http://www.ac-versailles.fr/etabliss/adn_sbf/sf/promethee/Promethee1.htm
" C'était au temps où
les Dieux existaient mais où n'existaient pas les races mortelles.
(d) Or, quand est arrivé pour celles-ci le temps où la destinée
les appelait aussi à 1'existence, à ce moment les Dieux les
modèlent en dedans de la terre, en faisant un mélange de terre,
de feu et de tout ce qui encore peut se combiner avec le feu et la terre.
Puis, quand ils voulurent les produire à la lumière, ils prescrivirent
à Prométhée et à Épiméthée
de les doter de qualités, en distribuant ces qualités à
chacune de la façon convenable. Mais Épiméthée
demande alors à Prométhée de lui laisser faire tout seul
cette distribution :
" Une fois la distribution faite par moi, dit-il, à toi de contrôler!
" (e) Là-dessus, ayant convaincu l'autre, le distributeur se met
à l'oeuvre. En distribuant les qualités, il donnait à
certaines races la force sans la vélocité ; d'autres, étant
plus faibles, étaient par lui dotées de vélocité
; il armait les unes, et, pour celles auxquelles il donnait une nature désarmée,
il imaginait en vue de leur sauvegarde quelque autre qualité : aux
races, en effet, qu'il habillait en petite taille, c'était une fuite
ailée ou un habitat souterrain qu'il distribuait; (a) celles dont il
avait grandi la taille, c'était par cela même aussi qu'il les
sauvegardait. De même, en tout, la distribution consistait de sa part
à égaliser les chances, et, dans tout ce qu'il imaginait, il
prenait ses précautions pour éviter qu'aucune race ne s'éteignît.
Mais, une fois qu'il leur eut donné le moyen d'échapper à
de mutuelles destructions, voilà qu'il imaginait pour elles une défense
commode à l'égard des variations de température qui viennent
de Zeus : il les habillait d'une épaisse fourrure aussi bien que de
solides carapaces, propres à les protéger contre le froid, mais
capables d'en faire autant contre les brûlantes chaleurs; sans compter
que, quand ils iraient se coucher, cela constituerait aussi une couverture,
qui pour chacun serait la sienne et qui ferait naturellement partie de lui-même;
(b) il chaussait telle race de sabots de corne, telle autre de griffes solides
et dépourvues de sang. En suite de quoi, ce sont les aliments qu'il
leur procurait, différents pour les différentes races : pour
certaines 1'herbe qui pousse de la terre, pour d'autres, les fruits des arbres,
pour d'autres, des racines; il y en a auxquelles il a accordé que leur
aliment fût la chair des autres animaux, et il leur attribua une fécondité
restreinte, tandis qu'il attribuait une abondante fécondité
à celles qui se dépeuplaient ainsi, et que, par là, il
assurait une sauvegarde à leur espèce.
" Mais, comme (chacun sait cela) Épiméthée
n'était pas extrêmement avisé, il ne se rendit pas compte
que, après avoir ainsi gaspillé le trésor des qualités
au profit des êtres privés de raison, (c) il lui restait encore
la race humaine qui n'était point dotée ; et il était
embarrassé de savoir qu'en faire. Or, tandis qu'il est dans cet embarras,
arrive Prométhée pour contrôler la distribution ; il voit
les autres animaux convenablement pourvus sous tous les rapports, tandis que
1'homme est tout nu, pas chaussé, dénué de couvertures,
désarmé. Déjà, était même arrivé
cependant le jour où ce devait être le destin de 1'homme, de
sortir à son tour de la terre pour s'élever à la lumière.
Alors Prométhée, (d) en proie à l'embarras de savoir
quel moyen il trouverait pour sauvegarder l'homme, dérobe à
Héphaïstos et à Athéna le génie créateur
des arts, en dérobant le feu (car, sans le feu, il n'y aurait moyen
pour personne d'acquérir ce génie ou de l'utiliser); et c'est
en procédant ainsi qu'il fait à l'homme son cadeau. Voilà
donc comment l'homme acquit l'intelligence qui s'applique aux besoins de la
vie. Mais l'art d'administrer les Cités, il ne le posséda pas
! Cet art en effet était chez Zeus. Mais il n'était plus possible
alors à Prométhée de pénétrer dans l'acropole
qui était l'habitation de Zeus, sans parler des redoutables gardes
du corps que possédait Zeus. En revanche, il pénètre
subrepticement dans 1'atelier qui était commun à Athéna
et à Héphaïstos et où tous deux pratiquaient leur
art, (e) et, après avoir dérobé l'art de se servir du
feu, qui est celui d'Héphaïstos, et le reste des arts, ce qui
est le domaine d'Athéna, il en fait présent à l'homme.
Et c'est de là que résultent, pour l'espèce humaine,
les commodités de la vie (a) mais, ultérieurement, pour Prométhée,
une poursuite comme on dit, du chef de vol, à 1'instigation d'Épiméthée
!
" Or, puisque 1'homme a eu sa part du lot divin, il fut, en premier lieu
le seul des animaux à croire à des Dieux ; il se mettait à
élever des autels et des images de Dieux. Ensuite, il eut vite fait
d'articuler artistement les sons de la voix et les parties du discours. Les
habitations, les vêtements, les chaussures, les couvertures, les aliments
tirés de la terre, furent, après cela, ses inventions. Une fois
donc qu'ils eurent été équipés de la sorte, (b)
les hommes, au début, vivaient dispersés : il n'y avait pas
de cités; ils étaient en conséquence détruits
par les bêtes sauvages, du fait que, de toute manière, ils étaient
plus faibles qu'elles; et, si Ie travail de leurs arts leur était d'un
secours suffisant pour assurer leur entretien, il ne leur donnait pas le moyen
de faire la guerre aux animaux ; car ils ne possédaient pas encore
l'art politique, dont 1'art de la guerre est une partie. Aussi cherchaient-ils
à se grouper, et, en fondant des cités, à assurer leur
salut. Mats, quand ils se furent groupés, ils commettaient des injustices
les uns à l'égard des autres, précisément faute
de posséder 1'art d'administrer les cités ; si bien que, se
répandant à nouveau de tous côtés, ils étaient
anéantis. (c) C'est alors que Zeus, craignant pour la disparition totale
de notre espèce, envoie Hermès porter aux hommes le sentiment
de 1'honneur et celui du droit, afin que ces sentiments fussent la parure
des cités et le lien par lequel s'unissent les amitiés. Sur
ce, Hermès demande à Zeus de quelle manière enfin il
donnera aux hommes ce sentiment du droit et de l'honneur : " Faut-il
que, cela aussi, j'en fasse entre eux la distribution de la même façon
qu'ont été distribuées les disciplines spéciales
? Or, voici comment la distribution s'en est faite : un seul individu, qui
est un spécialiste de la médecine, c'est assez pour un grand
nombre d'individus étrangers à cette spécialité
; de même pour les autres professions. Eh bien ! le sentiment du droit
et celui de 1'honneur, (d) faut-il que je les établisse de cette façon
dans l'humanité ? ou faut-il que je les distribue indistinctement à
tous ? - A tous indistinctement, répondit Zeus, et qu'ils soient tous
au nombre de ceux qui participent à ces sentiments ! Il n'y aurait
pas en effet de cités, si un petit nombre d'hommes, comme c'est par
ailleurs le cas avec les disciplines spéciales, participait à
ces sentiments. De plus, institue même, en mon nom, une loi aux termes
de laquelle il faut mettre à mort, comme s'il constituait pour Ie corps
social une maladie, celui qui n'est pas capable de participer au sentiment
de l'honneur et à celui du droit."
La leçon du mythe
"Voilà donc, Socrate, comment et pourquoi, principalement
les Athéniens, quand ce qui est en question est un mérite de
charpentier ou de tel autre professionnel, ne donnent qu'à un petit
nombre le droit de donner leur avis, et, s'il se trouve, en dehors de ce petit
nombre, (e) quelqu'un pour vouloir le donner, ils ne le supportent pas, comme
tu le reconnais ; et moi je reconnais qu'en cela tu as raison.
Platon, La Pléiade, Protagoras (320c-323a)