Analyse synthétique de Rê et Isis

Méthode d'analyse des mythes

Les éléments du modèle :

La croix,
qui représente la structure
Les diagonales,
qui introduisent la mobilité
Les neufs points,
qui représentent les extémités de chaque ligne et le centre

Le fonctionnement :

- Chaque point représente une étape dans le déroulement de l'action ou du récit.
- Le déroulement chronologique commence en 1 et se termine en 9.
- Les deux extrémités de chaque ligne sont en opposition. L'opposition représente le plus souvent une différence, qui marque la progression, plutôt qu'une contradiction radicale.
- Le sens émerge au fur et à mesure de la progression.


Grille d'analyse synthétique de Rê et Isis (mythe égyptien)

Attention ! Si vous avez des difficultés à voir les grilles d'un seul coup d'oeil,
vous pouvez les visualiser au format word en appuyant sur :


Reprise synthétique de l'analyse de Rê et isis

8

RÊ APPELÉ PAR SON NOM ET LE POISON S'EN VA

 


1

ISIS VEUT ENTRER DANS UNE RELATION D'AMOUR AVEC RÊ TROP ENFERME DANS SA TOUTE-PUISSANCE
- Pour cela, elle veut connaître son nom

 

 

7

RÊ DOIT DONNER SON NOM POUR QU'ISIS PUISSE CHASSER LE POISON
- Elle veut redonner le primat à la vie sur la mort car chacun revit lorsqu'on l'appelle par son nom


2

RÊ N'A PAS INTEGRE LA FORCE DE MORT : ISIS VEUT PROVOQUER CHEZ LUI L'EXPÉRIENCE DE LA MORT POUR LE RÉENGENDRER

 

 

9

INVENTION DE L'AMOUR COMME RECRÉATION RÉCIPROQUE
- Chacun peut appeler l'autre par son nom et le réengendrer

 

6

NAISSANCE CHEZ RÊ DU BESOIN ET DÉSIR DE L'AUTRE


3

LA MORSURE VACCIN DU SERPENT

 

5

CRÉATION D'UN MANQUE CHEZ LE DIEU TOUT-PUISSANT


4

DANGER DE MORT, QUESTION, APPEL AU SECOURS


 

 

L'invention de l'amour ou le réengendrement de dieu à travers l'expérience de la mort

Rê est le dieu par excellence. Il est venu à l'existence par lui-même, contrairement à tous les autres dieux, qui ont été créés par lui. La scène présentée dans le texte se passe donc entre ce dieu tout-puissant et Isis, qui a reçu son existence de lui. Or ce qui se passe entre les dieux est le modèle de ce qui se passe entre les hommes. Rê et Isis sont un peu la figure du couple humain, même si le véritable mari d'Isis est Osiris.

Chez Isis, le désir de connaître le nom de Rê
Isis est un être parfait : elle connaît tout, à tel point que l'on pourrait dire qu'elle est la connaissance de Rê. Pourtant, il y a une chose qu'elle ne connaît pas, c'est le nom même de Rê, c'est-à-dire la Parole grâce à laquelle il a été engendré. Connaître le nom d'un autre permet d'avoir pouvoir sur lui. L'ensemble du texte va montrer qu'il n'y a pas dans ce désir une perfidie cachée. Pour le moment, nous pouvons simplement supposer qu'elle veut entrer dans une relation d'amour avec cet être tout-puissant un peu enfermé en lui-même. Il est apparemment incapable d'aimer dans un amour réciproque.

La confection du serpent de la mort et de la vie
Rê ne connaît pas la mort et pourtant il commence à baver comme un vieillard. En fait Isis évoque la rosée du matin avec l'idée qu'il s'agit du sperme du Dieu tout-puissant. Il y a donc, dans ce sperme, la puissance créatrice divine. La déesse l'utilise pour confectionner un serpent. Le serpent évoque Apophis, sorte de puissance de mort, qui voudrait entraîner le soleil dans le non-être. Jusqu'ici Rê a pu lui résister, mais il reste constamment sous sa menace. D'après les éléments du texte, Isis veut que Rê fasse l'expérience de la mort non pas pour le faire mourir définitivement mais pour le faire revivre avec plus de perfection après avoir intégré la force de mort elle-même. En effet, le serpent évoque le sexe ou le phallus qui sert normalement à engendrer. Autrement dit, à travers l'expérience de la mort, c'est à une sorte de réengendrement du dieu qu'on assiste. Par ailleurs la bave a rapport à la bouche du dieu et donc, d'une certaine façon, à sa parole. Or le serpent sacré a été confectionné " tel un trait prêt à s'élancer ", le trait étant la base même de l'écriture. Ainsi un lien peut être effectué entre l'écriture, considérée comme une blessure qui dit le manque (de l'autre), et la parole créatrice qui va impliquer un dialogue : le texte suggère ainsi que l'écriture est appelée à engendrer la parole, comme la mort engendre la vie.

Le serpent, par sa morsure, introduit le poison dans le corps de Rê pour le vacciner contre la mort elle-même
Après la morsure du dieu, l'animal se cache dans les roseaux comme le sexe qui se replie après son travail. Un nouveau clin d'œil pour nous rappeler que nous sommes bien dans un engendrement. Et pourtant le feu de la vie sort du dieu Rê, comme le sperme s'épanche du sexe humain. Les images ainsi se conjuguent pour montrer une fois encore que la force de mort est ici créatrice de vie. En tout cas, Isis n'a pas voulu la mort de son créateur : elle lui a ménagé un passage par la mort pour l'aider à triompher de la mort elle-même. C'est l'intuition du vaccin ou du poison, qui est présentée ici comme moyen de guérir d'une maladie et d'éviter le passage à trépas.

La perception du danger de mort, la question et le non-être
Manifestement le dieu Rê a peur. Le poison a pris possession de son corps, ses membres sont secoués et son cœur tremble. Il est surpris par quelque chose qu'il ne connait pas, il découvre le manque de connaissance. C'est ainsi que surgit la question : " Qu'est-ce donc ? Quoi donc ? " La question se répand alors comme une traînée de poudre dans l'assemblée des dieux. " Une chose me mordit que je ne connais point. Ce n'est pas le feu, ce n'est pas l'eau, mais mon cœur brûle, mon corps tremble et mes membres ont froid. " A travers le serpent, il se heurte au non être et le non être n'a jamais été pour lui objet de connaissance. Jusqu'ici, il a toujours été dans la plénitude de l'être et dans la toute-puissance de la connaissance. Il lui faut donc faire un pas de plus dans l'existence : accorder une place au non-être. C'est l'acceptation d'une part de non être qui va permettre le dépassement de la mort et des limites de la connaissance. Il s'agit en effet de pousser Rê au-delà de lui-même pour lui permettre d'être vraiment soi-même.

L'entrée dans le besoin et le désir de l'autre
La toute-puissance de Rê est remise en cause. Avec le non être qui s'introduit en lui, le manque fait son apparition. Il manque de l'autre et semble ne pouvoir subsister sans son appui. " Que mes enfants, les dieux, me soient amenés, avec des paroles bénéfiques - les dieux qui savent les formules magiques et dont la connaissance atteint le ciel. " Entre le besoin et le désir il n'y a qu'un pas, car le manque est là pour faire vivre le désir. Isis qui manque connaît déjà le désir et c'est ce désir qu'elle veut faire naître chez le Grand Rê. Possédant le souffle de la vie, elle vient " avec son pouvoir et ses incantations magiques… pour repousser la maladie, avec ses paroles pour rendre la vie à une bouche qui étouffe ".

Dis-moi ton nom, mon divin père ! Car un homme revit lorsqu'il est appelé par son nom
Isis revient à son désir premier : elle veut connaître le nom de Rê pour entrer avec lui dans une relation d'amour. C'est apparemment la condition pour éliminer le poison de la mort et donner toute sa force au désir. Il existe une parenté d'étymologie entre venin et Vénus, entre le poison guérisseur du serpent et l'amour féminin. Celui-là serait porteur de la mort, d'une mort nécessaire, pour amener l'homme et Rê lui-même au dépassement de l'amour
Si Isis veut connaître le nom de Rê, c'est parce que le nom est la Parole fondamentale qui le fait exister. En le prononçant, elle pourra d'une certaine façon réengendrer le dieu qui se croyait tout-puissant et le ramener à la plénitude de la vie. Il faut un autre, qui appelle à la vie, pour redonner au Verbe créateur toute sa puissance d'engendrement. La femme est l'autre de l'homme, qui, en prononçant son nom, le ramène à lui-même pour son propre accomplissement. Il y a là, en même temps, une intuition théologique fondamentale : Dieu, qu'il soit Rê ou un Autre, doit faire sortir de Lui le Verbe créateur, pour exister vraiment dans l'Amour.

Prête-moi tes oreilles de telle sorte que mon nom passe de mon corps dans ton corps
Rê engendre son Nom ou le Verbe par excellence dans un corps à corps avec Isis qui est son Autre féminin. Autrement dit la transmission du Nom est inséparable d'un nouvel engendrement de ce Nom, qui a besoin d'un autre pour s'incarner. Nous sommes ici au creux du mystère. La transmission du Nom ne peut se faire que dans l'amour et elle est en même temps la condition de l'amour. Nous sommes dès lors amenés à nous poser la question fondamentale : qu'est-ce donc que l'amour ?

La révélation de ce qu'est l'amour
Dans le texte mythique nous assistons à une véritable invention de l'amour et nous prenons alors conscience qu'il ne peut exister sans être constamment réinventé. Dans l'intimité de l'amour, le nom qui porte le mystère de chaque individu n'est pas simplement transmis à l'autre, il est réengendré dans la relation réciproque. Et en appelant l'autre par son nom réengendré chacun le fait exister en le recréant. L'amour, dans la relation réciproque, est ainsi constitué par un double mouvement : la réinvention (réengendrement) de son propre nom, porteur du mystère personnel et la recréation de l'autre en l'appelant par son nom " réinventé ". En faisant passer l'homme par une forme de mort, la femme permet de le faire accéder au mystère d'un amour, qui est toujours à réinventer.

 

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