice Hafez, Hachette Littératures, tome I, collection Pluriel, p. 306)

NB. Echo renvoie à la féminité et Narcisse à la masculinité.

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Analyse de Narcisse

Samedi 21 janvier 2012 à 15 heures

Centre social, 5, rue Bonnefoi
(Lyon 3è, à 150 mètres du métro Guillotière)
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Chariyar trompé par sa femme

On servit le dîner. Chahriyâr et son frère Chahzamane mangèrent et burent. Chahzamane manifesta, de son côté, un fort bon appétit. Et il fit de même les jours suivants, honorant de grand cœur chaque repas. Les soucis l'avaient quitté, les couleurs étaient revenues sur son visage, il avait retrouvé son esprit d'initiative, le sang circulait à nouveau avec force dans ses veines. Il reprit son teint rosé d'autrefois et recouvra la santé, une santé aussi bonne et même plus resplendissante encore que celle dont il avait pu jouir précédemment.

Le roi Chahriyâr ne pouvait s'empêcher de prendre acte de cette transformation, comparant l'état présent de son frère avec la faiblesse qui paralysait celui-ci avant le départ pour la chasse. Il garda d'abord ses observations pour lui ; puis un jour, ne pouvant plus résister aux élans de sa curiosité, il prit à part Chahzamane et lui dit : " Ô mon frère, je voudrais que tu m'aides à dissiper un souci qui m'importune. Réponds, en toute franchise, à la question que je vais te poser. - Que désires-tu savoir, ô mon frère ? demanda Chahzamane. - Je te voyais jusque là dans un état lamentable. Chaque jour qui s'écoulait te laissait plus maigre et plus affaibli ; ta langueur, ton visage méconnaissable, ta pâleur et ta faiblesse chronique m'incitaient à croire que la cause de tes souffrances résidait dans le fait que tu vivais séparé de ta famille, loin de ton royaume. Je m'étais gardé de t'importuner par mes questions à ce sujet, et chaque fois que je constatais un nouveau dépérissement, une détérioration nouvelle de ta santé, je me forçais davantage à ne pas t'en parler. Lorsque je suis revenu de la chasse, je t'ai revu dans un état bien meilleur et je me suis aperçu que tu avais repris des couleurs. J'aimerais que tu m'expliques ce qui t'est advenu et que tu m'avoues la cause de ce qui te tourmentait lors de ton arrivée chez moi…, la cause aussi du spectaculaire rétablissement de tes forces et du retour de ces belles couleurs sur ton visage. Ne me cache rien, révèle-moi tout ce qui s'est passé.

Lorsque Chahzamane entendit ce discours du roi Chahriyâr, baissant les yeux, il fixa le sol du regard et dit : " Pour ce qui est de te révéler la cause du rétablissement de ma santé, je ne puis le faire. Je souhaite donc que tu me dispenses de répondre à ta seconde question ".

Ces mots remplirent le sultan d'un grand étonnement et les flammes d'une curiosité intense s'allumèrent dans son cœur. " Il faut absolument que tu me racontes cela aussi, insista-t-il ; mais si tu veux, parle-moi d'abord du premier changement qui s'est opéré en toi. " Alors Chahzamane lui fit part de l'infortune qui l'avait frappé, le jour même de son départ. Il lui raconta tout, du commencement jusqu'à la fin. " Ô roi du temps, conclut-il, chaque fois que je me rappelais ce qui m'était advenu et le malheur qui m'avait atteint, je sombrais sous l'emprise des soucis, de l'angoisse et de l'obsession. Telle est la seule cause de l'état où tu m'as trouvé d'abord.

Il s'arrêta de parler et le roi Chahriyâr hocha la tête en constatant, avec une stupéfaction extrême, combien les femmes sont rusées. Il invoqua le secours de Dieu contre les catastrophes qu'elles peuvent provoquer et dit : " Par Dieu, ô mon frère, tu as bien agi en tuant ta femme et son amant. Et tu es parfaitement excusable d'avoir cédé aux soucis au point d'en perdre la santé. Je crois bien que ce qui t'est advenu n'est arrivé à personne d'autre en ce monde. Par Dieu ! Si je m'étais trouvé dans une situation semblable ; je ne me serais pas gêné pour tuer une bonne centaine, voire un bon millier de femelles autour de moi. Et ce geste ne m'aurait pas dispensé de sombrer dans l'ivresse ou dans la folie. Mais rendons plutôt grâces à Dieu qui a dissipé ton angoisse et ton deuil… Et maintenant dis-moi donc comment tes soucis ont disparu et de quelle manière ton visage a retrouvé ses couleurs… - Ô roi, je désire que tu me dispenses, au nom de Dieu, de m'expliquer devant toi sur cette nouvelle transformation. - Il faut absolument que tu t'en expliques. - J'ai peur de te voir tomber dans des soucis et dans une inquiétude pire que les miens. - Comment cela, ô mon frère ? … Allons, raconte car je ne puis revenir sur l'ordre que je t'ai donné. Il faut absolument que tu me fasses le récit de ton aventure.

Alors Chahzamane lui raconta tout ce qu'il avait vu par la fenêtre de son palais, lui révélant l'infortune qui gisait en la propre maison de celui-ci sous les traits de dix esclaves mâles déguisés en femmes, qui dormaient de jour comme de nuit avec ses servantes et ses favorites. Il lui rapporta tout, du commencement à la fin (revenir sur ce sujet ne présente aucun avantage). Puis il conclut par ces mots : " Lorsque j'eus compris l'infortune dans la quelle tu te trouvais toi-même, j'oubliais la mienne, en me disant que j'étais moins malheureux que d'autres, puisque mon frère, bien qu'il fût roi de toute la terre, abritait l'infamie dans sa propre demeure. Mes soucis se dissipèrent, j'oubliais tous les sentiments désagréables qui m'avaient habité, recouvrai ma liberté d'esprit et, avec elle, le goût du manger et du boire. Voilà pourquoi j'ai repris mes heureuses couleurs.

Lorsque Chahriyâr eut entendu ces paroles de son frère, lorsqu'il n'eut plus rien à apprendre sur ce qui lui était advenu, il fut pris d'une si violente colère que le sang faillit lui rompre les veines. " Frère, s'écria-t-il, je n'admettrai comme vrai ce que tu viens de me raconter que lorsque j'aurai vu la chose de mes propres yeux. " Et son courroux, après ces mots, augmenta encore. " Si tu désires voir ton malheur de tes yeux afin de croire à mes paroles, répondit Chahzamane, organise donc une expédition de chasse à laquelle nous participerons tous les deux avec notre escorte. Puis, lorsque nous serons hors de vue de la cité, nous laisserons nos tentes, le pavillon royal et le reste de la troupe, et nous regagnerons la ville. Tu viendras alors dans mon palais et tu pourras constater de tes propres yeux ce qui se passe dans tes jardins. "

Le roi savait que son frère avait raison. Il approuva le projet et donna ordre aux soldats de se préparer à une nouvelle campagne de chasse. Il passa la nuit, en compagnie de son frère et, lorsque Dieu dit paraître le jour, tous les deux montèrent à cheval et quittèrent la ville au milieu des cavaliers de leur escorte. Les serviteurs chargés de dresser les tentes et de les meubler étaient partis avant eux et avaient établi leur campement loin de la ville. Ils avaient déjà planté le pavillon royal et aménagé le vaste auvent lui servant de vestibule lorsque le sultan arriva avec ses soldats. A la nuit tombante, il fit venir auprès de lui le grand chambellan, lui délégua ses pouvoirs et le chargea de surveiller avec soin les soldats, de façon qu'aucun d'eux ne pût retourner en ville durant trois jours consécutifs. Sur quoi, lui et son frère, affublés d'un déguisement, s'empressèrent de regagner de nuit la capitale. Ils montèrent au palais où résidait Chahzamane et y dormirent jusqu'au matin.

A l'aube, tous deux s'installèrent aux fenêtres qui donnaient sur le jardin et bavardèrent jusqu'au moment où le jour fût complètement levé. Enfin le soleil parut déversant sa lumière sur toutes choses. Les deux frères guettaient la porte secrète qui ne tarda pas à s'ouvrir, et l'épouse du roi Chahriyâr en franchit le seuil, selon son habitude, escortée par ses vingt servantes. Elles se promenèrent un instant, sous les arbres et furent bientôt rendues sous les murs du palais où se trouvaient les deux rois. Dans l'instant, les dix esclaves noirs enlevèrent leurs vêtements féminins et furent aussitôt sur les dix dames qu'ils se mirent en devoir de conjoindre. Quant à la reine, elle criait déjà : " Mas'oud ! Ô Mas'oud ! " Sur-le-champ, l'esclave noir sauta de son arbre, retomba lestement sur ses pieds et la rejoignit en disant : " Qu'as-tu vu donc, ô mon trou ? Vois comme je vole à ton secours, moi, Sa'd-al-Dine, surnommé Mas'oud, le " Fortuné " ! Ces mots la firent rire aux éclats. Sans plus attendre, elle s'étendit sur le dos et l'esclave entra en elle, s'employant à lui faire son affaire à l'exemple des dix autres. Après quoi tous procédèrent à leurs ablutions. Les hommes revêtirent leurs habits de femmes et se mêlèrent aux servantes. Puis le cortège se reforma, reprit son chemin et s'engouffra par la porte secrète qui fut de nouveau verrouillée de l'intérieur. Quant à Mas'oud, il avait escaladé le mur pour aller là où l'appelaient ses affaires.

Les deux rois quittèrent alors leur observatoire. A la vue du spectacle offert par son épouse et ses servantes favorites, la sultan Chahriyâr avait manqué perdre la raison : " Si de tels faits se déroulent dans mon palais, au centre même de mon royaume, il me semble certain que personne, de par le monde, ne peut se vanter d'échapper à pareille aventure. Maudites soient les créatures d'ici-bas ! Maudit soit le siècle ! Ce qui m'est advenu n'est rien moins qu'une terrible catastrophe ! Puis il s'approcha de son frère et lui dit : " Veux-tu me donner ton accord sur un projet que je voudrais mettre à exécution ? - Lequel ? demanda Chahzamane. - Lève-toi et viens avec moi : nous renoncerons à notre pouvoir royal afin de parcourir le vaste monde, nous garder d'autre souci en tête que l'amour du Dieu Très-Haut. Quittons vite ces lieux où l'on nous a trahis. Nous ne regagnerons notre demeure que lorsque nous aurons rencontré quelqu'un dont l'infortune dépassera la nôtre. En attendant cette trouvaille, nous voyagerons de province en province. A quoi pourrait bien nous servir le pouvoir dans la situation où nous sommes ? - Tu as raison, répondit Chahzamane. Je me rends de grand cœur à ta proposition.

Peu après, ils quittaient le palais par une porte secrète. Empruntant des voies peu fréquentées, ils s'éloignèrent de la ville et s'en allèrent leur chemin. Les deux frères marchèrent jusqu'à la tombée de la nuit, dormirent sous les arbres d'une certaine forêt et se remirent en marche, le lendemain matin, dès que le jour se fut levé. Ils débouchèrent alors dans une plaine étroite, au bord de la mer salée, où poussaient de nombreux arbres et toutes sortes de plantes. Ils s'assirent en ce lieu et mirent à converser sur leur infortune, évoquant à loisir les mésaventures qu'ils avaient subies.

Ils se livraient à cette occupation lorsqu'un cri retentit tout à coup au milieu de la mer, suivi par une clameur immense. La peur les fit trembler… Ils grimpèrent se cacher dans un grand arbre…Puis la mer se fendit et une colonne noire émergea des flots… La forme gigantesque atteignit la rive et se hissa sur la terre ferme où elle prit l'apparence d'une ifrite, oui, d'un djinn de couleur noire qui se dressa de toute sa taille et se mit à marcher, portant sur sa tête un coffre en verre fermé par quatre cadenas d'acier. L'être en question traversa la prairie et, voulant s'asseoir à l'ombre d'un arbre, n'en trouva, à son goût, que celui où étaient perchés les deux rois. Il s'arrêta dessous, posa sur le sol le coffre en verre, et, à l'aide de quatre clefs différentes, ouvrit les quatre cadenas. Et voilà que surgit une adolescente de taille parfaite, aux formes harmonieusement proportionnées… " Ô toi, la perle de toutes les favorites de la terre, dit-il, celle que j'ai enlevée la nuit même de ses noces, sache que j'aimerais dormir un peu. " Puis il mit la tête sur les genoux de la jeune femme et s'étendit de tout son long, ses pieds atteignant presque le bord de la mer. Sur quoi, il sombra dans in profond sommeil…

L'adolescente fit signe aux deux frères de descendre sans bruit la rejoindre… " Il faut absolument que vous veniez près de moi, leur dit-elle. " Eux cependant lui faisaient comprendre par signes que l'ifrite qui reposait près d'elle était l'ennemi implacable du genre humain… " Je vous somme de descendre, les menaça-t-elle, alors, sinon je réveillerai l'ifrite pour qu'il vous tue. "…Lorsqu'ils furent près d'elle, elle se coucha sur le dos, leva les jambes en l'air et leur dit : " Baisez-moi, faites-moi mon affaire, sinon je n'hésiterai pas à tirer l'ifrite de son sommeil pour qu'il vous tue ". …
Devant pareille insistance, ils ne purent s'empêcher d'obéir. Ils la conjoignirent donc tous les deux….Ils se levèrent de dessus l'adolescente, et celle-ci, en retour, leur ordonna : " Et maintenant passez-moi vos anneaux ". Elle sortit de l'intérieur de ses vêtements un petit sac, l'ouvrit et, le renversant, fit tomber à terre tout ce qu'il contenait, soit quatre-vingt-dix-huit anneaux, tous de couleurs et de modèles différents. " Savez-vous ce que sont ces anneaux ? demanda-t-elle. - Non, confessèrent-ils. - Leurs possesseurs ont tous couché avec moi. Sachez en effet que chaque fois qu'un homme me baise, je lui prends son anneau. Donc, puisque vous m'avez baisé tous les deux, vous n'avez plus qu'à me donner les vôtres…Lorsque la femme veut quelque chose, il n'est personne au monde qui puisse l'empêcher de l'obtenir. "…

Les deux frères tournèrent donc les talons et reprirent leur route. Tout en marchant, Chariyâr disait à son frère : " Ô Chahzamane, mon frère, considère le cas de cette adolescente. Par Dieu, l'infortune dont elle est la cause dépasse encore la nôtre… Retournons donc en notre royaume et dans notre ville, ô mon frère, et renonçons aux femmes. Quant à moi, je te ferai voir bientôt la conduite que j'ai décidé d'adopter ".(Mille et Une Nuits, Phébus Libretto, édition intégrale établie par René R. Khawam, volume 1, 1986, p. 42-48)

 

Samedi 18 février 2012 à 15 heures

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Chahrazade

Le roi Chahriyâr ne cessa de prendre ainsi, chaque nuit, une fille parmi celles des marchands ou des hommes du peuple, pour dormir avec elle et la tuer le lendemain matin. Mais il se fit à la fin grand bruit par toute la ville de ces disparitions. Les matrones se lamentaient, les femmes, les pères, les mères, tous vivaient dans une inquiétude continuelle et ne tardèrent pas à appeler les pires maux sur la tête du roi, présentant leurs supplications au Créateur des cieux, demandant aide et protection à Celui qui entend la voix des affligés et répond à leurs prières.

Le vizir chargé de veiller à l'exécution des épouses du roi avait, on le sait deux filles : l'aînée avait nom Chahrazade, et la plus jeune Dounyazade. Chahrazade avait lu des livres et des écrits de toutes sortes, allant jusqu'à étudier les ouvrages des Sages et les traités de médecine…

Un jour, elle dit à son père : " Ô père, je voudrais te faire part de mes pensées secrètes. - Quelles sont-elles ? demanda la vizir. - Je désire que tu arranges mon mariage avec le roi Chahriyâr : ou bien je grandirai dans l'estime de mes semblables en les délivrant des péril qui les menace, ou bien je mourrai et périrai sans espoir de salut, partageant le sort de celles qui sont mortes et ont péri avant moi ".

Lorsque le vizir entendit les paroles de sa fille, il s'écria d'une voix courroucée : " Sotte que tu es, ne sais-tu pas que le roi Chahriyâr a juré de ne dormir qu'une seule nuit avec chacune de ses épouses pour la tuer le lendemain matin ? Tu veux que je te donne à lui ! Ignores-tu qu'après avoir passé une nuit avec toi, il m'ordonnera, dès le jour suivant, de te faire périr ? Et tu sais bien que je serai obligé de te tuer sans pouvoir m'opposer à ses ordres ! - Ô mon père, il faut absolument que tu me donnes à lui. Ma décision est irrévocable, mon choix est définitif ".

Le vizir son père, cette fois fort en colère, s'écria à la fin : " Celui qui ne sait pas s'adapter aux réalités du monde tombe immanquablement dans les dangers qu'il veut éviter…

Histoire de l'âne, du taureau et du laboureur…

Ayant terminé son récit, le vizir dit à sa fille : " Toi aussi, tu ne reviendras sur ta décision que lorsque j'aurai employé à ton endroit les mêmes moyens dont le marchand sut si bien user avec sa femme… - Par Dieu ! répondit-elle, je ne renoncerai pas pour cela à mon projet. Et ton histoire ne m'empêchera pas de réitérer ma demande, car si je voulais, je t'en conterais d'autres qui conduisent à des conclusions différentes. En fin de compte, je t'avertis que si tu ne te décides pas à me présenter au roi Chahriyâr de ton plein gré, j'irai le trouver en ton absence pour lui dire que tu as refusé de consentir à ce mariage par dédain pour sa personne et par crainte de donner à ton maître une fille aussi riche que moi… - Tu exiges donc que j'obéisse à tes injonctions ? conclut le vizir. - Oui ".

Ayant épuisé tous ses arguments pour la dissuader de son projet et lassé à la fin par tant d'entêtement, le ministre se rendit donc au palais. Il se fit introduire en présence du roi Chahriyâr, baisa la terre à ses pieds, présenta la requête de sa fille et annonça à son souverain son intention de lui offrir les faveurs de celle-ci pour le soir même. Le roi s'en étonna et dit : " Comment as-tu consenti à me céder ta fille ? Sache par Dieu ! par le prix de Celui qui a élevé le ciel au-dessus de la terre ! que demain, à peine le jour aura-t-il paru, je te donnerai l'ordre de la tuer… et que si tu refuses, je veillerai à ce que tu sois exécuté pareillement. - Ô sultan, notre maître, répondit le vizir, j'ai essayé de lui faire abandonner son projet en lui rapportant le sort qui l'attendait. Je l'ai avertie en termes clairs de son destin. Malgré cela, elle a maintenu sa décision : elle désire se trouver chez toi, cette nuit même ".

Ces mots eurent l'air de fort réjouir le roi. " Va lui préparer tout ce qui est convenable, ordonna-t-il au vizir, et amène-la-moi au début de la nuit. " Le vizir s'en alla porter la nouvelle à sa fille : " Que Dieu me garde, dans l'avenir, de regretter ton absence ! déclara-t-il en conclusion de toutes ses paroles ".

Chahrazade ressentit une très vive joie en apprenant la réussite de son projet. Elle fit ses préparatifs, disposa tout ce dont elle avait besoin pour ses noces ; puis elle s'en vint trouver sa sœur Dounyazade et lui dit : " Ma sœur, retiens bien les conseils que je vais te donner. Lorsque je serai chez le roi, il te fera demander. Tu viendras le trouver aussitôt, et lorsque tu constateras que nos ébats ont pris fin, tu me diras : " Ô ma sœur, si tu ne dors pas, raconte-moi une petite histoire ". Alors, je commencerai un récit… dont l'issue coïncidera avec ma délivrance et avec celle de toute la communauté ! Oui, entends-tu, c'est ainsi que je compte faire oublier au roi ses habitudes sinistres… " Dounyazade approuva ces paroles et promit de seconder les projets de son aînée.

La nuit arriva. Le vizir prit Chahrazade et l'emmena auprès du Grand Roi Chahriyâr. Celui-ci la fit entrer dans son lit et se livra avec elle à mille jeux. A la suite de quoi la belle enfant se prit à pleurer. " Pourquoi ces larmes ? s'étonna le roi. - J'ai une sœur cadette, expliqua Chahrazade, et je voudrais la faire venir ici pour lui faire mes adieux et recueillir les siens avant l'apparition de l'aube ".

Le roi envoya chercher la sœur cadette. Dounyazade arriva dans la chambre et s'étendit au pied du lit. Lorsque l'obscurité fut complète, elle ouvrit l'œil et attendit patiemment que le roi eût fini de mener son affaire avec sa sœur. A la fin, comme les deux conjoints reprenaient leurs esprits, elle se risqua à toussoter et murmura : " Ô ma sœur, si tu ne dors pas, raconte-moi une de tes belles histoires, de celles qui nous aidaient à passer nos veillées. Ensuite, dès avant l'aube, je te ferai mes adieux, car je ne sais trop ce que demain te réserve… ". Chahrazade demanda au roi : " Me permets-tu de lui raconter une histoire ? - Oui, fit le roi ". Chahrazade, toute à sa joie secrète, s'adressa alors à sa sœur : " Ecoute, lui dit-elle… "

Elle n'avait pas terminé son récit que le jour vint à paraître. Chahrazade se tut. Le roi, visiblement fort embarrassé, se demandait de quelle manière il devait s'y prendre pour connaître la fin de l'histoire. Lorsque Dounyazade aperçut la lumière de l'aube, elle s'écria : " Ô ma sœur, ton récit est beau et merveilleux ! - Ce que vous venez d'entendre, insinua alors la conteuse, n'est rien en comparaison de ce que je me propose de vous révéler la nuit prochaine… si je reste en vie et si le roi m'accorde un délai pour le raconter. Mon histoire comporte en effet nombre d'épisodes plus beaux et merveilleux encore que ceux que je vous ai régalés ". Alors le roi se dit en lui-même : " Par Dieu ! Je ne la tuerai que lorsque j'aurai entendu la suite. Me voilà bel et bien obligé de reporter sa condamnation au lendemain… ".

Enfin l'aube céda la place au jour, et le soleil brilla de tout son éclat. Le roi s'en alla régler les affaires de son royaume, soucieux qu'il était du bon gouvernement de ses sujets. Quant au père de Chahrazade, son vizir, il fut bien étonné de ce que son maître n'envoyât pas à la mort, sa nouvelle épousée, et ne laissa pas de s'en réjouir beaucoup. Chahriyâr, cependant vaquait à ses fonctions royales, décrétant de sa bouche tout ce qui lui semblait bon de décréter, ce qui le tint affairé jusqu'au soir. Il regagna alors son palais, se retira dans ses appartements et admit Chahrazade dans son lit. Au cœur de la nuit, la voix de sa sœur cadette se fit entendre à nouveau : " Par Dieu ! ô ma sœur, si tu ne dors pas, raconte-moi donc une de tes belles histoires, afin d'agrémenter notre veillée. - Oui, conte-nous vite la suite de ton récit d'hier, renchérit le roi. Qu'est-il donc arrivé à notre héros, je brûle de le savoir. - Volontiers, ô roi fortuné, répondit Chahrazade. Avec amour et respect je t'obéirai ".

Et elle continua de dérouler ainsi le fil de ses histoires, l'interrompant à la fin de chaque nuit et le reprenant au cours de la nuit suivante, toujours avec la permission du roi Chahriyâr… Et mille et une nuits s'écoulèrent.

La reine Chahrazade avait, pendant ce temps, donné le jour à trois enfants du sexe masculin. Lorsqu'elle fut rendue au terme de sa dernière histoire, elle se leva, se présenta à la face du roi, baisa le sol devant lui et dit : " Ô roi du temps, ô roi unique à son époque et en son siècle, sache que je suis ta servante et que, durant mille et une nuits, je t'ai rapporté tous les récits de ceux qui nous ont précédés sur cette terre, toutes les exhortations de ceux qui ont vécu avant nous. Puis-je après cela me prévaloir de quelque crédit auprès de ta seigneurie et te présenter un vœu auquel je souhaite que tu puisses répondre d'une manière favorable ? - Demande une grâce, elle te sera accordée, répondit le roi ". Alors elle appela les nourrices et les eunuques du palais et leur dit : " Amenez ici mes enfants ". Ils s'empressèrent d'aller les chercher. Or ces enfants étaient au nombre de trois, tous de sexe masculin. Le premier commençait à marcher, le second allait à quatre pattes, le troisième était encore à la mamelle. Lorsqu'ils furent devant elle, elle les prit tous les trois dans ses bras et les déposa devant le roi. Puis elle baisa la terre et dit : " Ô roi du temps, voici tes enfants. Je souhaite maintenant que tu m'accordes la grâce d'échapper à la mort que tu avais prévue pour moi, et cela, par égard pour eux. Car si tu me fais mourir, ils seront sans mère et ne trouveront aucune femme capable de les élever avec plus de tendresse que moi-même ".

A ces mots, le roi pleura et serra ses trois fils sur sa poitrine. " Ô Chahrazade, s'écria-t-il. Par Allah ! J'étais décidé à épargner ta vie avant même que tu me présentes ces enfants, car je t'ai vue chaste et pure, fidèle et pieuse. Que Dieu t'accorde ses bénédictions, qu'il les accorde aussi à ton père, à ta mère et à tous ceux de ton lignage et de ta race. Je prends Dieu à témoin que j'écarterai désormais de toi tout ce qui pourrait te nuire ". Elle lui baisa les mains et les pieds et s'écria, débordante de joie : " Que Dieu prolonge ta vie ! Qu'Il augmente la crainte et le respect que tu inspires à tes sujets ". L'allégresse se répandit partout, depuis le palais du roi jusqu'aux quartiers reculés de la ville. Oui, le souvenir de cette nuit-là fut unique dans la mémoire de tous ceux qui la vécurent…, nuit plus brillante même que le visage resplendissant du jour.

L'aube trouva le roi heureux et comblé par la fortune. Il fit venir tous ses soldats et accorda à son vizir, le père de Chahrazade, un somptueux manteau d'honneur dont la seule vue imposait à tous le respect. Puis il lui déclara : " Tu as bénéficié de la protection de Dieu lorsque tu m'as donné pour épouse ta fille aux nobles qualités. Elle a été la cause de ma repentance et m'a fait renoncer à mon habitude de tuer les filles de mes sujets. Je l'ai vue fidèle, pure, chaste, honnête, et Dieu m'a octroyé la faveur d'avoir de cette épouse trois enfants mâles. Qu'il soit loué pour cette grâce magnifique !

Puis il gratifia de vêtements d'honneur tous les grands personnages de son royaume sans exception, tous les vizirs, tous les émirs. Il ordonna d'orner la ville durant trente jours et de mettre à son compte les dépenses de tous les habitants au cours de ces réjouissances publiques, en ayant bien soin, pour cela, de ne faire tirer d'argent que sur son trésor personnel, de façon à épargner le moindre débours à ses sujets. On décora donc la ville d'une manière splendide, telle que jamais elle ne l'avait été dans le passé. On battit du tambour, on joua de la flûte. Les baladins les plus habiles donnèrent des représentations gratuites devant la foule et le roi les combla eux aussi de faveurs et de cadeaux. Il fit de larges aumônes aux pauvres et aux indigents, et sa générosité étendit ses bienfaits jusqu'au dernier des habitants de son royaume.

Ainsi vécurent-ils, lui et les siens, dans le bien-être, le plaisir, le bonheur et la gaîté… jusqu'à ce qu'ils fussent rejoints par celle qui efface toute jouissance et disperse les assemblées…

Loué soit Celui que le déroulement du temps ne peut anéantir, que les changements ne privent d'aucune qualité, qu'un état déterminé ne distrait d'aucun autre, Celui qui seul possède la perfection totale.

Que la bénédiction et le salut soient sur le premier en dignité parmi ses préposés, sur la meilleure de ses créatures, notre maître Mohammad, le Maître de l'humanité entière. Que par lui arrivent jusqu'à Dieu les prières que nous formulons en mettant bonne fin à ce récit. (Les mille et une nuits, édition établie par René R. Khawam, Phébus libretto)

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Analyse de Chahrazade

 

Samedi 17 mars 2012 à 15 heures

Centre social, 5, rue Bonnefoi
(Lyon 3è, à 150 mètres du métro Guillotière)
Prendre la rue Paul Bert : la rue Bonnefoi est la seconde à droite

La première nuit de Tobie avec Sarra

Quand on eut fini de boire et de manger,
On parla d'aller se coucher,
Et l'on conduisit le jeune homme
Depuis la salle du repas jusque dans la chambre.
Tobie se souvint des conseils de Raphaël,
Il prit le sac, il en tira le cœur et le foie du poisson,
Et il en mit sur les braises de l'encens.
L'odeur du poisson incommoda le démon,
Qui s'enfuit par les airs jusqu'en Egypte.
Raphaël l'y poursuivit, l'entrava et le garotta sur le champ.

Cependant les parents étaient sortis en refermant la porte.
Tobie se leva du lit et dit à Sarra : "Debout, ma sœur !
Il faut prier tous deux, et recourir à notre Seigneur,
Pour obtenir sa grâce et sa protection."
Elle se leva et ils se mirent à prier pour obtenir d'être protégés,
Et il commença ainsi :

Tu es béni, Dieu de nos pères,
Et ton Nom est béni
Dans tous les siècles des siècles !
Que te bénissent les cieux
Et toutes les créatures
Dans tous les siècles !

C'est toi qui a créé Adam,
C'est toi qui a créé Eve sa femme,
Pour être son secours et son appui,
Et la race humaine est née de ces deux-là.
C'est toi qui as dit :
"Il ne faut pas que l'homme reste seul,
Faisons-lui une aide semblable à lui."

Et maintenant, ce n'est pas le plaisir
Que je cherche en prenant ma sœur,
Mais je le fais d'un cœur sincère.
Daigne avoir pitié d'elle et de moi
Et nous mener ensemble à la vieillesse !

Et ils dirent de concert : "Amen, amen !"
Et ils se couchèrent pour la nuit.

Or Ragouël se leva, il appela ses serviteurs
Et ils vinrent l'aider à creuser une tombe.
Il avait pensé : "Pourvu qu'il ne meure pas !
Nous serions couverts de ridicule et de honte."
Une fois la fosse achevée, Ragouël revint à la maison,
Il appela sa femme et lui dit : "Si tu envoyais
Une servante dans la chambre voir si Tobie est en vie ?
Parce que, s'il est mort, on l'enterrerait sans que personne ne sache rien."
On avertit la servante, on alluma la lampe,
On ouvrit la porte, et la servante entra.
Elle les trouva dormant tous deux d'un profond sommeil ;
Elle ressortit et leur dit tout bas :
"Il n'est pas mort, tout va bien."
Ragouël bénit le Dieu du ciel par ces paroles :

Tu es béni, mon Dieu,
Par toute bénédiction pure !
Qu'on te bénisse dans tous les siècles !

Tu es béni de m'avoir réjoui,
Et ce que je redoutais n'est pas arrivé,
Mais tu nous a traités
Avec ton immense bienveillance.

Tu es béni d'avoir eu pitié
De ce fils unique et de cette fille unique.
Donne-leur, Maître, ta grâce et ta protection,
Fais-les poursuivre leur vie,
Dans la joie et dans la grâce !

Et il fit combler la tombe par ses serviteurs,
Avant le petit jour.
Il fit faire par sa femme une fournée de pains,
Il alla au troupeau, prit deux boeufs et quatre moutons,
Il les recommanda à la cuisine,
Et l'on commença les préparatifs.
Il fit venir Tobie et lui déclara :
"Pendant quatorze jours, il n'est pas question que tu bouges d'ici.
Tu resteras là où tu es , à manger et à boire, chez moi.
Tu rendras la joie à ma fille après tous ses chagrins.
Après, emporte d'ici la moitié de tout ce que j'ai,
Et retourne sans encombre auprès de ton père.
Quand nous serons morts, ma femme et moi,
Vous aurez l'autre moitié.
Aie confiance, mon garçon !
Je suis ton père, et Edna est ta mère.
Nous sommes tes parents, comme ceux de ta sœur, désormais.
Aie confiance, mon enfant !"
(Bible de Jérusalem, Tobie, 8, 1-21)

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Analyse de la première nuit de Tobie passée avec Sarra

 

Samedi 28 avril 2012à 15 heures (café retardé d'une semaine)

Centre social, 5, rue Bonnefoi
(Lyon 3è, à 150 mètres du métro Guillotière)
Prendre la rue Paul Bert : la rue Bonnefoi est la seconde à droite

La fille tuée sept fois

Il y a longtemps, sur l'île d'Oahu, vécut Kahala, fragile et vive comme un ruisseau de montagne. Son regard était couleur d'arc-en-ciel : son père était le dieu du vent et sa mère la déesse de la pluie. Kahala aimait Kauhi, un jeune chef de tribu aux yeux de braise noire, fier et puissant comme un volcan. Le cœur de Kauhi était une boule de feu et la fille fraîche dans les montagnes de l'île, au crépuscule, sous les arbres bercés par le vent, venait réchauffer doucement son front contre ce cœur superbe.

Le jour où commence cette histoire, Kauhi se repose, au retour de la pêche sur la plage. Deux hommes viennent vers lui. Ils titubent en riant fort, ils sont ivres, des colliers de fleurs flétries se balancent sur leur bedaine. Ils s'interpellent grossièrement, se bousculent. Kauhi les regarde avec indifférence, puis, soudain, se dresse comme un fauve, le regard flamboyant. Il vient d'entendre ces mots qui le bouleversent : "Kahala m'a donné un collier plus beau que le tien." L'autre ivrogne répond : "Hé ! je n'ai pas, comme toi, fait l'amour avec elle." Des ricanements, d'autres paroles grasses s'éloignent sur la plage. Kauhi reste pétrifié. Les mains sur le visage, il essaie de contenir la tempête qui ravage son esprit, il s'en va comme égaré, abandonnant sa pirogue sur la plage. Il court vers la vallée de Manoa. Une fureur noire embrume son regard, un nom cogne dans sa poitrine : "Kahala, Kahala." Il court sur le sentier rocailleux jusqu'au bord de la cascade où l'attend d'habitude celle qu'il maudit maintenant. Là, il la voit sur un rocher, auréolée de pluie fine. Il casse une branche. Il s'avance, les dents serrées, il la prend par le bras. Elle sourit d'abord, puis ce visage dur, halluciné, l'épouvante. Il dit : "Détourne la tête. Ta beauté ne m'empêchera pas de faire ce que je dois faire." Elle obéit. Kauhi lève son bâton et l'abat sur la tempe de la jeune fille qui tombe, sans un cri, sur le rocher, morte. Il s'agenouille, à côté d'elle, creuse une fosse en gémissant. Au bord de la cascade, il enterre Kahala et s'en va, dans la nuit tombée, comme un somnambule.

Alors, Pueo, le dieu hibou, dans un arbre voisin, ouvre ses yeux ronds et s'envole. Pueo le hibou est un vieil ami de Kahala, la fille du vent, l'amoureuse innocente qui sait parler le langage des oiseaux. Il se pose sur la terre remuée de sa tombe. Les ailes ouvertes, il gratte le sol, du bec et des griffes, et délivre bientôt le visage de la morte, tout blanc sous la lune. Il frotte doucement son plumage contre la tempe ensanglantée. Alors Kahala revient à la vie et se dresse. Aussitôt elle sanglote, enveloppée dans les ailes du dieu hibou. "Kauhi croit que je l'ai trahi, dit-elle. - Retourne chez toi, répond, Pueo." Il l'accompagne, un instant, sur le sentier, puis disparaît dans les feuillages sombres.

Kahala ne peut revenir dans la maison de ses ancêtres, tant qu'elle n'aura pas revu Kauhi. Elle veut poser son front contre sa poitrine et lui dire : "Je suis fidèle, j'ai toujours été fidèle." Elle va donc à sa rencontre. Elle le retrouve sur la plage, au milieu de la nuit. Il est couché, la face contre le sable. Elle s'agenouille, près de lui, elle lui parle doucement. Mais Kauhi ne veut pas l'entendre. Il se relève en rugissant, il brandit son bâton, à nouveau, il la tue, à nouveau il s'en va, hurlant sa rage et sa douleur, à nouveau Pueo, le dieu hibou, vient caresser doucement la blessure de Kahala, et la ressuscite. Et la folle poursuite dans la nuit recommence.

Ainsi, sept fois, jusqu'à l'aube, Kauhi abat son arme, sept fois, Kahala tombe morte. A l'aube, ils ont fait le tour de l'île, l'une cherchant la mort, l'autre fuyant l'amour. Les voici revenus au bord de la cascade. Sous les racines d'un acacia, l'amoureux impitoyable enfouit la fille du dieu du vent et s'en va. Pueo, le hibou, pour la septième fois, creuse la terre remuée. Mais ses griffes sont usées, il les écorche sur les racines de l'arbre. Il s'épuise, il ne parvient pas à briser cette prison nouvelle, et son œil regarde s'éloigner lentement l'esprit de Kahala sur l'écume de la cascade. Le jour vient, dont il ne peut supporter la lumière. Alors, il appelle au secours Elépiao, un oiseau vert penché dans l'arbre. Il lui dit : "Cherche un homme et trouve-le." Elépiao, l'oiseau vert, s'envole dans le petit matin et, sur la plage, il trouve un homme, nommé Manaha. Il se pose sur son épaule. Manaha entend ces mots dans son esprit : "Vois-tu cet arc-en-ciel qui s'éteint au-dessus de la cascade ? C'est l'esprit de Kahala, il s'éloigne pour toujours de la terre." Elépiao bat des ailes au-dessus de sa tête et le conduit.

Manaha, au bord de la cascade, devant la fosse à demi creusée, s'agenouille et brise les racines qui emprisonnent le corps de Kahala, la fille du dieu du vent. Elle est pâle et froide comme la brume de l'aube, son visage est souillé de terre et de larmes. Pourtant, Manaha, l'homme simple, est ébloui par sa beauté. Il la prend dans ses bras, délicatement, l'emporte dans sa maison, la couche sur un lit de feuilles sèches. Alors la fille du vent soupire et gémit, elle s'éveille lentement, ses paupières battent. Manaha, penché sur elle, la regarde et caresse son front. Il la veille sept semaines. L'amour, dans son esprit, germe et grandit. Enfin, les couleurs de l'arc-en-ciel se raniment dans le regard de Kahala. Elle sourit et dit à Manaha, assis près de sa couche : "Sois béni car tu m'as sauvé la vie." Manaha lui répond : "Sauve la mienne, maintenant. Accepte de me prendre pour époux. Je serai fidèle jusqu'à ce que la mort m'emporte. Kahala ferme les yeux et répond, le cœur battant : "Va voir mes parents, ils t'aimeront autant que je t'aime. Je ferai ce qu'ils décideront. Je ne peux moi-même t'accorder ce que tu veux car je suis promise à Kauhi depuis l'enfance. Manaha s'en va dans la montagne, à la rencontre du dieu du vent et de la déesse de la pluie. Ils habitent une maison de feuillage sur le plus haut rocher de l'île. Ils accueillent comme un fils cet homme pacifique qui vient vers eux les bras chargés de fruits. Le jour de la noce est aussitôt décidé. Le peuple de l'île d'Oahu est convié au festin. A l'heure dite, Manaha, tenant par la main Kahala parée de fleurs, s'avance parmi les chants et les danses.

Alors un guerrier surgit de la foule et lève sa lance au milieu du chemin devant les nouveaux époux. Aussitôt, chacun se tait, même le vent retient son souffle, car il n'est pas un enfant qui ne reconnaisse Kauhi, l'amoureux furieux. Son visage est halluciné, un ricanement effrayant tord sa bouche. Il dit, comme l'on crache une insulte : "Cette fille n'est pas Kahala. Kahala est morte. Je parie ma vie contre celle de Manaha que cette femme qu'il croit épouser n'est qu'un fantôme. Le grand-père de Kahala saisit en tremblant le poignet de Kauhi et lui dit : "Dépose ton arme. Tes paroles nous blessent. Que l'on appelle les sorciers de l'île. Ils sont seuls capables de savoir et de dire si la fille du dieu du vent est un fantôme ou une vraie vivante. Que l'on allume sur la plage un grand feu, car si tu as menti, Kauhi, tu périras brûlé.

La foule recule. Kahala, maintenant, est le seul au centre d'un cercle de regards inquiets. Quatre sorciers s'avancent vers elle et tournent lentement autour de son corps immobile. Au bord de la mer, les flammes d'un grand bûcher s'élèvent en crépitant. Dans le regard de Kahala brille son âme de sept couleurs. Les mains des sorciers dansant autour d'elle devinent le rayonnement de la vie. Ses hommes sages s'approchent du grand-père Akaaka et lui disent : "Ta petite fille est vivante." Chacun entend ces paroles et la foule pousse un grand cri de délivrance. Kauhi, seul, hurle terriblement, bousculant le peuple comme un cheval emballé et se précipite dans les flammes. Kahala tombe à genoux sur le sable et pleure longuement.

Au crépuscule, elle rejoint la maison de son époux Manaha. Sur le chemin du retour, son grand-père Akaaka l'accompagne. Il lui dit : "Prends garde. Kauhi, ce soir, rejoint ses ancêtres. Il s'est sans doute métamorphosé en requin. Ne fréquente plus l'océan, ma fille, tu y perdrais la vie." Kahala promet d'être prudente. Le temps passe, paisible. Auprès de Manaha, parmi ceux qui l'aiment, elle vit heureuse. Un jour, se promenant seule, sur la plage, au bord des vagues, elle s'enivre du grand vent tiède et salé. La journée est superbe. La chaleur embrume à peine l'horizon. Elle aperçoit au loin une grande vague verte qui jaillit, s'élève vers le ciel et tournoie dans la brume ensoleillée. Voilà tout à coup fascinée la fille du vent au regard couleur d'arc-en-ciel. La bouche ouverte, elle ne peut crier mais s'avance dans les vagues, les mains en avant. Elle s'avance vers Kauhi, l'amoureux fou qui l'appelle, et la vague verte déferle sur elle, dans un grand jaillissement d'écume.

Le lendemain, Manaha découvrit sur la plage son corps déchiré. Il l'ensevelit dans les fougères de la vallée. Le vent hurla sa douleur sur sa tombe, la pluie longuement pleura, le grand-père Akaaka secoua la tête, éleva ses mains tremblantes vers Kané, le dieu créateur, et dit : "Enracine-moi près de la tombe de celle que je ne veux plus quitter. Enracine-moi comme un roc. Le dieu Kané entendit sa prière. Grand-père Akaaka fut métamorphosé en rocher, dans la vallée de Manoa. Sur ce rocher poussa un arbre à fleurs rouges. Il veille encore sur l'âme arc-en-ciel de Kahala, qui, tous les matins, se baigne dans la cascade toute proche.
(Henri Gougaud, L'arbre à soleils, éditions du Seuil, Contes de Polynésie, Hawaï, Tahiti)

 

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Analyse de la fille tuée sept fois

 

Samedi 19 mai 2012 à 15 heures

Centre social, 5, rue Bonnefoi
(Lyon 3è, à 150 mètres du métro Guillotière)
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Comment se rencontrèrent les hommes et les femmes

Qui créa le monde ? Vieil Homme. Il fit bien toutes choses sauf une, qu'il fit mal. Dans un village, il mit les hommes (avec les hommes il habita) et dans un autre il mit les femmes. Il mit entre eux une forêt. Hommes et femmes ainsi vécurent, chacun chez soi, chacun pour soi, les hommes ignorant l'existence des femmes, les femmes ignorant l'existence des hommes.

Leur vie d'abord fut en tout point semblable. Armés de presque rien, de bâtons, de cailloux, ils chassèrent le buffle, ils firent de leurs peaux des vêtements grossiers et se nourrirent de viande crue, de rien d'autre, car en ces temps lointains aucun d'eux ne savait que les fruits, le maïs, les légumes étaient bons.

Plus tard, beaucoup plus tard, les hommes apprirent à tendre des arcs et à tailler des flèches, les femmes à tanner et à assouplir le cuir. Elles en couvrirent leurs tentes, puis s'en firent des robes ornées de belles pierres et de piquants de hérissons. Alors Vieil Homme un jour dans sa hutte de branches prit sa tête à deux mains et se dit : " Ma création pourrait être meilleure. J'ai mis hommes et femmes en des lieux séparés. J'ai eu tort. Il y a là ni plaisir ni chance de bonheur. En vérité, il faudrait qu'ils s'unissent, afin que naissent d'autres êtres. Et il faudrait que cette union soit tant agréable qu'aucun n'y puisse résister, sinon ils resteront chacun de son côté. Qui doit donner l'exemple ? C'est moi bien sûr, c'est moi, pauvre vieux fatigué ! "

Vieil homme s'en fut donc où les femmes vivaient. Au sortir de la forêt, de derrière un buisson il observa longtemps, dans le pré, leur village. " Comme leurs tentes sont lisses et hautes, comme leurs robes sont belles ! se dit-il. Quels grossiers arriérés nous sommes, pauvres hommes, nous qui n'avons pour toit que des branches mal jointes, et pour tout vêtement que du cuir brut et puant ! Il faut que cela change. Il faut absolument qu'elles viennent chez nous. " Le Vieux s'en retourna au village des hommes et conta ce qu'il avait vu. Chacun s'extasia et tous dirent ensemble : " Allons à leur rencontre ! Unissons-nous à elles ! - Outre qu'elles ont ce qui nous fait envie, dit encore Vieil Homme, vous trouverez aussi à caresser leur corps une sensation neuve et plus agréable que vous ne sauriez imaginer. Attendons quelque temps. A la belle saison, nous irons tous les voir ".

Comme il parlait ainsi, Vieille Femme étonnée découvrait dans le bois les empreintes de pas qu'avait laissées Vieil Homme. Elle suivit ces traces, chemina quatre jours, aperçut dans un pré un camp de huttes basses. C'était celui des hommes. Elle les épia puis s'en revint chez elle et dit à ses compagnes : " Il y a là-bas un lieu où vivent des humains. Ils sont plus grands que nous. Ils sont plus forts aussi. Ils possèdent des armes et tuent tant de gibier qu'ils ne connaissent pas comme nous la famine. " Les femmes émerveillées répondirent : " Si nous vivions comme eux, quel bonheur ce serait ! "

Un jour, comme elles allaient, rêveuses, à leur travail (c'était le premier jour de la saison nouvelle), les hommes apparurent au bord de la forêt. Ils s'approchèrent d'elles. Ils étaient tous vêtus de lambeaux de cuir brut. Leur peau était crasseuse, leurs cheveux hirsutes. Ils puaient. Elles dirent : " Ces êtres-là sont-ils des humains ou des bêtes ? Ils sont sales comme des porcs. Ils empestent ". Vieille Femme cria : " Allez-vous-en d'ici ! - Allez-vous-en d'ici ! " braillèrent ses compagnes en jetant des cailloux, des branches, de la boue à leurs faces barbues. En hâte, ils reculèrent, revinrent dans le bois. Leur Vieux leur dit alors : " J'ai bien fait de planter leur village loin de chez nous. Ces femmes sont cruelles. Je vais peut-être bien les jeter hors du monde ". Il ramena ses hommes et tous s'en retournèrent.

Dès qu'ils furent partis, Vieille Femme se retira dans sa tente de buffle, s'assit sur un tapis, resta la tête basse quatre jours pleins à réfléchir, puis elle se dit : " Nous aurions dû tenter d'aider ces pauvres êtres. Nous avons été sottes, orgueilleuses, méchantes. Pourquoi ne pas aller vers eux tout humblement, vêtues comme ils le sont, aussi crasseuses qu'eux ? Nos beaux habits les intimident. Il faut que nous soyons comme ils se voient eux-mêmes. "

Vieil Homme revenu dans sa hutte de branches au même instant pensait : " Peut-être sommes- nous des êtres repoussants. Peut-être est-ce pour cela que les femmes nous ont chassés comme des chiens errants. Peut-être, serait-ce une bonne idée de nous laver et de nous vêtir aussi bien que possible avant de revenir les voir ". Il alla se baigner au pied d'une cascade, peigna sa chevelure, l'orna de plumes d'aigle et s'habilla de daim. Quand ses compagnons le virent ainsi s'avancer parmi eux : " Vieil Homme, dirent-ils, tu es beau comme un astre ! - Décrassez votre corps, rasez votre figure, habillez-vous de peau souple et douce au toucher, et retournons ensemble au village des femmes, leur dit Vieil Homme ".

Le jour même, ils se mirent en route. Quand ils y arrivèrent, ils ne virent partout que des mégères sales. Toutes s'étaient vêtues de peaux de chèvre souillées de sang caillé, leurs joues étaient boueuses, leurs nattes emmêlées. Ainsi, pour plaire aux hommes s'étaient-elles enlaidies. " Horreur ! dirent-ils tous. Quelles affreuses bêtes ! - En vérité, dit Vieil Homme, elles sont infréquentables. Fuyons frères, fuyons avant que leurs guenilles sanglantes n'aient gâché nos ornements ! "

" Apparemment, nous faisons tout de travers, ronchonna Vieille Femme en les regardant fuir. Et pourtant, je le sens, nous devons nous unir à ces êtres bizarres, car ils ont Dieu sait quoi qui nous fait grande envie, nous avons Dieu sait quoi qu'ils aimeraient avoir, et ces deux Dieu sait quoi devraient aller ensemble. Femmes, essayons encore de les amadouer. Allons nous faire une beauté. " Elles allèrent à la rivière, et leurs cheveux lavés furent bientôt tressés, ornés de coquillages, de cordons colorés. Puis elles se vêtirent de robes de daim blanc, mirent autour du cou des colliers de graines multicolores, aux poignets des bracelets d'écaille, se chaussèrent enfin de mocassins souples. Ainsi parées elles prirent le chemin du village des hommes.

Vieil Homme dans sa hutte était de mauvaise humeur. Plus rien ne lui plaisait. Il mangeait sans envie, faisait des rêves troubles. Pour un rien il hurlait. Et tous, autour de lui, étaient comme il était : pâles, les joues creusées, négligés et fiévreux. Le Vieux, voyant ainsi dépérir sa tribu, se dit : " Ils ont été déçus par ces créatures imprévisibles. Un jour elles sont crasseuses, un autre jour cruelles. Ils les espéraient belles, accueillantes et tendres. Pourquoi diable se sont-elles enlaidies ? Il doit y avoir une raison à cela ". Comme il pensait ainsi, il entendit dehors crier les sentinelles. Il sortit. " Une troupe de femmes marche sur notre camp ! hurlait-on çà et là. Gare, elles sont féroces ! Tous à vos arcs, vos flèches, vos lances, vos épieux ! - Du calme dit Vieil Homme. Il étendit ses mains. Les guerriers alentour cessèrent de courir. Alors il dit encore : " Je crois que j'ai compris. Allez à la cascade et lavez votre corps. Frottez vos muscles d'huile, parfumez-vous d'encens et coiffez votre front de plumage brillant ". Lui-même se vêtit de ses plus beaux habits, mit sa grande coiffure, son collier de dents d'ours, puis entraîna ses frères à l'entrée du village. Ils attendirent là, en silence, les femmes.

Elles sortirent du bois en chantant et riant. Leurs robes de daim blanc étaient éblouissantes. Leurs parures étaient comme des arcs-en-ciel. Vieil Homme émerveillé dit à ses compagnons : " Voyez-vous ce que je vois ? " Les hommes répondirent : " Courons à leur rencontre, nos coeurs dans nos poitrines sont comme des pur-sang, ils bondissent, ils s'emballent, ils vont nous échapper ! Tandis qu'ils parlaient ainsi, Vieille Femme disait à ses compagnes : " Regardez ces êtres. Ne sont-ils pas superbes ? Leur rudesse me plaît. Leur voix rauque m'émeut. Ne les effrayons pas. Allons vers eux sans hâte ". Vieil Homme et Vieille Femme s'avancèrent l'un vers l'autre. Quand ils furent face à face, le Vieux dit : " Parlons ensemble à l'écart de nos gens. - Je te suis, lui dit-elle ". Ils allèrent sous les arbres. Là ils se regardèrent. Ils se trouvèrent beaux. " J'aimerais découvrir avec toi un plaisir inconnu et secret, dit Vieil Homme. - C'est une bonne idée, répondit Vieille Femme. - Peut-être faudrait-il nous allonger, dit Vieil Homme. - Peut-être faudrait-il, dit-elle. " Ils s'allongèrent. Plus tard, Vieil Homme dit : " Jamais je n'aurais cru me sentir aussi bien. - C'est trop beau, c'est trop bon pour être mis en mots, répondit Vieille Femme en s'étirant dans l'herbe. - Allons apprendre aux autres ce que nous avons découvert, dit Vieil Homme ". Ils retournèrent au village, le coeur léger, les jambes lentes. Ils n'y trouvèrent personne. Les hommes et les femmes s'en étaient tous allés, chaque couple en son lieu. " Nous n'aurons pas à les instruire, dit Vieil Homme. Ils ont trouvé tout seuls. "

Quand les hommes et les femmes s'en revinrent au camp, ils souriaient. Leurs yeux souriaient. Leurs lèvres souriaient. Leurs corps mêmes semblaient sourire. Les femmes au village des hommes apportèrent tout ce qu'elles avaient, tout ce qu'elles savaient, l'art de tanner le cuir et de le décorer, de faire la cuisine, de tisser des tapis, des couvertures chaudes. Les hommes chassèrent pour elles. Ainsi vint l'amour. Ainsi vint le bonheur. Ainsi vinrent les épousailles. Ainsi vinrent les enfants. (Conte des Indiens d'Amérique du Nord, Henri Gougaud, L'arbre d'amour et de sagesse, Ed. du Seuil)

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Samedi 16 juin 2012 à 15 heures

Centre social, 5, rue Bonnefoi
(Lyon 3è, à 150 mètres du métro Guillotière)
Prendre la rue Paul Bert : la rue Bonnefoi est la seconde à droite

L'épouse qui venait des cieux

Dans un pays lointain, deux vieillards vivent avec leur fils.
Le jeune homme s'appelle Ketchoua.
Un matin, le père ordonne à son fils
D'aller au champ chercher des pommes de terre.
Mais le champ est ravagé
Et il ne reste pas une seule pomme de terre.

Le soir venu, il se cache dans le champ pour monter la garde.
Vers le matin, Ketchoua s'assoupit
Et ses yeux ne se ferment qu'une minute.
Or, lorsqu'il les ouvre, le champ est dévasté comme la veille.
Cela se reproduit, plusieurs nuits de suite.
Dès que Ketchoua succombe au sommeil,
Les voleurs accomplissent leur forfait.

Le soir suivant, Ketchoua se cache et fait semblant de dormir.
Sitôt que ses yeux sont fermés, les étoiles descendent dans son champ
Et lorsqu'elles ont touché terre,
Elles se transforment en ravissantes jeunes filles,
Toutes vêtues de la même robe d'une étoffe d'argent.
Ketchoua se met à crier :
" Dites donc, les étoiles, vous n'avez pas honte de voler de pauvres gens. "
Il se précipite, mais déjà les étoiles remontent vers le ciel.
Seule, la plus jeune, accroche sa robe à un gros bambou
Et le jeune homme parvient à la retenir.
Elle est si jolie que Ketchoua se prend d'amour pour elle
Et lui demande de devenir son épouse.
" Tu me plais et je le veux bien, dit-elle.
Mais, tant que je porte ma robe d'argent, je ne peux rester avec toi.
Quand je la vois, elle m'attire vers les cieux. "

Ce n'est pas une affaire, pense Ketchoua.
Il la conduit dans la hutte de ses parents
Et prie sa mère de cacher la robe d'argent, au plus profond de son coffre.
Le jeune homme épouse son étoile
Et ils vivent heureux pendant un certain temps.
Or, un jour, l'étoile fouille par hasard dans le coffre
Et y découvre sa robe d'argent.
Elle se sent poussée à la revêtir
Et, aussitôt, elle s'élève dans les cieux, légère comme un souffle.
Ketchoua assiste à son ascension, désespéré.
Il se précipite vers la plus haute des montagnes
Mais ne peut atteindre le ciel.

Alors un oiseau gigantesque, le condor, roi des montagnes, le couvre de son ombre.
" Cesse de gémir, Ketchoua, dit l'oiseau.
Tue-moi deux lamas pour me nourrir en route
Et je t'emmènerai jusqu'à ton étoile. "
Le jeune homme se précipite à la recherche du gibier
Et aperçoit deux lamas qu'il tue aussitôt.
Le condor en dévore une partie sur le champ
Et installe Ketchoua et le reste de la viande sur son dos.
Il vole jour et nuit.
Lorsque le condor a faim, Ketchoua le nourrit, en plein vol.
Ils voyagent longtemps avant d'apercevoir au loin un immense lac bleu.
En son milieu, se dresse un magnifique palais bâti tout en or.
C'est le temple du ciel où toutes les étoiles se réunissent, le soir.
Le condor demande à Ketchoua de lui donner de la viande.
Le jeune homme lui répond qu'il n'y a plus de réserve.
Sans hésiter, il tend son propre bras à l'oiseau.
Celui-ci le déchire de son bec
Et boit le sang humain, qui lui redonne des forces.
Sans plus tarder, il reprend son vol vers le lac bleu.
Ketchoua y trempe son bras.
A sa grande stupéfaction, sa blessure guérit immédiatement.

" Cache-toi près du palais, dit le condor.
Lorsque les étoiles arriveront,
Prends dans tes bras la dernière et reviens vers moi.
Qu'aucun de vous deux ne se retourne, sinon vous serez séparés à jamais. "
Ketchoua va se cacher.
Le soir tombe et les étoiles d'argent se présentent.
Le jeune homme s'empare de la dernière
Et l'emporte vers le condor en la priant de ne pas regarder en arrière.
Les autres étoiles se mettent à gémir :
" Chère, petite sœur, ne nous abandonne pas. "
La femme de Ketchoua ne veut pas les quitter sans leur accorder un dernier regard.
Aussitôt, elle se change en étoile et monte rejoindre ses sœurs.
Le condor saisit l'infortuné jeune homme et redescend vers la terre.
" Cesse de t'affliger, dit-il à Ketchoua.
Nuit après nuit, ta femme viendra briller au-dessus de ta demeure
Et ta douleur sera apaisée. "
Dès le premier soir, l'étoile est au-dessus de la maison.
Nuit après nuit, elle vient lui apporter la paix.
(Indiens d'Amérique du Sud)

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