Interprétation du mythe de l'attelage ailé




Lion ailé, orfévrerie du 4è siècle avant J.-C.

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Interprétation du mythe de l'attelage ailé


" Conformons-nous à la division faite au début de cette histoire, de chaque âme en trois parties, dont deux ont forme de cheval (d) et la troisième forme de cocher ; ces déterminations, à présent encore, nous devrons les garder. Des deux chevaux, donc, l'un, disons-nous, est bon, mais l'autre ne l'est pas. Or en quoi consiste le mérite de celui qui est bon, le vice de celui qui est vicieux : c'est un point sur lequel nous ne nous sommes point expliqués et dont il y a lieu de parler à présent. L'un des deux, disons-le donc, qui est en plus belle condition, qui est de proportions correctes et bien découplé, qui a l'encolure haute, un chanfrein d'une courbe légère, blanc de robe et les yeux noirs, amoureux d'une gloire dont ne se séparent pas sagesse et réserve, compagnon de l'opinion vraie, se laisse mener sans que le cocher le frappe, rien que par les encouragements de celui-ci et à la voix. L'autre, inversement, (e) qui est mal tourné, massif, charpenté on ne sait comme : l'encolure lourde, la nuque courte ; un masque camard ; noir de robe et les yeux clairs pas mal injectés de sang ; compagnon de la démesure et de la vantardise; une toison dans les oreilles, sourd, à peine docile au fouet et aux pointes. Or donc, quand le cocher, à la vue de l'amoureuse apparition, ayant, du fait de cette sensation, échauffé la totalité de l'âme, est déjà presque tout plein de chatouillements et de piqûres sous l'action du désir, (a) à ce moment, celui des chevaux qui est parfaitement docile au cocher, qui, alors comme toujours, est sous l'impérieuse contrainte de sa réserve, se retient spontanément de bondir sur l'aimé ; tandis que l'autre ne se laisse plus émouvoir, ni par les pointes du cocher, ni par son fouet, mais, d'un saut, il S'y porte, violemment, et, causant à son compagnon d'attelage, comme à son cocher, toutes les difficultés possibles, il les force à avancer dans la direction du mignon et à lui vanter le charme des plaisirs d'amour ! Tous deux, pour commencer, résistent avec force, indignés qu'on les oblige à des choses horribles et que condamne la loi ; (b) mais ils finissent, quand rien ne limite le mal, par se laisser mener sur cette route ; ils ont cédé et consenti à faire ce à quoi on les invite !
" Ainsi, les voilà contre l'objet, ils ont devant les yeux la vision, la vision fulgurante du bien-aimé ! Mais, à cette vue, le souvenir du cocher s'est porté vers la nature de la Beauté absolue ; de nouveau il l'a eue devant les yeux, fermement dressée sur son piédestal sacré, à côté de la Sagesse. Il l'a eue devant les yeux du souvenir, d'un souvenir mêlé de crainte et de vénération, qui le fait tomber à la renverse ; (c) du coup, il a été forcé de tirer les rênes en arrière, avec tant de vigueur qu'il a fait s'asseoir sur leur croupe les deux chevaux ensemble : l'un parce qu'il veut bien ne pas résister, l'autre, l'emporte, quoiqu'il veuille énergiquement le contraire. Or, tandis qu'ils continuent de s'éloigner, l'un, des sueurs que provoquent en lui la honte et la stupeur, a inondé l'âme tout entière ; mais l'autre, remis de la souffrance que lui ont causée, et le mors, et sa chute, attend à peine d'avoir repris son souffle, pour invectiver, tout en colère, à la fois le cocher et son compagnon d'attelage, leur reprochant sans relâche d'avoir, par lâcheté, par pusillanimité, (d) déserté leur poste, trahi leur engagement. Et, tandis que, eux qui se refusent à avancer de nouveau, il les en presse, à grand'peine accède-t-il à leur prière de renvoyer à une autre fois ! Quand cependant est venue l'époque fixée entre eux, comme ils font semblant de l'avoir oubliée, il les en fait souvenir par ses violences, ses hennissements et, en les traînant, il les a, encore une fois, forcés à s'approcher du mignon pour lui parler le même langage. Dès qu'ils en ont été près, alors, penché vers lui, la queue déployée, le mors promené entre les dents, il tire sans vergogne. (e) Mais le cocher, qui plus fortement encore a éprouvé la même impression, s'étant jeté à la renverse comme pour se détacher de la corde, ramenant en arrière, et même avec une violence accrue, son mors des dents du cheval emporté, a ensanglanté sa langue impudente, ses mâchoires ; et, après avoir fait appuyer fortement à la terre ses pattes de derrière et sa croupe, il l'a livré aux douleurs ! Quand cependant, ayant plus d'une fois subi le même traitement, la bête mauvaise a renoncé à sa démesure, alors, humiliée, elle suit désormais la direction réfléchie du cocher et, quand elle voit le bel objet, elle est morte de peur ! Aussi le résultat est-il alors que l'âme de l'amoureux est désormais réservée et craintive tandis qu'elle suit le bien-aimé. Platon, La Pléiade, Phèdre, 253c-254d

 

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Analyse de l'interprétation de l'attelage ailé