Le fonctionnement :- Chaque point représente une étape dans le déroulement de l'action
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L'invention de l'amour ou le réengendrement de dieu à travers l'expérience de la mort
Rê est le dieu par excellence. Il est venu à l'existence par lui-même, contrairement à tous les autres dieux, qui ont été créés par lui. La scène présentée dans le texte se passe donc entre ce dieu tout-puissant et Isis, qui a reçu son existence de lui. Or ce qui se passe entre les dieux est le modèle de ce qui se passe entre les hommes. Rê et Isis sont un peu la figure du couple humain, même si le véritable mari d'Isis est Osiris.
Chez Isis, le désir de connaître
le nom de Rê
Isis est un être parfait : elle connaît tout, à tel point
que l'on pourrait dire qu'elle est la connaissance de Rê. Pourtant,
il y a une chose qu'elle ne connaît pas, c'est le nom même de
Rê, c'est-à-dire la Parole grâce à laquelle il
a été engendré. Connaître le nom d'un autre permet
d'avoir pouvoir sur lui. L'ensemble du texte va montrer qu'il n'y a pas
dans ce désir une perfidie cachée. Pour le moment, nous pouvons
simplement supposer qu'elle veut entrer dans une relation d'amour avec cet
être tout-puissant un peu enfermé en lui-même. Il est
apparemment incapable d'aimer dans un amour réciproque.
La confection du serpent de la mort et
de la vie
Rê ne connaît pas la mort et pourtant il commence
à baver comme un vieillard. En fait Isis évoque la rosée
du matin avec l'idée qu'il s'agit du sperme du Dieu tout-puissant.
Il y a donc, dans ce sperme, la puissance créatrice divine. La déesse
l'utilise pour confectionner un serpent. Le serpent évoque Apophis,
sorte de puissance de mort, qui voudrait entraîner le soleil dans
le non-être. Jusqu'ici Rê a pu lui résister, mais il
reste constamment sous sa menace. D'après les éléments
du texte, Isis veut que Rê fasse l'expérience de la mort non
pas pour le faire mourir définitivement mais pour le faire revivre
avec plus de perfection après avoir intégré la force
de mort elle-même. En effet, le serpent évoque le sexe ou le
phallus qui sert normalement à engendrer. Autrement dit, à
travers l'expérience de la mort, c'est à une sorte de réengendrement
du dieu qu'on assiste. Par ailleurs la bave a rapport à la bouche
du dieu et donc, d'une certaine façon, à sa parole. Or le
serpent sacré a été confectionné " tel
un trait prêt à s'élancer ", le trait étant
la base même de l'écriture. Ainsi un lien peut être effectué
entre l'écriture, considérée comme une blessure qui
dit le manque (de l'autre), et la parole créatrice qui va impliquer
un dialogue : le texte suggère ainsi que l'écriture est appelée
à engendrer la parole, comme la mort engendre la vie.
Le serpent, par sa morsure, introduit
le poison dans le corps de Rê pour le vacciner contre la mort elle-même
Après la morsure du dieu, l'animal se cache dans les roseaux comme
le sexe qui se replie après son travail. Un nouveau clin d'il
pour nous rappeler que nous sommes bien dans un engendrement. Et pourtant
le feu de la vie sort du dieu Rê, comme le sperme s'épanche
du sexe humain. Les images ainsi se conjuguent pour montrer une fois encore
que la force de mort est ici créatrice de vie. En tout cas, Isis
n'a pas voulu la mort de son créateur : elle lui a ménagé
un passage par la mort pour l'aider à triompher de la mort elle-même.
C'est l'intuition du vaccin ou du poison, qui est présentée
ici comme moyen de guérir d'une maladie et d'éviter le passage
à trépas.
La perception du danger de mort, la question
et le non-être
Manifestement le dieu Rê a peur. Le poison a pris possession de son
corps, ses membres sont secoués et son cur tremble. Il est
surpris par quelque chose qu'il ne connait pas, il découvre le manque
de connaissance. C'est ainsi que surgit la question : " Qu'est-ce donc
? Quoi donc ? " La question se répand alors comme une traînée
de poudre dans l'assemblée des dieux. " Une chose me mordit
que je ne connais point. Ce n'est pas le feu, ce n'est pas l'eau, mais mon
cur brûle, mon corps tremble et mes membres ont froid. "
A travers le serpent, il se heurte au non être et le non être
n'a jamais été pour lui objet de connaissance. Jusqu'ici,
il a toujours été dans la plénitude de l'être
et dans la toute-puissance de la connaissance. Il lui faut donc faire un
pas de plus dans l'existence : accorder une place au non-être. C'est
l'acceptation d'une part de non être qui va permettre le dépassement
de la mort et des limites de la connaissance. Il s'agit en effet de pousser
Rê au-delà de lui-même pour lui permettre d'être
vraiment soi-même.
L'entrée dans le besoin et le désir
de l'autre
La toute-puissance de Rê est remise en cause. Avec le non être
qui s'introduit en lui, le manque fait son apparition. Il manque de l'autre
et semble ne pouvoir subsister sans son appui. " Que mes enfants, les
dieux, me soient amenés, avec des paroles bénéfiques
- les dieux qui savent les formules magiques et dont la connaissance atteint
le ciel. " Entre le besoin et le désir il n'y a qu'un pas, car
le manque est là pour faire vivre le désir. Isis qui manque
connaît déjà le désir et c'est ce désir
qu'elle veut faire naître chez le Grand Rê. Possédant
le souffle de la vie, elle vient " avec son pouvoir et ses incantations
magiques
pour repousser la maladie, avec ses paroles pour rendre la
vie à une bouche qui étouffe ".
Dis-moi ton nom, mon divin père
! Car un homme revit lorsqu'il est appelé par son nom
Isis revient à son désir premier : elle veut connaître
le nom de Rê pour entrer avec lui dans une relation d'amour. C'est
apparemment la condition pour éliminer le poison de la mort et donner
toute sa force au désir. Il existe une parenté d'étymologie
entre venin et Vénus, entre le poison guérisseur du serpent
et l'amour féminin. Celui-là serait porteur de la mort, d'une
mort nécessaire, pour amener l'homme et Rê lui-même au
dépassement de l'amour
Si Isis veut connaître le nom de Rê, c'est parce que le nom
est la Parole fondamentale qui le fait exister. En le prononçant,
elle pourra d'une certaine façon réengendrer le dieu qui se
croyait tout-puissant et le ramener à la plénitude de la vie.
Il faut un autre, qui appelle à la vie, pour redonner au Verbe créateur
toute sa puissance d'engendrement. La femme est l'autre de l'homme, qui,
en prononçant son nom, le ramène à lui-même pour
son propre accomplissement. Il y a là, en même temps, une intuition
théologique fondamentale : Dieu, qu'il soit Rê ou un Autre,
doit faire sortir de Lui le Verbe créateur, pour exister vraiment
dans l'Amour.
Prête-moi tes oreilles de telle
sorte que mon nom passe de mon corps dans ton corps
Rê engendre son Nom ou le Verbe par excellence dans un corps à
corps avec Isis qui est son Autre féminin. Autrement dit la transmission
du Nom est inséparable d'un nouvel engendrement de ce Nom, qui a
besoin d'un autre pour s'incarner. Nous sommes ici au creux du mystère.
La transmission du Nom ne peut se faire que dans l'amour et elle est en
même temps la condition de l'amour. Nous sommes dès lors amenés
à nous poser la question fondamentale : qu'est-ce donc que l'amour
?
La révélation de ce qu'est
l'amour
Dans le texte mythique nous assistons à une véritable invention
de l'amour et nous prenons alors conscience qu'il ne peut exister sans être
constamment réinventé. Dans l'intimité de l'amour,
le nom qui porte le mystère de chaque individu n'est pas simplement
transmis à l'autre, il est réengendré dans la relation
réciproque. Et en appelant l'autre par son nom réengendré
chacun le fait exister en le recréant. L'amour, dans la relation
réciproque, est ainsi constitué par un double mouvement :
la réinvention (réengendrement) de son propre nom, porteur
du mystère personnel et la recréation de l'autre en l'appelant
par son nom " réinventé ". En faisant passer l'homme
par une forme de mort, la femme permet de le faire accéder au mystère
d'un amour, qui est toujours à réinventer.