Les deux étoiles





Les étoiles de la Ceinture d'Orion entourées d'une nébuleuse


Les deux étoiles


Il était une fois une pauvre veuve qui avait deux filles, très gentilles et travailleuses. Du matin au soir elles devaient travailler dans les champs d'un fermier avare. Elles s'esquintaient à la tâche, mais n'arrivaient qu'à peine à gagner leur nourriture, et il leur arriva, plus d'une fois, d'aller se coucher le ventre creux. Un jour, ne sachant que faire pour trouver de quoi manger, les deux sœurs dirent à leur mère : " Mère, nous allons aller dans la montagne, peut-être y trouverons-nous des racines qui nous aideront à supporter la faim ". Ayant dit, elles se dirigèrent vers la montagne. Mais la montagne était désertique, il n'y avait que rochers et cailloux. C'est en vain qu'elles retournèrent de grosses pierres et qu'elles fouillèrent toutes les fentes. Elles étaient épuisées de fatigue, mais pensant à leur mère affamée, elles allaient toujours plus loin. Déjà le soir tombait, et les deux sœurs n'avaient encore rien trouvé qui puisse se manger. Pourtant elles ne voulaient pas rentrer les mains vides à la maison.

Soudain, venu d'on ne sait où, un vieillard se dressa devant elles. Il était vêtu d'une grande robe blanche et sa longue barbe, blanche elle aussi, lui descendait plus bas que la ceinture. " Je sais, mes enfants, ce que vous cherchez, et je veux vous venir en aide, leur dit-il. Je vais vous donner deux petites clés, une en or, l'autre en argent. Tout en parlant, le vieillard avait sorti de la poche de sa longue robe blanche deux petites clés qu'il donna aux jeunes filles. Il ajouta ses instructions : " Partez d'ici en direction de la plus haute montagne, marchez toujours, et quand le soleil se sera levé et couché trois fois, vous serez arrivées au pied du Rocher de Cristal, dans lequel les esprits de la montagne cachent le grand trésor de la terre. L'Entrée du Rocher de Cristal est gardée par une porte fermée d'une double serrure, et seules ces clés peuvent les ouvrir. Faites cependant bien attention de ne prendre que ce qui se trouvera sur le sol de la grande salle de Cristal. Le vieillard avait à peine fini de parler qu'il disparut comme il était venu, on ne sait d'où ni comment.

Les deux sœurs se frottèrent les yeux, se pincèrent les mains, et n'étaient les deux clés dont elles en tenaient chacune une dans la main, elles auraient considéré tout cela comme une illusion. Oubliant du coup la faim et la fatigue, elles se dirigèrent aussitôt vers la plus haute montagne, comme le vieillard leur avait dit. Le soleil se leva trois fois et lorsqu'il se coucha pour la troisième fois, elles constatèrent, étonnées, qu'elles étaient en effet au pied du Rocher de Cristal. " Regarde, petite sœur, voilà l'entrée, s'écria l'aînée, qui sortit de la poche de son tablier la petite clé d'argent. La serrure grinça et s'ouvrit, mais la porte restait fermée. " Maintenant, à mon tour ", dit la cadette, qui enfonça dans la deuxième serrure sa petite clé d'or. La serrure grinça et la porte tourna lentement sur ses gonds, toute seule. Les deux sœurs avaient le souffle coupé d'admiration en voyant la salle de Cristal toute garnie d'or fin et de plaques d'argent. Sur le sol, il y avait quantité de vases de jade remplis à ras bord de perles et de rubis. Des plats de malachite offraient des tas de ducats d'or, et des cruches débordaient de diamants. Se rappelant les conseils du vieillard, les deux jeunes sœurs ne ramassèrent que quelques ducats éparpillés sur le sol et les serrèrent dans leur fichu. Elles étaient à peine sorties de la salle de Cristal que la porte se ferma sans bruit derrière elles, et que les deux serrures fonctionnèrent toutes seules.

En arrivant à la maison, les deux sœurs racontèrent à leur mère l'étrange et bonne aventure qui leur était arrivée. La maman ne voulait pas les croire, mais quand les jeunes filles déballèrent les ducats d'or et les éparpillèrent sur la table, il lui fallut se rendre à l'évidence. La mère en pleurait de joie : " Finis les soucis, désormais, dit-elle ". Mais comme elle avait bon cœur, elle partagea son trésor avec tous les autres pauvres du village.

Mais le fermier avare, en voyant que les plus pauvres du village étaient maintenant heureux et contents, se dit : " Cela ne se passera pas comme ça ! " Il guetta le moment où les deux sœurs n'étaient pas à la maison, s'approcha de leur chaumière et regarda à l'intérieur par une fente de la porte. Ses yeux lancèrent des éclairs de convoitise quand il vit la mère, assise près de la table sur laquelle elle empilait de beaux et gros ducats d'or. Le fermier envieux fit irruption dans la chambre en criant : " Où as-tu volé ces ducats ? Allons, avoue-le vite, sinon je te fais arrêter ! " C'est en vain que la mère priait miséricorde et jurait au fermier que ses filles et elle-même étaient innocentes. Pour finir il ne lui resta plus qu'à dévoiler la vérité. " Je vais attendre le retour de tes filles, il faudra bien qu'elles me les donnent, ces clés ! " hurla le fermier en grande fureur de jalousie, et il s'assit sur un banc.

Les sœurs revinrent bientôt. Elles virent tout de suite que cela allait mal, avant même que le fermier n'ouvre la bouche. " Donnez-moi ces clés, leur dit-il, d'un ton de commandement, je vais aussi aller voir la grotte de Cristal. Les sœurs se regardèrent en silence. Non, les clés ne peuvent pas être remises dans les mains d'un tel avare et envieux. " Alors ça vient ? cria le fermier d'un ton menaçant. - Ne lui donne pas la clé ! Avale-la plutôt ! cria la cadette, en se mettant la petite clé d'or en bouche. - Jamais tu ne l'auras ! " cria la sœur aînée en avalant vite sa petite clé d'argent. En proie à une rage folle, le fermier se jeta sur les deux sœurs, mais dès qu'il les toucha, il se passa un phénomène étrange, très étrange. A l'endroit où l'instant d'avant se tenait la cadette, un rayon d'or brillait, et une rayon d'argent scintillait maintenant à l'endroit où s'était trouvée l'aînée. Ces rayons étaient si brillants qu'ils aveuglèrent le fermier avare et envieux.

Seule la maman vit que les deux étoiles se soulevaient du sol de la chambre, une étoile d'or, une étoile d'argent, qu'elles s'envolaient toutes les deux par la fenêtre et montaient en se balançant doucement vers le firmament. La mère n'a plus jamais revu ses filles. Mais, tous les soirs, quand se fait l'obscurité, elle sort sur le seuil de sa maison et lève les yeux vers la coupole céleste. Elle y distingue deux étoiles qui n'étaient pas là auparavant. Une étoile d'or, une étoile d'argent, qui brillent encore de nos jours et montrent le chemin aux voyageurs.
(Conte Kao-chan, Contes du Tibet, Gründ, 1991)

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Analyse des deux étoiles