Le mythe de Gygès et Candaule





Candaule montrant sa femme à Gygès - William Etty 1849

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Le mythe de Gygès et Candaule


Les hommes prétendent que, par nature, il est bon de commettre l'injustice et mauvais de la souffrir, mais qu'il y a plus de mal à la souffrir que de bien à la commettre. Aussi, lorsque mutuellement ils la commettent et la subissent, et qu'ils goûtent des deux états, ceux qui ne peuvent point éviter l'un ni choisir l'autre estiment utile de s'entendre pour ne plus commettre ni subir l'injustice. De là prirent naissance les lois et les conventions, et l'on appela ce que prescrivait la loi légitime et juste. Voilà l'origine et l'essence de la justice : elle tient le milieu entre le plus grand bien - commettre impunément l'injustice - et le plus grand mal - la subir quand on est incapable de se venger. Entre ces deux extrêmes, la justice est aimée non comme un bien en soi, mais parce que l'impuissance de commettre l'injustice lui donne du prix. En effet, celui qui peut pratiquer cette dernière ne s'entendra jamais avec personne pour s'abstenir de la commettre ou de la subir, car il serait fou. Telle est donc, Socrate, la nature de la justice et telle son origine, selon l'opinion commune.

Maintenant, que ceux qui la pratiquent agissent par impuissance de commettre l'injustice, c'est ce que nous sentirons particulièrement bien si nous faisons la supposition suivante. Donnons licence au juste et à l'injuste de faire ce qu'ils veulent ; suivons-les et regardons où, l'un et l'autre, les mène le désir. Nous prendrons le juste en flagrant délit de poursuivre le même but que l'injuste, poussé par le besoin de l'emporter sur les autres : c'est ce que recherche toute nature comme un bien, mais que, par loi et par force, on ramène au respect de l'égalité. La licence dont je parle serait surtout significative s'ils recevaient le pouvoir qu'eut jadis, dit-on, l'ancêtre de Gygès le Lydien. Cet homme était berger au service du roi qui gouvernait alors la Lydie. Un jour, au cours d'un violent orage accompagné d'un séisme, le sol se fendit et il se forma une ouverture béante près de l'endroit où il faisait paître son troupeau. Plein d'étonnement, il y descendit, et, entre autres merveilles que la fable énumère, il vit un cheval d'airain creux, percé de petites portes ; s'étant penché vers l'intérieur, il y aperçut un cadavre de taille plus grande, semblait-il, que celle d'un homme, et qui avait à la main un anneau d'or, dont il s'empara ; puis il partit sans prendre autre chose. Or, à l'assemblée habituelle des bergers qui se tenait chaque mois pour informer le roi de l'état de ses troupeaux, il se rendit portant au doigt cet anneau. Ayant pris place au milieu des autres, il tourna par hasard le chaton de la bague vers l'intérieur de sa main ; aussitôt il devint invisible à ses voisins qui parlèrent de lui comme s'il était parti. Etonné, il mania de nouveau la bague en tâtonnant, tourna le chaton en dehors et, ce faisant, redevint visible. S'étant rendu compte de cela, il répéta l'expérience pour voir si l'anneau avait bien ce pouvoir ; le même prodige se reproduisit : en tournant le chaton en dedans il devenait invisible, en dehors visible. Dès qu'il fut sûr de son fait, il fit en sorte d'être au nombre des messagers qui se rendaient auprès du roi. Arrivé au palais, il séduisit la reine, complota avec elle la mort du roi, le tua, et obtint ainsi le pouvoir. Si donc il existait deux anneaux de cette sorte, et que le juste reçût l'un, l'injuste l'autre, aucun, pense-t-on, ne serait de nature assez adamantine pour persévérer dans la justice et pour avoir le courage de ne pas toucher au bien d'autrui, alors qu'il pourrait prendre sans crainte ce qu'il voudrait sur l'agora, s'introduire dans les maisons pour s'unir à qui lui plairait, tuer les uns, briser les fers des autres et faire tout à son gré, devenu l'égal d'un dieu parmi les hommes. En agissant ainsi, rien ne le distinguerait du méchant : ils tendraient tous les deux vers le même but. Et l'on citerait cela comme une grande preuve que personne n'est juste volontairement, mais par contrainte, la justice n'étant pas un bien individuel, puisque celui qui se croit capable de commettre l'injustice la commet. Tout homme, en effet, pense que l'injustice est individuellement plus profitable que la justice, et le pense avec raison d'après le partisan de cette doctrine. Car si quelqu'un recevait cette licence dont j'ai parlé, et ne consentait jamais à commettre l'injustice, ni à toucher au bien d'autrui, il paraîtrait le plus malheureux des hommes, et le plus insensé, à ceux qui auraient connaissance de sa conduite ; se trouvant mutuellement en présence ils le loueraient, mais pour se tromper les uns les autres, et à cause de leur crainte d'être eux-mêmes victimes de l'injustice. Voilà ce que j'avais à dire sur ce point. Platon - La République (II, 359-360)
Traduction de Robert Baccou
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Analyse en attente

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Le roi Candaule et le maître en droit de Jean de La Fontaine

 

Le roi Candaule et le maître en droit

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Le roi Candaule et le maître en droit de Jean de La Fontaine

Force gens ont été l'instrument de leur mal ;
Candaule en est un témoignage.
Ce roi fut en sottise un très grand personnage.
Il fit pour Gygès son vassal
Une galanterie imprudente et peu sage.
Vous voyez, lui dit-il, le visage charmant,
Et les traits délicats dont la reine est pourvue
Je vous jure ma foi que l'accompagnement
Est d'un tout autre prix et passe infiniment ;
Ce n'est rien qui ne l'a vue
Toute nue.
Je vous la veux montrer sans qu'elle en sache rien ;
Car j'en sais un très bon moyen:
Mais à condition, vous m'entendez fort bien,
Sans que j'en dise davantage
Gygès, il vous faut être sage :
Point de ridicule désir :
Je ne prendrais pas de plaisir
Aux voeux impertinents qu'une amour sotte et vaine
Vous ferait faire pour la reine.
Proposez-vous de voir tout ce corps si charmant,
Comme un beau marbre seulement.
Je veux que vous disiez que l'art, que la pensée,
Que même le souhait ne peut aller plus loin.
Dedans le bain je l'ai laissée :
Vous êtes connaisseur, venez être témoin
De ma félicite suprême.
Ils vont. Gygès admire. Admirer ; c'est trop peu.
Son étonnement est extrême.
Ce doux objet joua son jeu.
Gygès en fut ému, quelque effort qu'il pût faire.
Il aurait voulu se taire,
Et ne point témoigner ce qu'il avait senti:
Mais son silence eût fait soupçonner du mystère.
L'exagération fut le meilleur parti.
Il s'en tint donc pour averti ;
Et sans faire le fin, le froid, ni le modeste,
Chaque point, chaque article eut son fait, fut loué.
Dieux, disait-il au roi, quelle félicité !
Le beau corps! le beau cuir! O Ciel ! et tout le reste
De ce gaillard entretien
La reine n'entendit rien ;
Elle l'eût pris pour outrage :
Car en ce siècle ignorant
Le beau sexe était sauvage ;
Il ne l'est plus maintenant;
Et des louanges pareilles
De nos dames d'à présent
N'écorchent point les oreilles.
Notre examinateur soupirait dans sa peau.
L'émotion croissait, tant tout lui semblait beau.
Le prince s'en doutant l'emmena ; mais son âme
Emporta cent traits de flamme.
Chaque endroit lança le sien.
Hélas, fuir n'y sert de rien:
Tourments d'amour font si bien
Qu'ils sont toujours de la suite.
Près du prince Gygès eut assez de conduite
Mais de sa passion la reine s'aperçut :
Elle sut
L'origine du mal; le roi prétendant rire
S'avisa de tout lui dire.
Ignorant ! savait-il point
Qu'une reine sur ce point
N'ose entendre raillerie ?
Et suppose qu'en son cœur
Cela lui plaise, elle rie,
Il lui faut pour son honneur
Contrefaire la furie.
Celle-ci fut vraiment,
Et réserva dans soi-même,
De quelque vengeance extrême
Le désir très véhément.
Je voudrais pour un moment,
Lecteur, que tu fusses femme :
Tu ne saurais autrement
Concevoir jusqu'où la dame
Porta son secret dépit.
Un mortel eut le crédit
De voir de si belles choses,
A tous mortels lettres closes !
Tels dons étaient pour des dieux,
Pour des rois, voulais-je dire ;
L'un et l'autre y vient de cire,
Je ne sais quel est le mieux.
Ces pensers incitaient la reine à la vengeance.
Honte, dépit, courroux, son cœur employa tout.
Amour même, dit-on, fut de l'intelligence :
De quoi ne vient-il point à bout ?
Gygès était bien fait; on l'excusa sans peine :
Sur le montreur d'appats tomba toute la haine.
Il était mari; c'est son mal ;
Et les gens de ce caractère
Ne sauraient en aucune affaire
Commettre de pêché qui ne soit capital.
Qu'est-il besoin d'user d'un plus ample prologue ?
Voilà le roi haï, voilà Gygès aimé,
Voilà tout fait, et tout formé
Un époux du grand catalogue ;
Dignité peu briguée, et qui fleurit pourtant.
La sottise du prince était d'un tel mérite,
Qu'il fut fait in petto confrère de Vulcan ;
De là jusqu'au bonnet la distance est petite.
Cela n'était que bien; mais la Parque maudite
Fut aussi de l'intrigue; et sans perdre de temps
Le pauvre roi par nos amants
Fut député vers le Cocyte.
On le fit trop boire d'un coup :
Quelquefois, hélas ! c'est beaucoup.
Bientôt un certain breuvage
Lui fit voir le noir rivage,
Tandis qu'aux yeux de Gygès
S'étalaient de blancs objets :
Car fût-ce amour, fût-ce rage,
Bientôt la reine le mit
Sur le trône et dans son lit.

Mon dessein n'était pas d'étendre cette histoire :
On la savait assez; mais je me sais bon gré ;
Car l'exemple a très bien cadré :
Mon texte y va tout droit: même j'ai peine à croire
Que le docteur en lois dont je vais discourir
Puisse mieux que Candaule à mon but concourir.
Rome pour ce coup-ci me fournira la scène :
Rome, non celle-là que les moeurs du vieux temps
Rendaient triste, sévère, incommode aux galants,
Et de sottes femelles pleine ;
Mais Rome d'aujourd'hui, séjour charmant et beau,
Où l'on suit un train plus nouveau.
Le plaisir est la seule affaire
Dont se piquent ses habitants.
Qui n'aurait que vingt ou trente ans,
Ce serait un voyage à faire.
Rome donc eut naguère un maître dans cet art
Qui du tien et du mien tire son origine ;
Homme qui hors de là faisait le goguenard ;
Tout passait par son étamine :
Aux dépens du tiers et du quart
Il se divertissait. Advint que le légiste,
Parmi ses écoliers dont il avait toujours
Longue liste,
Eut un Français moins propre à faire en droit un cours
Qu'en amours.
Le docteur un beau jour le voyant sombre et triste,
Lui dit: Notre féal, vous voilà de relais ;
Car vous avez la mine, étant hors de l'école,
De ne lire jamais
Bartole.
Que ne vous poussez-vous ? un Français être ainsi
Sans intrigue et sans amourettes !
Vous avez des talents, nous avons des coquettes,
Non pas pour une Dieu merci.
L'étudiant reprit: Je suis nouveau dans Rome.
Et puis, hors les beautés qui font plaisir aux gens
Pour la somme
Je ne vois pas que les galants
Trouvent ici beaucoup à faire.
Toute maison est monastère :
Double porte, verrous, une matrone austère
Un mari, des Argus. Qu'irais-je à votre avis
Chercher en de pareils logis ?
Prendre la lune aux dents serait moins difficile.
Ha, ha, la lune aux dents, repartit le docteur
Vous nous faites beaucoup d'honneur.
J'ai pitié des gens neufs comme vous ; notre ville
Ne vous est pas connue en tant que je puis voir.
Vous croyez donc qu'il faille avoir
Beaucoup de peine à Rome en fait que d'aventures ?
Sachez que nous avons ici des créatures,
Qui ferons leurs maris cocus
Sur la moustache des Argus.
La chose est chez nous très commune :
Témoignez seulement que vous cherchez fortune
Placez-vous dans l'église auprès du bénitier.
Présentez sur le doigt aux dames l'eau sacrée.
C'est d'amourettes les prier.
Si l'air du suppliant à quelque dame agrée,
Celle-la sachant son métier,
Vous envoya faire un message.
Vous serez déterré, logeassiez-vous en lieu
Qui ne fût connu que de Dieu.
Une vieille viendra, qui faite au badinage
Vous saura ménager un secret entretien.
Ne vous embarrassez de rien.
De rien ? c'est un peu trop ; j'excepte quelque chose:
II est bon de vous dire en passant, notre ami,
Qu'à Rome il faut agir en galant et demi.
En France on peut conter des fleurettes, I'on cause;
Ici tous les moments sont chers et précieux.
Romaines vont au but. L'autre reprit: Tant mieux.
Sans être gascon, je puis dire
Que je suis un merveilleux sire.
Peut-être ne l'était-il point ;
Tout homme est gascon sur ce point.
Les avis du docteur furent bons ; le jeune homme;
Se campe en une église où venait tous les jours
La fleur et l'élite de Rome,
Des Grâces, des Vénus, avec un grand concours
D'Amours,
C'est-à-dire en chrétien beaucoup d'anges femelles.
Sous leurs voiles brillaient des yeux pleins d'étincelles.
Bénitiers, le lieu saint n'était pas sans cela.
Notre homme en choisit un chanceux pour ce point
A chaque objet qui passe adoucit ses prunelles.
Révérences, le drôle en faisait des plus belles,
Des plus dévotes: cependant
II offrait l'eau lustrale. Un ange entre les autres
En prit de bonne grâce : alors l'étudiant
Dit en son cœur : elle est des nôtres.
II retourne au logis ; vieille vient; rendez-vous.
D'en conter le détail, vous vous en doutez tous.
Il s'y fit nombre de folies;
La dame était des plus jolies,
Le passe-temps fut des plus doux.
Il le conte au docteur. Discrétion françoise
Est chose outre nature, et d'un trop grand effort.
Dissimuler un tel transport;
Cela sent son humeur bourgeoise.
Du fruit de ses conseils le docteur s'applaudit,
Rit en jurisconsulte, et des maris se raille.
Pauvres gens, qui n'ont pas l'esprit
De garder du loup leur ouaille !
Un berger en a cent ; des hommes ne sauront
Garder la seule qu'ils auront !
Bien lui semblait ce soin chose un peu malaisée
Mais non pas impossible; et sans qu'il eût cent yeux
Il défiait grâces aux Cieux
Sa femme encor que très rusée.
A ces discours, ami lecteur,
Vous ne croiriez jamais sans avoir quelque honte
Que l'héroïne de ce conte
Fût propre femme du docteur.
Elle l'était pourtant. Le pis fut que mon homme,
En s'informant de tout, et des si et des ças,
Et comme elle était faite, et quels secrets appâts,
Vit que c'était sa femme en somme.
Un seul point l'arrêtait; c'était certain talent
Qu'avait en sa moitié trouve l'étudiant,
Et que pour le mari n'avait pas la donzelle.
A ce signe ce n'est pas elle
Disait en soi le pauvre époux
Mais les autres points y sont tous ;
C'est elle. Mais ma femme au logis est rêveuse
Et celle-ci paraît causeuse
Et d'un agréable entretien :
Assurément c'en est une autre.
Mais du reste il n'y manque rien
Taille, visage, traits, même poil ; c'est la nôtre.
Après avoir bien dit tout bas
Ce n'est, et puis ce ne l'est pas
Force fut qu'au premier en demeurât le sire.
Je laisse à penser son courroux,
Sa fureur afin de mieux dire.
Vous vous êtes donnés un second rendez-vous ?
Poursuivit-il. Oui; reprit notre apôtre,
Elle et moi n'avons eu garde de l'oublier,
Nous trouvant trop bien du premier,
Pour n'en pas ménager un autre ;
Très résolus tous deux de ne nous rien devoir.
La résolution, dit le docteur, est belle.
Je saurais volontiers quelle est cette donzelle.
L'écolier repartit: Je ne l'ai pu savoir.
Mais qu'importe ? il suffit que je sois content d'elle
Dès à présent je vous réponds
Que l'époux de la dame à toutes ses façons
Si quelqu'une manquait, nous la lui donnerons
Demain en tel endroit, à telle heure, sans faute.
On doit m'attendre entre deux draps,
Champ de bataille propre à de pareils combats.
Le rendez-vous n'est point dans une chambre haute.
Le logis est propre et paré.
On m'a fait à l'abord traverser un passage
Où jamais le jour n'est entré;
Mais aussitôt après la vieille du message
M'a conduit en des lieux où loge en bonne foi
Tout ce qu'amour a de délices ;
On peut s'en rapporter à moi.
A ce discours jugez quels étaient les supplices
Qu'endurait le docteur. II forme le dessein
De s'en aller le lendemain
Au lieu de l'écolier; et sous ce personnage
Convaincre sa moitié, lui faire un vasselage
Dont il fût à jamais parlé.
N'en déplaise au nouveau confrère,
Il n'était pas bien conseillé :
Mieux valait pour le coup se taire :
Sauf d'apporter en temps et lieu
Remède au cas, moyennant Dieu.
Quand les épouses font un récipiendaire
Au benoît état de cocu,
S'il en peut sortir franc, c'est à lui beaucoup faire ;
Mais quand il est déjà reçu,
Une façon de plus ne fait rien à l'affaire.
Le docteur raisonna d'autre sorte, et fit tant
Qu'il ne fit rien qui vaille. IL crut qu'en prévenant
Son parrain en cocuage,
Il ferait tour d'homme sage :
Son parrain, cela s'entend,
Pourvu que sous ce galant
Il eût fait apprentissage ;
Chose dont à bon droit le lecteur peut douter.
Quoi qu'il en soit, l'époux ne manque pas d'aller
Au logis de l'aventure,
Croyant que l'allée obscure,
Son silence, et le soin de se cacher le nez,
Sans qu'il fût reconnu le feraient introduire
En ces lieux si fortunés :
Mais par malheur la vieille avait pour se conduire
Une lanterne sourde ; et plus fine cent fois
Que le plus fin docteur en lois,
Elle reconnut l'homme, et sans être surprise
Elle lui dit: Attendez là
Je vais trouver Madame Élise
II la faut avertir; je n'ose sans cela
Vous mener dans sa chambre : et puis vous devez être
En autre habit pour l'aller voir :
C'est-à-dire en un mot qu'il n'en faut point avoir
Madame attend au lit. A ces mots notre maître
Poussé dans quelque bouge y voit d'abord paraître
Tout un déshabillé; des mules, un peignoir
Bonnet, robe de chambre, avec chemise d'homme
Parfums sur la toilette, et des meilleurs de Rome :
Le tout propre, arrangé, de même qu'on eût fait
Si l'on eût attendu le Cardinal préfet.
Le docteur se dépouille ; et cette gouvernante
Revient, et par la main le conduit en des lieux
Où notre homme privé de l'usage des yeux
Va d'une façon chancelante
Après ces détours ténébreux,
La vieille ouvre une porte, et vous pousse le sire
En un fort mal plaisant endroit,
Quoique ce fût son propre empire ;
C'était en l'école de droit.
En l'école de droit ! la même ; le pauvre homme
Honteux, surpris, confus, non sans quelque raison,
Pensa tomber en pâmoison.
Le conte en courut par tout Rome.
Les écoliers alors attendaient leur régent.
Cela seul acheva sa mauvaise fortune.
Grand éclat de risée, et grand chuchillement,
Universel étonnement.
Est-il fou ? qu'est-ce là ? vient-il de voir quelqu'une?
Ce ne fut pas le tout ; sa femme se plaignit.
Procès. La parente se joint en cause, et dit :
Que du docteur venait tout le mauvais ménage;
Que cet homme était fou, que sa femme était sage.
On fit casser le mariage ;
Et puis la dame se rendit
Belle et bonne religieuse
A Saint-Croissant en Vavoureuse.
Un prélat lui donna l'habit.

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