Second dimanche du mois du mois à 18 heures
à des lieux différents précisés chaque fois (chez des membres du groupe)
Programme du groupe de la parole 2013-2014
Nous travaillerons, cette nouvelle année, sur les espaces intermédiaires, dans les mythes et les contes.
Groupe de la parole du dimanche 13 octobre 2013 à 18 h.
I. Espace intermédiaire de l'élan vital créateur entre la mort et la vie
1. Le conte de l'arbre
Dans un pays aride, fut autrefois un arbre prodigieux. Sur la plaine, on ne voyait que lui, largement déployé entre les blés malingres et le vaste ciel bleu. Personne ne savait son âge. On disait qu'il était aussi vieux que la Terre. Des femmes stériles venaient parfois le supplier de les rendre fécondes, des hommes en secret cherchaient auprès de lui des réponses à des questions inexprimables et les loups lui parlaient, certaines nuits sans lune, mais personne jamais ne goûtait à ses fruits.
Ils étaient pourtant magnifiques, si luisants et dorés, le long de ses branches maîtresses pareilles à deux bras offerts dans le feuillage qu'ils attiraient les mains et les bouches des enfants ignorants. Eux seuls osaient les désirer. On leur apprenait alors l'étrange et vieille vérité. La moitié de ces fruits était empoisonnée. Or, tous, bons ou mauvais, étaient d'aspect semblable. Des deux branches ouvertes en haut du tronc énorme l'une portait la mort, l'autre portait la vie, mais on ne savait laquelle nourrissait et laquelle tuait. Et donc on regardait mais on ne touchait pas.
Vint un été trop chaud, puis un automne sec, puis un hiver glacial. Neige et vent emportèrent les granges et les toits des bergeries. Les givres du printemps brûlèrent les bourgeons, et la famine envahit le pays. Seul, sur la plaine, l'arbre demeura imperturbable. Aucun de ses fruits n'avait péri. Malgré les froidures, ils étaient restés en aussi grand nombre que les étoiles du ciel. Les gens, voyant ce vieux père solitaire miraculeusement rescapé des bourrasques, s'approchèrent de lui, indécis et craintifs. Ils interrogèrent son feuillage. Ils n'en eurent pas de réponse. Ils se dirent alors qu'il leur fallait choisir entre le risque de tomber foudroyés, s'ils goûtaient aux merveilles dorées qui luisaient parmi les feuilles, et la certitude de mourir de faim, s'ils n'y goûtaient pas.
Comme ils se laissaient aller en discussions confuses, un homme dont le fils ne vivait plus qu'à peine osa soudain s'avancer d'un pas ferme. Sous la branche de droite, il fit halte, cueillit un fruit, ferma les yeux, le croqua et resta debout, le souffle bienheureux. Alors tous, à sa suite, se bousculèrent et se gorgèrent délicieusement des fruits sains de la branche de droite, qui repoussèrent aussitôt, à peine cueillis, parmi les verdures bruissantes. Les hommes s'en réjouirent infiniment. Huit jours durant, ils festoyèrent, riant de leurs effrois passés.
Ils savaient désormais où étaient les rejetons malfaisants de cet arbre : sur la branche de gauche. Ils la regardèrent d'abord d'un air de défi, puis leur vint une rancune haineuse. A cause de la peur qu'ils avaient eu d'elle ils avaient failli mourir de faim. Ils la jugèrent bientôt inutile que dangereuse. Un enfant étourdi pouvait, un jour, se prendre à des fruits pervers que rien ne distinguait des bons. Ils décidèrent donc de la couper au ras du tronc, ce qu'ils firent avec une joie vengeresse.
Le lendemain, tous les bons fruits de la branche de droite étaient tombés et pourrissaient dans la poussière. L'arbre amputé de sa moitié empoisonnée n'offrait plus au grand soleil qu'un feuillage racorni. Son écorce avait noirci. Les oiseaux l'avaient fui. Il était mort. (Conte de l'Inde, Henri Gougaud, L'arbre d'amour et de sagesse, Ed. du Seuil)
2. Le trésor du menuisier
François fut sans doute, en son temps, le
plus fameux des menuisiers d'Orléans. Il était autant
habile et vigoureux que de visage franc : l'oeil rieur, les cheveux
bouclés en copeaux de chêne, il avait tout pour séduire
les femmes et réjouir les compagnies. Pourtant (par quel
diable de mystère ?) il ne plaisait à personne et
chômait huit jours par semaine, faute de clients. Il était,
heureusement, de coeur vivace, et n'avait point de peine à
s'occuper, passionné qu'il était de contes prodigieux
et de récits extravagants qu'il déclamait à
haute voix, près de la fenêtre poussiéreuse
de son atelier, tout au long de ses journées oisives. Ses
voisins le prenaient pour un fou à l'entendre parler seul,
et parfois rugir quand quelque bouleversante beauté le
faisait exulter. D'aigres mégères, sur le pas de
leur porte, le soupçonnaient même de blasphémer
avec le diable qui, comme chacun sait, déborde d'estime
louche pour les jeunes désoeuvrés.
En vérité, les seuls véritables démons
avec lesquels François avait quelque commerce étaient
ses créanciers. Pas de travail, pas d'argent. Notre homme
était donc réduit à vivre d'emprunts. Il
le fit d'abord d'un coeur léger, puis ses dettes peu à
peu s'alourdissant, il se prit de souci, et pour finir d'insurmontable
angoisse. Harcelé par tous les usuriers de la ville, sa
confiance en sa bonne étoile tomba bientôt en tels
lambeaux qu'il se vit poussé au suicide. Le rêveur
passionné qu'il était ne put cependant se résoudre
à mourir petitement. Il veilla une nuit entière,
cherchant à sa vie une fin digne des héros qu'il
vénérait et se jouant dans les ténèbres
de son lit de fracassantes tragédies. Au matin, il se leva
résolu comme un chevalier prêt à défier
les pires dragons de la terre. Il avait trouvé comment
sortir dignement de ce bas monde. Il vint dans son atelier vide
et là, les yeux mi-clos, imagina un beau cercueil, posé
sur une longue table à tréteaux. Dans ce cercueil,
il se vit couché, mort, les mains croisées sur son
ventre, la face blafarde, éclairée par quatre cierges
aux flammes droites, plantés aux quatre coins de la table.
Puis il se représenta la scène de ses créanciers
apparaissant sur le seuil de sa boutique, tous convoqués
à la même heure. Il jouit avec délectation
de l'inévitable dépit de ces vautours devant leur
victime défunte, à jamais insolvable. Il rit pour
lui seul, tristement, et se frotta les mains, revigoré
par sa vengeance de pauvre hère. Ne restait plus qu'à
jouer sans faute la pièce.
Il écrivit une lettre fort appliquée aux usuriers
qui lui avaient prêté l'argent. Il leur jura, foi
d'honnête homme, qu'ils seraient bientôt payés.
" Rendez-vous à mon atelier, leur dit-il, dans dix
jours, à midi sonnant. " Dix jours, le temps de profiter
encore un peu de l'existence et de fabriquer tranquillement son
cercueil. " Fabriquer un cercueil ? Mais avec quelles planches
? " se dit-il, tournant en tous sens sa tête inquiète.
Il n'en avait plus une. Il se souvint d'une vieille carcasse de
barque échouée au bord de la rivière voisine,
et aussitôt se rassura. Habile comme il l'était,
il trouverait là de quoi bâtir sa caisse.
A la tombée de la nuit, il s'en fut donc, rasant les murs,
vers le fleuve, décarcassa sans bruit l'humide embarcation,
chargea sur son épaule quelques lattes à sa mesure,
s'en revint chez lui, déposa son fardeau dans sa cave et
se mit au travail, à la lueur d'une lanterne sourde.
Le lendemain matin, songeant qu'il n'avait plus à se soucier
de l'avenir, il se trouva plus fringant qu'à l'ordinaire.
" Dans dix jours, pensa-t-il, je serai mort. Pourquoi donc
devrais-je vivre chichement ce temps qui me reste ? " Il
s'en fut, sifflant comme un oiseau allègre, festoyer à
crédit dans la plus belle taverne de la ville. Trois jours
durant, on le vit si content, et menant si grande vie, que l'on
se mit à jaser dans les rues de son quartier. " Le
voilà fier comme un riche ", se dirent les matrones
derrière leurs fenêtres. " Moi, murmura son
voisin dans quelques oreilles accueillantes, je l'ai vu rentrer
chez lui, chargé d'un fardeau fort lourd et sombre. A l'évidence,
il voulait le cacher. Depuis, je l'entends tous les soirs remuer
dans sa cave. Je suis sûr (ne le répétez pas)
qu'il a découvert un trésor. " Et nul ne confiant
qu'en secret ces paroles, le bruit se répandit par la ville
avec tant de force que chacun fut bientôt prêt à
jurer sur la tête de ses enfants que François, le
menuisier, était désormais, par la grâce d'une
inavouable découverte, plus fortuné qu'un prince.
Alors ses créanciers commencèrent à regretter
d'avoir si méchamment harcelé un homme que sa richesse
allait assurément rendre puissant, et donc redoutable.
L'un après l'autre, désireux d'apaiser toute possible
rancune, ils vinrent, leur lettre reçue à la main,
saluer François. Tous le rassurèrent. " Prenez
votre temps, lui dirent-ils, le remboursement de votre dette n'a
rien de pressé. Jouissez de la vie, que diable, nous ne
sommes pas pingres. "
Tous, notables, voisins, compagnons de taverne, recherchèrent
bientôt l'amitié de ce bon François. On se
souvint qu'il était un artisan habile. Pour lui plaire,
on lui confia tout à coup tant d'ouvrage qu'il fut forcé
d'engager des ouvriers. Submergé de travaux, il oublia
de mourir. Six mois plus tard, il acheta la maison dont il ne
pouvait pas payer le loyer, et s'installa dans l'aisance.
Il ne détrompa jamais ceux qui, parce qu'ils le croyaient
riche, l'avaient réellement enrichi, au contraire : pour
faire croire plus sûrement à son trésor caché,
il fit fermer sa cave d'une porte armée de quatre serrures.
Elle ne fut ouverte qu'après ses funérailles, au
terme d'une longue vie et d'une malicieuse vieillesse. On ne découvrit
dans la pénombre qu'un cercueil moisi, posé sur
une table branlante. Dans cette caisse vide était le secret
de François. Personne ne le sut, et chacun s'en revint
déconfit à ses affaires, sans jamais deviner que
l'enviable richesse de cet homme simple n'avait eu, pour germe,
une lointaine nuit, que son abandon à la mort. (Conte français,
Henri Gougaud, L'arbre aux trésors, Ed. du Seuil)
Essai d'analyse du conte de l'arbre
Essai d'analyse du trésor du menuisier
Groupe de la parole du dimanche 10 novembre 2013 à 18 heures
II. Espace intermédiaire du manque entre moi et l'autre
Rê et Isis
Paroles du dieu qui vint à l'existence de lui-même, qui créa le ciel, la terre et l'eau, le souffle de la vie et le feu, les divinités et les hommes, le bétail, les serpents, les oiseaux et les poissons ; le roi des hommes et des dieux réunis dont les limites vont au-delà des années, et possédant beaucoup de noms, inconnus de celui-ci ou inconnus de celui-là.
Isis était une femme intelligente ; son cœur était plus habile que celui de millions d'hommes ; elle avait plus de discernement qu'un million de dieux ; elle était plus judicieuse qu'un million d'esprits. Elle n'ignorait rien de ce qui était dans le ciel et sur la terre, à l'égal de Rê, qui avait créé ce qui est sur la terre. Mais elle souhaitait, en son cœur, connaître le nom de ce dieu auguste.
Rê, chaque jour, entrait à la tête de son équipage et s'asseyait sur le trône des Deux Horizons. Le grand âge du dieu rendait sa bouche molle ; aussi laissait-il tomber sa salive sur le sol, ou bien il crachait en la jetant à terre. Isis (un jour) la pétrit en ses mains avec la terre sur laquelle elle se trouvait ; elle lui donna la forme d'un serpent sacré, et le modela tel un trait prêt à s'élancer. Mais, devant elle, il ne bougea pas ; aussi put-elle le placer à la croisée des chemins que le dieu auguste avait coutume de suivre, selon son désir, sur le Double Pays.
Le dieu fit son apparition hors des portes de son palais, tandis que les divinités du palais étaient en sa suite, afin de se promener, comme chaque jour. Alors le serpent sacré le mordit, et le feu de la vie sortit de lui, puis l'animal se cacha dans les roseaux. Le dieu ouvrit la bouche et la voix de Sa Majesté atteignit le ciel. Son Ennéade dit : " Qu'est-ce donc ? Qu'est-ce donc ? " ; ses dieux dirent : " Quoi donc ? Quoi donc ? " Il ne pouvait leur répondre, ses lèvres tremblaient, ses membres étaient secoués, car le poison avait pris possession de son corps, de même que le grand Nil charrie tout derrière lui.
Le grand dieu affermit alors son cœur et il appela ceux qui étaient en sa suite : " Venez à moi, vous qui êtes venus à l'existence hors de mon corps, dieux qui êtes issus de moi, afin que je vous fasse connaître ce qui m'est arrivé. Une chose douloureuse m'a mordu. Mon cœur ne la connaît pas, mes yeux ne l'ont pas vue, ma main ne l'a pas faite. Je ne reconnais en elle aucun des éléments de ma création. Mais je n'ai jamais ressenti une souffrance comme celle-là ; il n'y a rien de plus pénible que cela. Je suis un Souverain, fils de Souverain, une semence divine venue à l'existence comme dieu. Je suis le Grand, fils du Grand, celui dont le nom fut pensé par son père. J'ai beaucoup de noms et beaucoup de formes. Ma forme est aussi en chaque dieu. Je suis celui que l'on appelle Atoum et Horus le loué. Mon père et ma mère m'ont dit mon nom, et je l'ai caché en mon corps hors de portée de mes enfants de peur qu'un pouvoir soit donné à un magicien contre moi. Or je sortais pour voir ce que j'avais créé, je me promenais sur le Double Pays que j'avais fait, lorsqu'une chose me mordit que je ne connais point. Ce n'est pas le feu, ce n'est pas l'eau, mais mon cœur brûle, mon corps tremble et mes membres ont froid. Que mes enfants, les dieux me soient amenés, avec des paroles bénéfiques - les dieux qui savent les formules magiques et dont la connaissance atteint le ciel ".
Alors les enfants du dieu vinrent à lui, chacun d'eux se lamentant. Isis s'en vint avec son pouvoir et ses incantations magiques, possédant le souffle de la vie, avec ses incantations magiques pour repousser la maladie, avec ses paroles capables de rendre la vie à une bouche qui étouffe. Elle dit : " Qu'est-ce-donc ? Qu'est-ce donc ? ô mon divin père ! L'un de tes enfants aurait-il levé la tête à ton encontre ? Alors je le ferai tomber grâce à mon pouvoir magique parfait, et je ferai qu'il soit chassé de la vue de tes rayons ".
Le dieu auguste ouvrit la bouche : " En vérité, je marchais sur le chemin, je me prosternais dans le Double Pays, mon cœur souhaitant de revoir ce que j'avais créé, lorsque je fus mordu par un serpent que je n'aperçus même point. Ce n'est pas le feu, ce n'est pas l'eau, mais je suis plus froid que l'eau et plus chaud que le feu ; tout mon corps transpire, et je tremble ; mon regard n'est pas ferme, je ne vois plus ; et le ciel fait que l'eau inonde mon visage comme au temps de l'été ".
Isis répondit : " Dis-moi ton nom, mon divin père ! Car un homme revit lorsqu'il est appelé par son nom ". - " Je suis celui qui a fait le ciel et la terre, qui a lié les montagnes, qui a créé ce qui existe sur eux. Je suis celui qui a fait l'eau, de telle sorte que la vache nommée Mehet-Ouret put venir à l'existence. J'ai fait le taureau pour la vache, de telle sorte que la jouissance sexuelle vînt aussi à l'existence. Je suis celui qui a fait l'empyrée et les mystères des deux horizons, j'ai placé là les ba des dieux. Je suis celui qui fait venir la lumière lorsqu'il ouvre les yeux, et amène l'obscurité lorsqu'il les ferme. L'eau du Nil coule selon son ordre, celui dont les dieux ignorent le nom. Je suis celui qui a fait venir à l'existence les heures et les jours, je suis celui qui a établi la répartition des fêtes de l'année, et qui a créé le fleuve. Je suis celui qui a fait le feu de la vie, afin de donner existence aux œuvres des temples. Je suis Khepri au matin, Rê au zénith, Atoum dans le soir/ "
- Mais cela n'arrêta pas le poison dans sa course, et le grand dieu ne se remettait point.
Isis dit alors à Rê : " Ton nom n'est pas parmi ceux que tu m'as dits. Dis-le-moi donc, et le poison sortira, car un homme revit lorsque son nom est prononcé ".
Le poison brûlait de toute sa brûlure, il était plus fort que la cuisson du feu. Alors Rê dit : " Prête-moi tes oreilles, ma fille Isis, de telle sorte que mon nom passe de mon corps dans ton corps. Le plus divin des dieux l'a caché, pour que ma place soit vaste dans le navire des millions d'années. Lorsqu'il sera sorti de mon cœur, dis-le à ton fils Horus, en le liant par un serment divin, en ayant placé Dieu devant son regard ". Et le grand dieu divulgua son nom auprès d'Isis, la Grande Magicienne.
" Ecoule-toi, poison du scorpion. Sors de Rê et de l'œil d'Horus ! Sors du dieu, ô brûlant, selon mon incantation ! Je suis celle qui agit et je suis celle qui chasse. Va-t-en dedans la terre, puissant poison ! Vois, le grand dieu a divulgué son nom. Rê vit, le poison est mort ! " - Selon les mots d'Isis, la grande magicienne, la maîtresse des dieux, qui connaît Rê par son nom.
Paroles à prononcer sur une
image d'Atoum, Horus le loué, une figure
d'Isis et une image d'Horus, peintes sur la main
du malade et qui doivent être léchées
par cet homme. Cela peut être fait aussi sur
une bande de lin très fin que l'on placera
sur la gorge du malade. Ceci est un procédé
pour agir contre le poison du scorpion. Ou bien
encore, on pourra agir de même avec de la
bière et du vin qui seront bus par l'homme
qu'un scorpion a mordu. C'est cela qui détruit
le poison. Vraiment efficace, un million de fois.
(Textes sacrés et textes profanes de l'ancienne
Egypte II, traductions et commentaires par Claire
Lalouette, Connaissance de l'Orient, Gallimard)
Groupe
de la parole du samedi 7 décembre 2013 à
18 heures
(au
lieu du 8 décembre)
Chez Colette Dorin, 8 chemin de Toulevet,
01 700-Neyron le Haut (à côté
de l'église)
III. L'espace intermédiaire du partage entre moi et l'autre
Echange et partage
Un jeune paysan chinois travaille
un lopin de terre.
Il le tient d'un Grand Seigneur local.
Il s'épuise à longueur de journée,
Sans réellement gagner sa vie.
Sans doute la loi des choses n'est-elle pas respectée.
"J'irai, dit le jeune paysan, interroger le
Dieu de l'Ouest."
Le jeune homme achète des
provisions pour sa mère âgée
Et part en direction de l'Inde.
Au bout de quarante-neuf jours,
Il trouve une vieille femme compatissante,
Qui l'héberge pendant trois jours.
On bavarde.
Elle s'intéresse à son projet.
"J'ai aussi, avoue-t-elle,
Une question à poser au Dieu de l'Ouest.
Ma fille est belle et intelligente
Et pourtant elle ne parle pas."
Le jeune homme promet de soumettre sa question au
Dieu.
Il continue son pèlerinage.
Quarante neuf jours plus tard,
Un paysan âgé et plein d'expérience,
Lui offre, à son tour, l'hospitalité.
Mêmes confidences, même écoute
intéressée.
Une question nouvelle finit par se préciser.
Il faudrait également la soumettre au Dieu.
Pourquoi de nombreux orangers,
Situés près de la maison,
Ne produisent-ils pas de fruits ?
Ils sont pourtant en pleine vigueur
Et couverts de superbes feuilles.
Le pèlerin accumule ainsi
les interrogations
Et poursuit son cheminement.
Il arrive finalement vers un immense fleuve
Qu'il ne peut traverser.
Que va-t-il faire ?
Un dragon l'interpelle.
Où va-t-il ? Quel est l'objet de son voyage
?
Le dragon promet de lui faire traverser le fleuve
sur son dos.
En échange, le jeune homme devra interroger
le Dieu
Sur un problème qui le tracasse depuis longtemps.
Pourquoi ne peut-il pas s'élever dans les
airs,
Alors qu'il pratique la vertu depuis mille ans ?
C'est promis, la question sera posée.
Et rapidement le fleuve est traversé.
Plusieurs semaines s'écoulent encore.
Le jeune homme finit par se trouver devant un temple.
Un beau vieillard s'approche de lui
Et lui demande l'objet de sa visite.
Il présente ses interrogations,
Mais le vieillard l'arrête.
"Tu ne peux poser au Dieu qu'un nombre impair
de questions.
Tu as quatre questions.
Il te faut sacrifier l'une d'entre elles."
L'épreuve est difficile.
La nuit entière est nécessaire pour
réfléchir.
Au petit matin, la décision est prise.
Le jeune Chinois sacrifiera sa propre question.
Les questions sont posées
au Dieu
Et les réponses arrivent aussitôt.
Le pèlerin prend la route
du retour
Et trouve le fleuve qui l'avait immobilisé
à l'aller.
Apparaît alors le dragon,
Curieux de la réponse du Dieu.
Le jeune Chinois lui livre sans détour le
message.
"Tu dois faire deux bonnes actions :
Me faire traverser
Et ensuite ôter la perle que tu as sur le
front."
La traversée se fait en quelques minutes.
Le dragon s'arrête, pose la perle sur le sol.
Aussitôt, des cornes poussent sur son front
Et il se met à voler.
Se retournant, avant de disparaître,
Il s'adresse au voyageur
Et l'invite à prendre la perle,
En échange de ses services.
Un à deux mois plus tard,
Il rencontre à nouveau le propriétaire
d'orangers.
Celui-ci s'inquiète, à son tour, du
message de Dieu.
"Il te faut, lui dit son hôte,
Enlever les sacs d'or et d'argent, enfouis sous
ta citerne."
Les deux hommes creusent
Et finissent par retirer les sacs camouflés
sous la terre.
A peine ont-ils terminé leur ouvrage
Que la citerne se remplit d'eau.
Les arbres sont arrosés
Et se mettent à produire des oranges
D'une exceptionnelle qualité.
Ravi de cette aubaine,
Le propriétaire cède la moitié
de son or et de son argent
Au voyageur qui reprend la route.
Ce dernier chemine encore de nombreux
jours.
La vieille femme qui l'avait hébergé
à l'aller
Est là qui l'attend, à la porte de
sa maison.
A peine le voit-elle qu'elle court à sa rencontre
Et l'invite à se reposer à nouveau.
Elle s'enquiert de la réponse au problème
de sa fille.
Le Dieu a dit qu'elle parlerait
Le jour où elle deviendrait amoureuse d'un
jeune homme.
Là dessus, la jeune fille entre dans la pièce
Où s'échangent les paroles mystérieuses.
Soudain, elle devient rouge et demande :
"Mais qui est ce jeune Chinois ?"
La mère comprend que son drame se dénoue.
Les noces s'organisent dans la joie retrouvée.
Et finalement, la fille quitte sa mère
En compagnie de son nouveau mari,
Muni de sa perle et chargé de sacs d'or et
d'argent.
Lorsque le long périple
s'achève,
Le jeune voyageur s'étonne de ne pas apercevoir
sa mère.
Elle est cloîtrée dans sa demeure.
Elle a renoncé à l'espoir de revoir
son fils
Et en a perdu la vue, tant elle a versé de
larmes.
Quel désastre après une aventure pleine
d'imprévus merveilleux!
Si au moins cette mère pouvait partager le
bonheur de son fils!
A peine le jeune homme a-t-il prononcé intérieurement
ce souhait
Que les yeux de l'aveugle s'ouvrent.
Il reste encore un souhait à
formuler
Pour que la joie soit à son comble.
Si au moins tous les paysans,
Qui travaillent si dur,
Pouvaient gagner leur vie !
Dans la nuit même, tous les grands propriétaires,
Qui ne travaillent pas,
S'endorment à jamais.
Et le conte s'achève.
(Conte chinois - transmis par un Chinois)
Essai d'analyse d'Echange et partage
Groupe de la parole du dimanche 12 janvier 2014 à 18 heures
Chez Claire et Jean-Nicolas Hérique
Résidence La Blonderie, 8 B, chemin du Plat
69 130 Ecully
IV. Espace intermédiaire du
renoncement à la toute-puissance entre le
père et son fils
Le sacrifice d'Abraham
Après ces événements,
il arriva que Dieu éprouva Abraham
Et lui dit : "Abraham ! Abraham !"
Il répondit : "Me voici !"
Dieu dit : "Prends ton fils, ton unique que
tu chéris, Isaac,
Et va-t'en au pays de Moriyya,
Et là tu l'offriras en holocauste
Sur une montagne que je t'indiquerai."
Abraham se leva tôt, sella
son âne et prit avec lui
Deux de ses serviteurs et son fils Isaac.
Il fendit le bois de l'holocauste
Et se mit en route pour l'endroit que Dieu lui avait
dit.
Le troisième jour, Abraham, levant les yeux,
Vit l'endroit de loin.
Abraham dit à ses serviteurs :
"Demeurez ici avec l'âne.
Moi et l'enfant nous irons là-bas,
Nous adorerons et reviendrons vers vous."
Abraham prit le bois de l'holocauste
Et le chargea sur son fils Isaac.
Lui-même prit en mains le feu et le couteau
Et ils s'en allèrent tous deux ensemble.
Isaac s'adressa à son père Abraham
et dit :
"Mon père !" Il répondit
: "Oui, mon fils!"
- "Eh bien, reprit-il, voilà le feu
et le bois,
Mais où est l'agneau pour l'holocauste ?"
Abraham répondit : "C'est Dieu qui pourvoira
A l'agneau pour l'holocauste, mon fils."
Et ils s'en allèrent tous deux ensemble.
Quand ils furent arrivés
à l'endroit
Que Dieu lui avait indiqué,
Abraham y éleva l'autel et disposa le bois,
Puis il lia son fils Isaac et le mit sur l'autel
par-dessus le bois.
Abraham étendit la main
Et saisit le couteau pour immoler son fils.
Mais l'Ange de Yahvé l'appela
du ciel et dit :
"Abraham ! Abraham!"
Il répondit : "Me voici !"
L'Ange dit : "N'étends pas la main contre
l'enfant !
Ne lui fais aucun mal !
Je sais maintenant que tu crains Dieu :
Tu ne m'as pas refusé ton fils, ton unique."
Abraham leva les yeux et vit un bélier,
Qui s'était pris par les cornes dans un buisson,
Et Abraham alla prendre le bélier
Et l'offrit en holocauste à la place de son
fils.
A ce lieu Abraham donna le nom de "Yahvé
pourvoit",
En sorte qu'on dit aujourd'hui :
"Sur la montagne, Yahvé pourvoit."
L'Ange de Yahvé appela une
seconde fois Abraham du ciel
Et dit : "Je jure par moi-même, parole
de Yahvé :
Parce que tu as fait cela, que tu ne m'as pas refusé
ton fils, ton unique,
Je te comblerai de bénédictions,
Je rendrai ta postérité aussi nombreuse
que les étoiles du ciel
Et que le sable qui est sur le bord de la mer,
Et ta postérité conquerra la porte
de ses ennemis.
Par ta postérité se béniront
toutes les nations de la terre,
Parce que tu m'as obéi."
Abraham revint vers ses serviteurs
Et ils se mirent en route ensemble pour Bersabée.
Abraham résida à Bersabée.
(Bible de Jérusalem, Genèse, 22, 1-19)
Essai d'analyse du sacrifice d'Abraham
Groupe de la parole du dimanche 9 février 2014 à 18 heures
V. Espace intermédiaire du désir entre la femme et l'homme
Comment se rencontrèrent les hommes et les femmes
Qui créa le monde ? Vieil Homme. Il fit bien toutes choses sauf une, qu'il fit mal. Dans un village, il mit les hommes (avec les hommes il habita) et dans un autre il mit les femmes. Il mit entre eux une forêt. Hommes et femmes ainsi vécurent, chacun chez soi, chacun pour soi, les hommes ignorant l'existence des femmes, les femmes ignorant l'existence des hommes.
Leur vie d'abord fut en tout point semblable. Armés de presque rien, de bâtons, de cailloux, ils chassèrent le buffle, ils firent de leurs peaux des vêtements grossiers et se nourrirent de viande crue, de rien d'autre, car en ces temps lointains aucun d'eux ne savait que les fruits, le maïs, les légumes étaient bons.
Plus tard, beaucoup plus tard, les hommes apprirent à tendre des arcs et à tailler des flèches, les femmes à tanner et à assouplir le cuir. Elles en couvrirent leurs tentes, puis s'en firent des robes ornées de belles pierres et de piquants de hérissons. Alors Vieil Homme un jour dans sa hutte de branches prit sa tête à deux mains et se dit : " Ma création pourrait être meilleure. J'ai mis hommes et femmes en des lieux séparés. J'ai eu tort. Il y a là ni plaisir ni chance de bonheur. En vérité, il faudrait qu'ils s'unissent, afin que naissent d'autres êtres. Et il faudrait que cette union soit tant agréable qu'aucun n'y puisse résister, sinon ils resteront chacun de son côté. Qui doit donner l'exemple ? C'est moi bien sûr, c'est moi, pauvre vieux fatigué ! "
Vieil homme s'en fut donc où les femmes vivaient. Au sortir de la forêt, de derrière un buisson il observa longtemps, dans le pré, leur village. " Comme leurs tentes sont lisses et hautes, comme leurs robes sont belles ! se dit-il. Quels grossiers arriérés nous sommes, pauvres hommes, nous qui n'avons pour toit que des branches mal jointes, et pour tout vêtement que du cuir brut et puant ! Il faut que cela change. Il faut absolument qu'elles viennent chez nous. " Le Vieux s'en retourna au village des hommes et conta ce qu'il avait vu. Chacun s'extasia et tous dirent ensemble : " Allons à leur rencontre ! Unissons-nous à elles ! - Outre qu'elles ont ce qui nous fait envie, dit encore Vieil Homme, vous trouverez aussi à caresser leur corps une sensation neuve et plus agréable que vous ne sauriez imaginer. Attendons quelque temps. A la belle saison, nous irons tous les voir ".
Comme il parlait ainsi, Vieille Femme étonnée découvrait dans le bois les empreintes de pas qu'avait laissées Vieil Homme. Elle suivit ces traces, chemina quatre jours, aperçut dans un pré un camp de huttes basses. C'était celui des hommes. Elle les épia puis s'en revint chez elle et dit à ses compagnes : " Il y a là-bas un lieu où vivent des humains. Ils sont plus grands que nous. Ils sont plus forts aussi. Ils possèdent des armes et tuent tant de gibier qu'ils ne connaissent pas comme nous la famine. " Les femmes émerveillées répondirent : " Si nous vivions comme eux, quel bonheur ce serait ! "
Un jour, comme elles allaient, rêveuses, à leur travail (c'était le premier jour de la saison nouvelle), les hommes apparurent au bord de la forêt. Ils s'approchèrent d'elles. Ils étaient tous vêtus de lambeaux de cuir brut. Leur peau était crasseuse, leurs cheveux hirsutes. Ils puaient. Elles dirent : " Ces êtres-là sont-ils des humains ou des bêtes ? Ils sont sales comme des porcs. Ils empestent ". Vieille Femme cria : " Allez-vous-en d'ici ! - Allez-vous-en d'ici ! " braillèrent ses compagnes en jetant des cailloux, des branches, de la boue à leurs faces barbues. En hâte, ils reculèrent, revinrent dans le bois. Leur Vieux leur dit alors : " J'ai bien fait de planter leur village loin de chez nous. Ces femmes sont cruelles. Je vais peut-être bien les jeter hors du monde ". Il ramena ses hommes et tous s'en retournèrent.
Dès qu'ils furent partis, Vieille Femme se retira dans sa tente de buffle, s'assit sur un tapis, resta la tête basse quatre jours pleins à réfléchir, puis elle se dit : " Nous aurions dû tenter d'aider ces pauvres êtres. Nous avons été sottes, orgueilleuses, méchantes. Pourquoi ne pas aller vers eux tout humblement, vêtues comme ils le sont, aussi crasseuses qu'eux ? Nos beaux habits les intimident. Il faut que nous soyons comme ils se voient eux-mêmes. "
Vieil Homme revenu dans sa hutte de branches au même instant pensait : " Peut-être sommes- nous des êtres repoussants. Peut-être est-ce pour cela que les femmes nous ont chassés comme des chiens errants. Peut-être, serait-ce une bonne idée de nous laver et de nous vêtir aussi bien que possible avant de revenir les voir ". Il alla se baigner au pied d'une cascade, peigna sa chevelure, l'orna de plumes d'aigle et s'habilla de daim. Quand ses compagnons le virent ainsi s'avancer parmi eux : " Vieil Homme, dirent-ils, tu es beau comme un astre ! - Décrassez votre corps, rasez votre figure, habillez-vous de peau souple et douce au toucher, et retournons ensemble au village des femmes, leur dit Vieil Homme ".
Le jour même, ils se mirent en route. Quand ils y arrivèrent, ils ne virent partout que des mégères sales. Toutes s'étaient vêtues de peaux de chèvre souillées de sang caillé, leurs joues étaient boueuses, leurs nattes emmêlées. Ainsi, pour plaire aux hommes s'étaient-elles enlaidies. " Horreur ! dirent-ils tous. Quelles affreuses bêtes ! - En vérité, dit Vieil Homme, elles sont infréquentables. Fuyons frères, fuyons avant que leurs guenilles sanglantes n'aient gâché nos ornements ! "
" Apparemment, nous faisons tout de travers, ronchonna Vieille Femme en les regardant fuir. Et pourtant, je le sens, nous devons nous unir à ces êtres bizarres, car ils ont Dieu sait quoi qui nous fait grande envie, nous avons Dieu sait quoi qu'ils aimeraient avoir, et ces deux Dieu sait quoi devraient aller ensemble. Femmes, essayons encore de les amadouer. Allons nous faire une beauté. " Elles allèrent à la rivière, et leurs cheveux lavés furent bientôt tressés, ornés de coquillages, de cordons colorés. Puis elles se vêtirent de robes de daim blanc, mirent autour du cou des colliers de graines multicolores, aux poignets des bracelets d'écaille, se chaussèrent enfin de mocassins souples. Ainsi parées elles prirent le chemin du village des hommes.
Vieil Homme dans sa hutte était de mauvaise humeur. Plus rien ne lui plaisait. Il mangeait sans envie, faisait des rêves troubles. Pour un rien il hurlait. Et tous, autour de lui, étaient comme il était : pâles, les joues creusées, négligés et fiévreux. Le Vieux, voyant ainsi dépérir sa tribu, se dit : " Ils ont été déçus par ces créatures imprévisibles. Un jour elles sont crasseuses, un autre jour cruelles. Ils les espéraient belles, accueillantes et tendres. Pourquoi diable se sont-elles enlaidies ? Il doit y avoir une raison à cela ". Comme il pensait ainsi, il entendit dehors crier les sentinelles. Il sortit. " Une troupe de femmes marche sur notre camp ! hurlait-on çà et là. Gare, elles sont féroces ! Tous à vos arcs, vos flèches, vos lances, vos épieux ! - Du calme dit Vieil Homme. Il étendit ses mains. Les guerriers alentour cessèrent de courir. Alors il dit encore : " Je crois que j'ai compris. Allez à la cascade et lavez votre corps. Frottez vos muscles d'huile, parfumez-vous d'encens et coiffez votre front de plumage brillant ". Lui-même se vêtit de ses plus beaux habits, mit sa grande coiffure, son collier de dents d'ours, puis entraîna ses frères à l'entrée du village. Ils attendirent là, en silence, les femmes.
Elles sortirent du bois en chantant et riant. Leurs robes de daim blanc étaient éblouissantes. Leurs parures étaient comme des arcs-en-ciel. Vieil Homme émerveillé dit à ses compagnons : " Voyez-vous ce que je vois ? " Les hommes répondirent : " Courons à leur rencontre, nos coeurs dans nos poitrines sont comme des pur-sang, ils bondissent, ils s'emballent, ils vont nous échapper ! Tandis qu'ils parlaient ainsi, Vieille Femme disait à ses compagnes : " Regardez ces êtres. Ne sont-ils pas superbes ? Leur rudesse me plaît. Leur voix rauque m'émeut. Ne les effrayons pas. Allons vers eux sans hâte ". Vieil Homme et Vieille Femme s'avancèrent l'un vers l'autre. Quand ils furent face à face, le Vieux dit : " Parlons ensemble à l'écart de nos gens. - Je te suis, lui dit-elle ". Ils allèrent sous les arbres. Là ils se regardèrent. Ils se trouvèrent beaux. " J'aimerais découvrir avec toi un plaisir inconnu et secret, dit Vieil Homme. - C'est une bonne idée, répondit Vieille Femme. - Peut-être faudrait-il nous allonger, dit Vieil Homme. - Peut-être faudrait-il, dit-elle. " Ils s'allongèrent. Plus tard, Vieil Homme dit : " Jamais je n'aurais cru me sentir aussi bien. - C'est trop beau, c'est trop bon pour être mis en mots, répondit Vieille Femme en s'étirant dans l'herbe. - Allons apprendre aux autres ce que nous avons découvert, dit Vieil Homme ". Ils retournèrent au village, le coeur léger, les jambes lentes. Ils n'y trouvèrent personne. Les hommes et les femmes s'en étaient tous allés, chaque couple en son lieu. " Nous n'aurons pas à les instruire, dit Vieil Homme. Ils ont trouvé tout seuls. "
Quand les hommes et les femmes s'en revinrent au camp, ils souriaient. Leurs yeux souriaient. Leurs lèvres souriaient. Leurs corps mêmes semblaient sourire. Les femmes au village des hommes apportèrent tout ce qu'elles avaient, tout ce qu'elles savaient, l'art de tanner le cuir et de le décorer, de faire la cuisine, de tisser des tapis, des couvertures chaudes. Les hommes chassèrent pour elles. Ainsi vint l'amour. Ainsi vint le bonheur. Ainsi vinrent les épousailles. Ainsi vinrent les enfants. (Conte des Indiens d'Amérique du Nord, Henri Gougaud, L'arbre d'amour et de sagesse, Ed. du Seuil)
Essai d'analyse de comment se rencontrèrent les hommes et les femmes
Groupe de la parole du dimanche 9 mars 2014 à 18 heures
VI. L'espace intermédiaire de la pulsion créatrice artistique entre l'invisible et le visible, entre le rêve et la réalité
1. Les meilleurs peintres
Les Persans racontent qu'un concours
de peinture fut organisé,
Un jour, entre deux groupes d'artistes.
Les uns étaient chinois, les autres byzantins.
Ils vivaient à la cour du même prince
Et ne cessaient de rivaliser.
Le prince décida donc de les opposer en un
concours.
Les deux groupes de peintres furent placés
dans une salle
Qu'un rideau séparait en deux espaces égaux,
Et chargés de décorer deux murs se
faisant face.
Les Chinois réclamèrent une grande
quantité de brosses,
De pinceaux et de couleurs de toutes sortes.
Les peintres byzantins, à la surprise générale,
ne demandèrent rien.
Au jour de la présentation, le roi vint avec
toute sa cour.
On dévoila d'abord les fresques chinoises
et chacun fut émerveillé.
On y vit un travail insurpassable.
Alors on découvrit le mur des Byzantins
Et on vit, sur ce mur, mais inversées, les
même figures
Et les mêmes couleurs que sur le mur peint
par les Chinois.
Les Byzantins s'étaient contentés
de polir sans relâche leur mur,
Au point de le rendre pareil à un mur étincelant.
Les peintures des Chinois se reflétaient
dans ce mur
Sans souffrir des aspérités du mur
lui-même
Et des défauts ineffaçables de la
matière.
Les images y gagnaient une pureté, une grâce,
Une légèreté d'autant plus
belles qu'on ne pouvait pas les atteindre.
(Le cercle des menteurs, J. - C. Carrière)
2. La broderie
Il était une femme si pauvre qu'elle n'avait devant sa porte pas même une chèvre, pas même un jardon potager. Elle était veuve, elle habitait avec ses trois fils une petite maison bâtie de pierres sèches, au bout d'un village bourbeux, gris et rude. Un sentier grimpait parmi les cailloux et l'herbe rare vers les neiges éternelles. C'était là son paysage familier.
Cette femme tissait et brodait merveilleusement. Tous les jours, de l'aube au crépuscule, elle inventait en fils de soie multicolores des fleurs, des oiseaux, des animaux sur des tissus blancs. Ces broderies, elle allait les échanger de temps en temps contre quelques poignées de riz, au marché de la ville voisine. Ainsi elle gagnait assez pour survivre et nourrir ses enfants.
Une nuit, dans son sommeil, une lumière merveilleuse s'allume dans sa tête. Elle rêve qu'elle s'avance dans un village qui ressemble au sien. Pourtant il est infiniment plus beau : les maisons sont à trois étages, fièrement bâties au milieu de jardins peuplés d'oiseaux, d'arbres fruitiers, de fleurs et de légumes magnifiques. Un ruisseau transparent bondit parmi des rochers moussus. Au loin, sur la montagne, grimpent des pâturages, des moutons, des vaches au poil luisant. La pauvre femme, devant ce paysage, reste longtemps éblouie comme une enfant naïve, puis elle s'éveille sur son lit troué, dans sa maison froide. Elle se lève, sort devant sa porte. Une folle envie envahit tout à coup son coeur et son esprit : broder son rêve sur un tissu de laine avant qu'il ne s'efface de sa mémoire. Le jour même, elle se met à l'ouvrage, assise au coin du feu. Trois ans durant, elle travaille obstinément, jour et nuit, dormant à peine quelques heures avant l'aube. Au soir tombé, elle allume une torche et se penche sur son ouvrage. Ses yeux irrités pleurent. Qu'importe : ses larmes, elle les brode, elle fait d'elles le ruisseau bondissant qui traverse le village rêvé. La deuxième année, les yeux de la pauvre femme sont tellement usés qu'ils saignent, et, de ses larmes rouges tombées sur le tissu, elle fait des fleurs dans les jardins et le soleil de cuivre éblouissant dans le ciel. Au dernier matin de la troisième année, l'ouvrage est fini. Le paysage brodé est exactement semblable à celui qu'elle a vu en rêve. Elle contemple les maisons à trois étages, les jardins - pas un fruit ne manque aux arbres - le ruisseau, les moutons, les buffles dans le pâturage de la montagne, les oiseaux traversant le ciel. Elle est heureuse. Elle appelle ses trois fils : " Regardez, dit-elle fièrement ". Les enfants n'ont jamais rien vu d'aussi beau. Ils s'extasient. " Allons à la lumière du jour, nous verrons mieux. " Ils sortent devant la porte et déposent le grand carré de tissu brodé sur un rocher, en plein soleil. Ils s'éloignent un peu pour mieux le voir. Mais voici qu'un coup de vent subit traverse le village, siffle dans les buissons, couche les touffes d'herbe. Il emporte la broderie merveilleuse, comme une voile, comme un oiseau aux vastes ailes avant que la mère et les enfants affolés aient eu le temps de la retenir. La pauvre femme, les bras au ciel, pousse un grand cri et tombe évanouie. Ses fils la portent dans la maison, la couchent sur son lit, la raniment, puis ils vont courir la montagne, jusqu'à la nuit, et le lendemain tout le jour, à la recherche du chef d'oeuvre envolé. Ils rentrent au soir bredouilles, désolés, épuisés.
Alors leur mère commence à dépérir. Elle ne veut plus manger, elle ne peut plus travailler, elle se meurt, lentement. Ses fils, tous les soirs, gémissent à son chevet. Un jour enfin, elle dit à l'aîné : " Il faut que tu retrouves ma broderie perdue. Pars à sa recherche. Si dans un an tu n'es pas revenu, tu ne me reverras pas vivante ".
Le lendemain, à l'aube, l'aîné chausse ses sandales et s'en va. Un an passe, il ne revient pas. Sa mère, maintenant, est maigre comme la Mort. Elle ne parle plus guère. Un matin, elle dit pourtant à son deuxième fils : " Mon enfant, puisque ton frère nous a oubliés, il est temps que tu partes à ton tour. Va chercher l'image que j'ai brodée, trois ans durant. Si, dans un an, tu n'es pas revenu... Elle hoche la tête, deux larmes ruissellent sur ses joues. Son deuxième enfant s'en va. Il se perd lui aussi. Alors sa mère appelle son troisième fils et lui dit : " Je suis faible comme une mouche. Je ne résisterai plus longtemps. Va, et si tu as pitié de moi, ne m'oublie pas.
Son troisième fils, qui s'appelle Losang, s'en va vers le soleil levant, comme ses frères. Il marche longtemps, traverse des vallées, gravit des montagnes. Il se nourrit de fruits sauvages, il boit l'eau des sources et s'endort au creux des rochers quand la fatigue le fait trébucher. Enfin, un matin, il parvient devant une vaste plaine verte. Le ciel est limpide. Un vent léger courbe l'herbe haute. Au loin, il aperçoit une maison de pierre, assez semblable à celles de son village. Devant cette maison, un cheval étrangement immobile, la bouche ouverte, tend le cou vers un tas de fourrage. Losang s'approche : " Pourquoi cet animal ne mange-t-il pas sa pitance ? se dit-il. On dirait une statue. Il s'approche encore et s'arrête, bouche bée. Le cheval est en pierre. Il le contemple un moment. Alors, sur le seuil de la maison apparaît une vieille femme souriante, qui lui dit : " Je t'attendais mon fils, je sais ce que tu cherches : le carré de laine sur lequel ta mère a brodé un paysage vu en rêve. Oh, je n'ai aucun mérite à savoir cela, tes deux frères m'ont tout raconté. L'un après l'autre, ils sont passés par ici avant toi. Je leur ai conseillé de ne pas aller plus loin, car le chemin qui conduit à la broderie merveilleuse est très malaisé. Je leur ai dit : " Si vous voulez rentrer chez vous, je vous donne pour la route un coffret plein de pièces d'or ". Ils ont accepté. Ils sont partis vivre en ville. Et toi, garçon, que feras-tu ? - Moi, répond Losang, je n'ai que faire de ton or. Je veux retrouver le paysage brodé par ma mère sur le carré de laine. Si tu connais le chemin que je dois suivre, aide-moi. - Ecoute, dit la vieille. Ce n'est pas un coup de vent ordinaire qui a emporté le carré de tissu brodé. Ce sont les fées de la montagne ensoleillée qui l'ont pris. Elles l'ont trouvé tellement beau qu'elles ont voulu broder le même. Or, tu ne peux arriver au pays des fées, sur la montagne ensoleillée, qu'en chevauchant ce cheval. - Il est pierre, dit Losang. - Peu importe, répond la vieille. Le cheval reprendra vie si tu plantes dans ses gencives tes propres dents, afin qu'il puisse manger dix brins de fourrage. Si tu veux, je peux t'aider, je peux arracher ta mâchoire. Non ? Nous verrons, tout à l'heure. Sur ce cheval, tu devras traverser les flammes d'un volcan, les crevasses d'un glacier, et les tempêtes d'un océan. Alors tu trouveras la montagne ensoleillée ". Ainsi parle la vieille.
Aussitôt Losang prend un caillou et se brise les dents. Il les plante dans la gueule ouverte du cheval. Le cheval grignote dix brins de fourrage. Le voilà, tout à coup fringant comme un pur-sang. Losang monte en croupe, salue la vieille et s'en va. Chevauchant, il parvient dans un désert de rochers noirs. Sur ce désert, se dresse une montagne de feu. Il pousse son cheval dans les flammes. Il étouffe, il brûle, le dos courbé dans la fournaise, il va succomber, à bout de forces. Le cheval bondit hors du feu. Losang chevauche encore un jour et une nuit, sur une plaine blanche. Alors il voit devant lui un glacier étincelant. Il le traverse, grelottant, s'écorchant aux rocs transparents, tranchants comme des couteaux. Au bout de ce glacier, voici l'océan immense et gris. Losang plonge dans les vagues avec son cheval. Il s'épuise contre une tempête rugissante. Combien de temps ? Il ne sait. Enfin, un matin, il voit devant lui dressée une montagne verte, ensoleillée, merveilleuse.
Il découvre les fées dans une prairie. Elles sont assises en rond, penchées sur des broderies multicolores. Au milieu d'elles, sur l'herbe, est posé le carré de tissu brodé, depuis si longtemps perdu. Les fées accueillent Losang avec affection. Elles sont belles. La plus jeune l'émeut beaucoup. Elle dit au jeune homme : " Nous savons ce que tu es venu chercher. Tu pourras emporter l'ouvrage de ta mère, demain matin, car nous n'avons pas encore fini de le recopier. D'ici là, tu es notre invité. Losang, jusqu'au soir, se promène sur la montagne ensoleillée bavardant avec la jeune fée. Au crépuscule, elle lui dit : " Nous allons nous séparer. Mais je veux d'abord te faire un cadeau ". Elle prend un fil d'or, se penche sur le paysage rêvé par la vieille mère, brode sa silhouette de fée au bord du ruisseau qui traverse l'image et disparaît.
Le lendemain, Losang s'en va, emportant ce qu'il est venu chercher. Il arrive dans son village, après longtemps de chevauchée. Il bondit dans sa maison : " Mère, regarde, dit-il en triomphant ". Il déroule carré de tissu. La broderie est tellement belle que la maison en est illuminée. Sa mère tremble, tant elle est heureuse. " Allons au soleil, dit-elle, devant la porte, nous le verrons mieux. " Ils sortent. Alors un coup de vent arrache l'ouvrage des mains de Losang. Mais cette fois, par un étrange prodige, il ne l'emporte pas au loin, il l'étend. Le paysage brodé s'agrandit tant qu'il recouvre bientôt le vieux paysage familier. Il prend vie. Voici la montagne couverte de troupeaux, et les maisons à trois étages, et les jardins. Au bord du ruisseau où bondit l'eau fraîche, une jeune fille est penchée. Losang court vers elle. C'est la plus jeune des fées qui a brodé sa silhouette sur le paysage. Ils s'embrassent, en riant. Quelques jours plus tard, ils se marient. Losang, entre sa femme fée et sa mère, vécut heureux sous le soleil clair. (Conte tibétain, Henri Gougaud, L'arbre à soleils, Ed. du seuil)
Essai d'analyse des meilleurs peintres
Essai d'analyse de la broderie
Groupe
de la parole du dimanche 13 avril 2014 à
18 heures
VII. L'espace intermédiaire
de l'écoute entre la violence et la parole
1. Caïn et Abel
L'homme connut Eve, sa femme ;
elle conçut et enfanta Caïn
Et elle dit : "J'ai acquis un homme de par
Yahvé".
Elle donna aussi le jour à Abel, frère
de Caïn.
Or Abel devint pasteur de petit bétail
Et Caïn cultivait le sol.
Le temps passa et il advint que Caïn présenta
Des produits du sol en offrande à Yahvé,
Et qu'Abel, de son côté, offrit des
premiers nés de son troupeau
Et même leur graisse.
Or Yahvé agréa Abel et son offrande.
Mais il n'agréa pas Caïn et son offrande
Et Caïn en fut très irrité et
eut le visage abattu.
Yahvé dit à Caïn : "Pourquoi
es-tu irrité
Et pourquoi ton visage est-il abattu ?
Si tu es bien disposé, ne relèveras-tu
pas la tête ?
Mais si tu n'es pas bien disposé, le péché
n'est-il pas à la porte,
Une bête tapie qui te convoite, pourras-tu
la dominer ?"
Cependant Caïn dit à son frère
Abel : "Allons dehors".
Et, comme ils étaient en pleine campagne,
Caïn se jeta sur son frère et le tua.
Yahvé dit à Caïn
: "Où est ton frère Abel ?"
Il répondit : "Je ne sais pas.
Suis-je le gardien de mon frère ?"
Yahvé reprit : "Qu'as-tu fait ?
Ecoute le sang de ton frère crier vers moi
du sol.
Maintenant, sois maudit et chassé du sol
fertile,
Qui a ouvert la bouche pour recevoir de ta main
le sang de ton frère.
Si tu cultives le sol, il ne te donnera plus son
produit :
Tu seras un errant parcourant la terre."
Alors Caïn dit à Yahvé : "Ma
peine est trop lourde à porter.
Vois ! tu me bannis aujourd'hui du sol fertile,
Je devrai me cacher loin de ta face
Et je serai un errant parcourant la terre :
Mais le premier venu me tuera !"
Yahvé lui répondit : "Aussi bien,
si quelqu'un tue Caïn,
On le vengera sept fois" et Yahvé mit
un signe sur Caïn,
Afin que le premier venu ne le frappât point.
Caïn se retira de la présence de Yahvé
Et séjourna au pays de Nod, à l'orient
d'Eden.
(Genèse, 4, 1-16)
2. La parole
Il était une fois un pêcheur nommé
Drid. C'était un homme de bonne fréquentation.
Il était vigoureux, d'allure franche et son
oeil, quand il riait, était aussi vif que
le soleil. Or, voici ce qui lui advint.
Un matin, comme il allait le long de la plage, son
filet sur l'épaule, la tête dans le
vent et les pieds dans le sable mouillé à
la lisière des vagues, il rencontra sur son
chemin un crâne humain. Ce misérable
relief d'homme posé sur les algues sèches
excita aussitôt son humeur joyeuse et bavarde.
Il s'arrêta devant lui, se pencha et dit :
" Crâne, pauvre crâne, qui t'a
conduit ici ? " Il rit, n'espérant aucune
réponse. Pourtant les mâchoires blanchies
s'ouvrirent dans un mauvais grincement et il entendit
ce simple mot : " La parole ". Il fit
un bond en arrière, resta un moment à
l'affût comme un animal épouvanté,
puis voyant cette tête de vieux mort aussi
immobile et inoffensive qu'un caillou, il pensa
avoir été trompé par quelque
sournoiserie de la brise, se rapprocha prudemment
et répéta, la voix tremblante, sa
question : " Crâne, pauvre crâne,
qui t'a conduit ici ? - La parole ", répondit
l'interpellé avec, cette fois, un rien d'impatience
douloureuse, et une indiscutable netteté.
Alors Drid se prit à deux poings la gorge,
poussa un cri d'effroi, recula, les yeux écarquillés,
tourna les talons et s'en fut, les bras au ciel,
comme si mille diables étaient à ses
trousses. Il courut ainsi jusqu'à son village,
le traversa, entra en coup de bourrasque dans la
case de son roi. Cet homme de haut vol, majestueusement
attablé, était en train de déguster
son porcelet matinal. Drid tomba à ses pieds,
tout suant et soufflant. " Roi, dit-il, sur
la plage, là-bas est un crâne qui parle.
- Un crâne qui parle ! s'exclama le roi. Homme
es-tu soûl ? " Il partit d'un rire rugissant,
tandis que Drid protestait avec humilité
: " Soûl, moi ? Je n'ai bu, depuis hier,
qu'une calebasse de lait de chèvre, roi vénéré,
je te supplie de me croire, et j'ose à nouveau
affirmer que j'ai rencontré tout à
l'heure, comme j'allais à la pêche
quotidienne, un crâne aussi franchement parlant
que n'importe quel vivant. - Je n'en crois rien,
répondit le roi. Cependant, il se peut que
tu dises vrai. Dans ce cas, je ne veux pas risquer
de me trouver le dernier à voir et entendre
ce bout de mort considérable. Mais je te
préviens : si par égarement ou malignité
tu t'es laissé aller à me conter une
baliverne, homme de rien, tu le paieras de ta tête
! - Je ne crains pas ta colère, roi parfait,
car je sais bien que je n'ai pas menti, bafouilla
Drid, courant déjà vers la porte.
Le roi se pourlécha les doigts, décrocha
son sabre, le mit à sa ceinture et s'en fut
trottant derrière sa bedaine, avec Drid le
pêcheur.
Ils cheminèrent le long de la mer jusqu'à
la brassée d'algues où était
le crâne. Drid se pencha sur lui, et caressant
aimablement son front rocheux : " Crâne,
dit-il, voici devant toi le roi de mon village.
Daigne, s'il te plaît, lui dire quelques mots
de bienvenue. Aucun son ne sortit de la mâchoire
d'os. Drid s'agenouilla, le coeur soudain battant.
" Crâne, par pitié, parle. Notre
roi a l'oreille fine, un murmure lui suffira. Dis-lui,
je t'en conjure, qui t'a conduit ici. " Le
crâne miraculeux ne parut pas plus entendre
qu'un crâne vulgaire, resta aussi sottement
posé que le plus médiocre des crânes,
aussi muet qu'un crâne imperturbablement installé
dans sa définitive condition de crâne,
au grand soleil, parmi les algues sèches.
Bref, il se tut obstinément. Le roi, fort
agacé d'avoir été dérangé
pour rien, fit une grimace de dédain, tira
son sabre de sa ceinture. " Maudit menteur,
dit-il. " Et, sans autre jugement, d'un coup
sifflant, il trancha la tête de Drid. Après
quoi, il s'en revint, en grommelant, à ses
affaires de roi, le long des vagues. Alors, tandis
qu'il s'éloignait, le crâne ouvrit
enfin ses mâchoires grinçantes et dit
à la tête du pêcheur qui, roulant
sur le sable, venait de s'accoler à sa joue
creuse : " Tête, pauvre tête, qui
t'a conduit ici ? " La bouche de Drid s'ouvrit,
la langue de Drid sortit entre ses dents et la voix
de Drid répondit : " La parole ".
(Conte d'Afrique noire, Henri Gougaud, L'arbre aux
trésors, Ed. du Seuil)
Essai d'analyse de Caïn et d'Abel
Groupe
de la parole du dimanche 11 mai 2014 à 18
heures
VIII. Espace intermédiaire de la pulsion
de vérité entre l'écriture
et la parole
1. Le jugement de Salomon
Deux prostituées vinrent
vers le roi et se tinrent devant lui.
L'une des femmes dit : " S'il te plaît,
Monseigneur !
Moi et cette femme, nous habitons la même
maison
Et j'ai eu un enfant alors qu'elle était
dans la maison.
Il est arrivé que le troisième jour,
après ma délivrance,
Cette femme aussi a eu un enfant.
Nous étions ensemble.
Il n'y avait pas d'étranger dans la maison,
Rien que nous deux dans la maison.
Or le fils de cette femme est mort une nuit
Parce qu'elle s'était couchée sur
lui.
Elle se leva au milieu de la nuit,
Prit mon fils d'à côté de moi,
pendant que ta servante dormait.
Elle le mit sur son sein et son fils mort elle le
mit sur mon sein.
Je me levai pour allaiter mon fils,
Et voici qu'il était mort !
Mais, au matin, je l'examinai,
Et voici que ce n'était pas mon fils que
j'avais enfanté ! "
Alors, l'autre femme dit : " Ce n'est pas vrai
!
Ton fils est celui qui est mort et mon fils est
celui qui est vivant ! "
Elles se disputaient devant le
roi qui prononça :
" Celle-ci dit : " Voici mon fils et c'est
ton fils qui est mort ! "
Celle-là dit : " Ce n'est pas vrai !
Ton fils est celui qui est mort et mon fils est
celui qui est vivant ! "
" Apportez-moi une épée, "
ordonne le roi.
Et on apporta l'épée devant le roi,
qui dit :
" Partagez l'enfant vivant en deux
et donnez la moitié à l'une et la
moitié à l'autre. "
Alors la femme dont le fils était vivant
s'adressa au roi,
Car sa pitié s'était enflammée
pour son fils et elle dit :
" S'il te plaît Monseigneur !
qu'on lui donne l'enfant, qu'on ne le tue pas !
"
Mais celle-là disait :
" Il ne sera ni à moi ni à toi,
partagez ! "
Alors le roi prit la parole et
dit :
" Donnez l'enfant à la première,
ne le tuez pas.
C'est elle la mère ! "
Tout Israël apprit le jugement qu'avait rendu
le roi.
Ils révérèrent le roi car ils
virent
Qu'il y avait en lui une sagesse divine pour rendre
la justice.
(Bible de Jérusalem, I Rois, 3, 16-28))
2. Le nom
Il était une fois un village
qui n'avait pas de nom. Personne ne l'avait jamais
présenté au monde. Personne n'avait
jamais présenté la parole par laquelle
une somme de maisons, un écheveau de ruelles,
d'empreintes, de souvenirs sont désignés
à l'affection des gens et à la bienveillance
de Dieu. On ne l'appelait même pas "
le village sans nom ", car ainsi nommé,
il se serait aussitôt vêtu de mélancolie,
de secret, de mystère, d'habitants crépusculaires,
et il aurait pris place dans l'entendement des hommes.
Il aurait eu un nom. Or, rien ne le distinguait
des autres, et pourtant il n'était en rien
leur parent, car seul il était dépourvu
de ce mot sans lequel il n'est pas de halte sûre.
Les femmes qui l'habitaient n'avaient pas d'enfants.
Personne ne savait pourquoi. Pourtant nul n'avait
jamais songé à aller vivre ailleurs,
car c'était vraiment un bel endroit que ce
village. Rien n'y manquait et la lumière
y était belle.
Or, il advint qu'un jour une jeune femme de cette
assemblée de cases s'en fut en chantant par
la brousse voisine. Personne, avant elle, n'avait
eu l'idée de laisser aller ainsi les musiques
de son coeur. Comme elle ramassait du bois et cueillait
des fruits, elle entendit soudain un oiseau répondre
à son chant dans le feuillage. Elle leva
la tête, étonnée, contente.
" Oiseau, s'écria-t-elle, comme ta voix
est heureuse et bienfaisante ! Dis-moi ton nom que
nous le chantions ensemble ! " L'oiseau voleta
de branche en branche parmi les feuilles bruissantes,
se percha à portée de main et répondit
: " Mon nom, femme ? Qu'en feras-tu quand nous
aurons chanté ? - Je le dirai à ceux
de mon village. - Quel est le nom de ton village
? - Il n'en a pas, murmura-t-elle, baissant le front.
- Alors, devine le mien ! " lui dit l'oiseau
dans un éclat moqueur. Il battit des ailes
et s'en fut. La jeune femme, piquée au coeur,
ramassa vivement un caillou et le lança à
l'envolé. Elle ne voulait que l'effrayer.
Elle le tua. Il tomba dans l'herbe, saignant du
bec, eut un sursaut misérable et ne bougea
plus. La jeune femme se pencha sur lui, poussa un
petit cri désolé, le prit dans sa
main et le ramena au village.
Au seuil de sa case, les yeux mouillés de
larmes, elle le montra à son mari. L'homme
fronça les sourcils, se renfrogna et dit
: " Tu as tué un laro. Un oiseau-marabout.
C'est grave ". Les voisins s'assemblèrent
autour d'eux, penchèrent leur front soucieux
sur la main ouverte où gisait la bestiole.
" C'est en effet un laro, dirent-ils. Cet oiseau
est sacré. Le tuer porte malheur. - Que puis-je
faire homme, que puis-je faire ? " gémit
la femme, tournant partout la tête, baisant
le corps sans vie, essayant de le réchauffer
contre ses lèvres tremblantes. " Allons
voir le chef du village, dit son mari. "
Ils y furent, femmes, époux et voisins. Quand
la femme eut conté son aventure, le chef
du village catastrophé dit à tous
: " Faisons-lui de belles funérailles
pour apaiser son âme. Nous ne pouvons rien
d'autre. Trois jours et trois nuits, on battit le
tam-tam funèbre et l'on dansa autour de l'oiseau
marabout. Puis on le pria de ne point garder rancune
du mal qu'on lui avait fait, et on l'ensevelit.
Six semaines plus tard, la femme qui avait la première
chanté dans la brousse et tué le laro
se sentit un enfant dans le ventre. Jamais auparavant
un semblable événement n'était
survenu au village. Dès qu'elle l'eut annoncé,
toute rieuse, sous l'arbre au vaste feuillage qui
ombrageait la place, on voulut fêter l'épouse
féconde et l'honorer comme une porteuse de
miracle. Tous, empressés à la satisfaire,
lui demandèrent ce qu'elle désirait.
Elle répondit : " L'oiseau-marabout
est maintenant enterré chez nous. Je l'ai
tué parce que notre village n'avait pas de
nom. Que ce lieu où nous vivons soit donc
appelé Laro, en mémoire du mort. C'est
là tout ce que je veux. - Bien parlé,
dit le chef du village ". On fit des galettes
odorantes, on but jusqu'à tomber dans la
poussière et l'on dansa jusqu'à faire
trembler le ciel.
La femme mit au monde un fils. Alors toutes les
épouses du village se trouvèrent enceintes.
Les ruelles et la brousse alentour s'emplirent bientôt
de cris d'enfants. Et aux voyageurs fourbus qui
vinrent (alors que nul n'était jamais venu)
et qui demandèrent quel était ce village
hospitalier où le chemin du jour les avait
conduits, on répondit fièrement :
" C'est celui de Laro ". A ceux qui voulurent
savoir pourquoi il était ainsi nommé,
on conta cette histoire. Et à ceux qui restèrent
incrédules et exigèrent la vérité,
on prit coutume de dire : " D'abord fut le
chant d'une femme. Le chant provoqua la question.
La question fit surgir la mort. La mort fit germer
la vie. La vie mit au monde le nom ". (Conte
africain, Henri Gougaud, L'arbre aux trésors,
Ed. du Seuil)
Essai d'analyse du jugement de Salomon
Groupe de la parole du dimanche 8 juin 2014 à 18 heures
IX. L'espace intermédiaire du sujet (qui implique moi et l'autre) entre soi et soi
Le ratage du sujet avec Narcisse
Narcisse était de Thespies : il était fils de Liriopé, la Nymphe bleue que le dieu-Fleuve Céphise avait un jour emportée dans ses tourbillons et violée. Le devin Tirésias dit à Liriopé, qui fut la première personne à le consulter : " Narcisse vivra très vieux, à condition qu'il ne se regarde jamais ". On était bien excusable alors de tomber amoureux de Narcisse ; enfant et adolescent déjà, sa route était semée des cœurs de ses soupirants des deux sexes qu'il avait repoussés avec indifférence ; il était en effet farouchement orgueilleux de sa propre beauté.
Parmi ses amoureux se trouvait la Nymphe Écho qui ne pouvait plus se servir de sa voix si ce n'est pour répéter comme une insensée les paroles de quelqu'un d'autre ; c'était une punition pour avoir longtemps retenu l'attention d'Héra, racontant de longues histoires pendant que les concubines de Zeus, les nymphes de la montagne échappaient à son œil jaloux et parvenaient à s'enfuir. Un jour que Narcisse était sorti pour prendre des cerfs au filet, Écho le suivit furtivement dans la forêt épaisse, dévorée du désir de lui adresser la parole mais incapable de parler la première. A la fin, Narcisse s'étant aperçu qu'il s'était égaré et avait perdu ses compagnons, cria : " Holà, y a-t-il quelqu'un par ici ? - Par ici ! " répondit Écho, ce qui surprit Narcisse car il ne voyait personne. " Viens ! -Viens ! - Pourquoi me fuis-tu ? - Pourquoi me fuis-tu ? - Rejoignons-nous ! - Rejoignons-nous ! " répéta Écho et, sortant de sa cachette, tout heureuse, elle se précipita pour embrasser Narcisse.
Mais il la repoussa brutalement et s'enfuit. " Je mourrai plutôt que d'être à toi. - Être à toi ", implora Écho. Mais Narcisse était parti, et elle passa le restant de sa vie dans des vallons abandonnés, se languissant d'amour et se laissant dépérir par mortification, au point que seule sa voix subsista.
Un jour, Narcisse envoya, en présent, une épée à Ameinias, le plus tenace de ses soupirants, et dont le fleuve Ameinias porte le nom ; c'est un affluent du fleuve Hélicon qui se jette dans l'Alphée. Ameinias se tua devant la porte de Narcisse, faisant appel aux dieux pour venger sa mort.
Artémis l'entendit et fit que Narcisse tomba amoureux. Mais elle l'empêcha de consommer son amour. A Donacon, à Thespies, il vit une source ; elle était claire et argentée et n'avait encore jamais été touchée par un troupeau, ou des oiseaux, ou des bêtes sauvages, ni même par des branches tombées des arbres, qui l'ombrageaient ; et, comme épuisé de fatigue, il s'était laissé tomber sur l'herbe, pour étancher sa soif, il tomba amoureux de sa propre image, reflétée dans l'eau. Il commença par essayer de saisir et d'embrasser le beau jeune homme qui se trouvait devant lui, mais il se reconnut lui-même et, transporté d'amour, resta couché à regarder dans l'eau pendant des heures.
Comment supporter à la fois de posséder et de ne pas posséder ? Il était miné par le chagrin et, cependant, il se réjouissait de son tourment ; il sut au moins que son autre moi lui restait fidèle, quoi qu'il arrive.
Écho, bien qu'elle n'eût pas pardonné à Narcisse, souffrait avec lui ; elle répéta en écho à sa voix : " Hélas ! Hélas ! ", comme il se plongeait un poignard dans sa poitrine ; et elle redit aussi sa dernière phrase au moment où il expirait : " Ô toi, jeune homme que j'ai vainement aimé, adieu ! "
Son sang s'écoula dans la terre et il naquit un narcisse blanc à corolle rouge dont on extrait un baume, à Chéronée, de nos jours encore. Il est recommandé dans les affections des oreilles (bien qu'il puisse occasionner des maux de tête) et comme vulnéraire contre les engelures. (Les mythes grecs, Robert Graves, traduit de l'anglais par Maurice Hafez, Hachette Littératures, tome I, collection Pluriel, p. 306)
Groupe
de la parole du dimanche 9 octobre 2016 à 18 h.
Chez Colette Dorin, 8 chemin de Toulevet,
01 700-Neyron le Haut (à côté de l’église)
04 78 55
57 07
N’oubliez pas de
préciser si vous venez et si vous ne venez pas en indiquant ce que vous
apportez si vous avez choisi d’apporter quelque chose. Colette tient vraiment à
être avertie pour faire ses préparations.
Une nouvelle étape
pour le groupe de la parole
Au départ, la parole
était chantée. La musique est une dimension importante de la parole. C’est
pourquoi il a paru intéressant, grâce à la présence, parmi nous, d’un éminent
musicologue, de mener, au cours de cette année, une investigation pour savoir
ce que la musique apporte à la parole et comment elle l’apporte. Nous sommes
ainsi conviés à entrer dans une expérimentation, qui pourrait bien être
passionnante. Le dimanche 9 octobre, nous nous attarderons sur les Noces de
Figaro de Mozart. Mais je laisse la parole à Yves, notre spécialiste.
Au lieu de partir de
contes, on prendrait des airs d’opéras. Et le meilleur musicien est bien sûr
Mozart. Et j’ai pensé aux Noces de Figaro (livret de da Ponte, d’après la pièce de
Beaumarchais).
D’abord lecture du texte (dans la traduction, avec l’original en italien).
Au besoin je
rappellerai le contexte dramatique.
Ecoute de l’air, et
échange entre nous…
Différence entre ce
qu’on a compris du texte, et ce que la musique ajoute au texte…
Je choisis donc
plusieurs passages, parmi les plus célèbres :
Acte I, scène 1, air n°
3.
Figaro : Si vuol ballare Signor Contino…. Si
Monsieur le comte veut danser
Acte I, scène 5, air n° 6
Chérubin : Non so piu cosa son ….. Je ne sais
plus qui je suis
Acte II, scène 3, air n° 11
Chérubin : Voi que sapete…. Vous qui savez….
Acte III, scène 8,
Récitatif de la
comtesse
E Suzanna non vien !
Et Suzanne qui ne vient
pas !
et air n° 19
La comtesse : Dove sono i bei momenti….. Où sont
les beaux instants
Acte IV, scène 15
La fin = duo et choeur
Le comte : Contessa, perdono, ……. Comtesse, pardon »
Il y a une
manipulation un peu complexe pour mettre en forme les dialogues en italien et
en français. Dès que tout sera prêt, je vous enverrai les textes.
Le secrétaire, Etienne
Duval
Groupe
de la parole du dimanche 13 novembre 2016 à 18 h.
Chez Claire et
Jean-Nicolas Hérique
Résidence La
Blonderie, 8 B, chemin du Plat 69 130 Ecully
Tél. 04 78 83 26
19
N’oubliez pas de
préciser si vous venez et si vous ne venez pas en indiquant ce que vous
apportez si vous avez choisi d’apporter quelque chose.
Le dimanche 13
novembre, nous poursuivrons notre analyse des Noces de Figaro, notamment à
partir des dialogues, scène finale et Acte IV, scène 10. Yves en rajoutera
plusieurs que Jean-Nicolas nous fera parvenir. En même temps, nous examinerons
un passage de la messe en ut mineur, qui reproduit une figure que nous avons
repérée dans les Noces de Figaro… J’ai l’impression que cette nouvelle
expérience sera passionnante.
Au 13 novembre !
Groupe
de la parole du dimanche 15 janvier 2017 à 18 h.
Nous nous retrouverons chez Denise et
Philippe, le 15 janvier 2017, seulement. Yves n’est pas libre en décembre. Le
maître a choisi Don Giovanni de Mozart pour poursuivre notre recherche sur la
parole et la musique.
Chacun est invité à faire connaître à
Denise et Philippe ce qu’il compte apporter pour composer le repas.
Vous pouvez écouter Don Giovanni à
l’adresse suivante :
https://www.youtube.com/watch?v=nV1yNgiEvIQ
ACTE 1, scène 9 :
Séduction de Zerline
DON GIOVANNI ZERLINA DON GIOVANNI ZERLINA DON GIOVANNI |
DON
GIOVANNI ZERLINA DON GIOVANNI ZERLINA DON
GIOVANNI |
||
ZERLINA :Ah! Non vorrei DON GIOVANNI Che non vorreste? ZERLINA DON GIOVANNI ZERLINA Voi? DON GIOVANNI AIR Là ci darem la mano, ZERLINA DON GIOVANNI Vieni, mio bel diletto! ZERLINA : Mi fa pietà Masetto! DON GIOVANNI : Io cangierò tua sorte! ZERLINA : Presto, non son più forte! |
ZERLINA :
Ah, je ne voudrais pas. DON
GIOVANNI Que ne voudriez-vous ? ZERLINA :À
la fin me retrouver dupée. Je sais bien que rarement avec les femmes vous
autres chevaliers n'êtes honnêtes et sincères. DON
GIOVANNI ZERLINA
Vous ? DON
GIOVANNI AIR Là
nous nous donnerons la main, ZERLINA DON
GIOVANNI Viens, mon bel amour ! ZERLINA :
Masetto me fait pitié ! DON
GIOVANNI ZERLINA |
ZERLINA : Presto, non son più forte! DON GIOVANNI Andiam! Andiam! ZERLINA Andiam! DON GIOVANNI, ZERLINA : Andiam, andiam, mio bene, Scène 10 (Récitatif) DONNA ELVIRA ZERLINA : Meschina! cosa sento? DON GIOVANNI (a parte) DONNA ELVIRA ZERLINA DON GIOVANNI (a Zerlina a parte) La povera infelice è di me innamorata, |
ZERLINA :
Vite, je ne suis plus de force ! DON GIOVANNI : Allons ! Allons ! ZERLINA Allons ! DON GIOVANNI,
ZERLINA : Allons, allons, mon amour, compenser nos peines par un
innocent amour ! etc. (Entre Donna Elvira.) Scène 10 DONNA ELVIRA ZERLINA :
Pauvre de moi ! Qu'entends-je ? DON
GIOVANNI (à part)
|
|||||||
DON GIOVANNI (Mozart, livret da Ponte) ACTE I, scène 5 - Aria n° 4 LEPORELLO : l Madamina, il catalogo è questo |
LEPORELLO :
Air du catalogue Petite
Madame, voici le catalogue |
|||||||
marchesine, principesse, |
des
marquises, des princesses, |
|||||||
d'ogni forma, d'ogni età. In Italia seicento e quaranta, ecc. Nella bionda egli
ha l'usanza Sua passion predominante DONNA ELVIRA - si vada - io sento in petto sol vendetta parlar,
rabbia e dispetto. (Parte.) |
de
toutes formes, de tous âges. En
Italie six cent quarante, etc. De la blonde il a coutume de la
brune la constance ; Sa
passion prédominante est la jeunette débutante. DONNA ELVIRA |
|||||||
FINALE de DON GIOVANNI ACTE II,
Scène 18 |
|||
DONNA ELVIRA (entra disperata) : L'ultima prova
dell'amor mio ancor vogl'io fare con te. DON GIOVANNI, LEPORELLO : Cos'è? DONNA ELVIRA (inginocchiandosi) |
DONNA
ELVIRA (entre, désespérée) : La preuve ultime de mon amour, je veux
encore te donner. DON GIOVANNI, LEPORELLO :Qu'ya-t-il? DONNA
ELVIRA (s'agenouillant) |
||
Da te non chiede quest'alma oppressa della tua fede
qualche mercé. DON GIOVANNI DONNA ELVIRA LEPORELLO |
De toi
cette âme oppressée ne demande pour sa constance une quelconque pitié. DON
GIOVANNI DONNA
ELVIRA LEPORELLO |
||
DON GIOVANNI DONNA ELVIRA Che vita cangi! DON GIOVANNI Brava! DONNA ELVIRA Cor perfido! DON GIOVANNI Brava! DONNA ELVIRA Cor perfido! DONNA ELVIRA, LEPORELLO Cor perfido! |
DON
GIOVANNI DONNA
ELVIRA : Que tu changes de vie ! DON GIOVANNI Admirable ! DONNA ELVIRA Cœur perfide ! DON GIOVANNI Admirable ! DONNA ELVIRA Cœur perfide ! DONNA ELVIRA, LEPORELLO Cœur perfide ! |
DON GIOVANNI DONNA ELVIRA LEPORELLO DON GIOVANNI : Vivan le femmine ! Viva in buon vino !
Sosteno e gloria d’umanità ! |
DON
GIOVANNI DONNA
ELVIRA LEPORELLO DON
GIOVANNI : Vivent les femmes et le bon vin, soutien et gloire de
l’humanité ! |
ELVIRA : Ah ! DON GIOVANNI, LEPORELLO : Che grido è questo mai ? DON GIOVANNI : Va a veder che cos’è stato LEPORELLO : ah ! DON GIOVANNI Che grido indiavolato! Leporello, che
cos'è? LEPORELLO DON GIOVANNI LEPORELLO Ta ta ta ta DON GIOVANNI LEPORELLO : Ah, sentite! DON GIOVANNI Qualcun batte! Apri! LEPORELLO Io tremo! DON GIOVANNI Apri, dico! LEPORELLO Ah! DON GIOVANNI Apri! DON GIOVANNI |
ELVIRA
: Ah !(Elle sort de la scène en fuyant) DON GIOVANNI, LEPORELLO : Quel cri était-ce donc là ?
DON
GIOVANNI LEPORELLO
: Ah ! DON GIOVANNI : Quel cri diabolique ! Leporello,
qu'y a-t-il ? LEPORELLO DON
GIOVANNI LEPORELLO Ta ta ta ta ! DON GIOVANNI : Tu es fou en vérité. LEPORELLO
Ah, écoutez ! DON
GIOVANNI : Quelqu'un frappe ! Ouvre ! LEPORELLO
J'ai peur ! DON
GIOVANNI Ouvre, te dis-je ! LEPORELLO Ah! DON GIOVANNI Ouvre ! DON GIOVANNI |
||
LEPORELLO SCENE 19 LA STATUA DON GIOVANNI LEPORELLO |
LEPORELLO SCENE
19 DON
GIOVANNI LEPORELLO |
||
DON GIOVANNI Vanne dico! LA STATUA LEPORELLO DON GIOVANNI |
DON GIOVANNI Va, te dis-je ! LA
STATUE LEPORELLO DON
GIOVANNI |
||
LA STATUA DON GIOVANNI LEPORELLO LA STATUA LEPORELLO |
LA
STATUE DON
GIOVANNI LEPORELLO LA
STATUE LEPORELLO |
DON GIOVANNI A tor to di viltate tacciato mai sarò. LA STATUA Risolvi! DON GIOVANNI Ho già risolto. LA STATUA Verrai? LEPORELLO Dite di no! |
DON
GIOVANNI LA
STATUE Décide-toi! DON GIOVANNI
J'ai déjà décidé. LA
STATUE Tu viendras ? LEPORELLO
Dites que non ! |
||
DON GIOVANNI LA STATUA DON GIOVANNI Eccola! LA STATUA Cos'hai? DON GIOVANNI Che gelo è questo mai? |
DON
GIOVANNI LA
STATUE DON
GIOVANNI La voici ! LA
STATUE Qu'as-tu ? DON
GIOVANNI Comme celle-ci est glacée ! |
||
LA STATUA Pentiti, cangia vita, è l'ultimo momento! DON GIOVANNI (vuol sciogliersi) No, no, ch'io non mi
pento LA STATUA Pentiti, scellerato! DON GIOVANNI No, vecchio infatuato! LA
STATUA Pentiti! ecc. |
LA STATUE DON GIOVANNI (Il veut se dégager.) Non,
non, je ne me repens pas, LA
STATUE Repens-toi, scélérat ! DON
GIOVANNI Non, vieil orgueilleux ! LA
STATUE Repens-toi ! etc. |
||
DON GIOVANNI No! ecc. LA STATUA Sì! DON GIOVANNI No! LA STATUA Sì! DON GIOVANNI No! LEPORELLO Sì! Sì! |
DON GIOVANNI Non ! etc. LA STATUE Si! DON GIOVANNI Non! LA STATUE Si! DON GIOVANNI Non! LEPORELLO Si ! si ! |
DON GIOVANNI No! No! LA STATUA DON GIOVANNI |
DON GIOVANNI Non ! Non ! LA STATUE DON
GIOVANNI |
||
Quel
supplice, hélas, quelle rage ! Quel enfer, quelle terreur |
|||
|
|
||
A 15 heures
Chez Yves Jaffrès et Marie-Louise Fleckinger
Notre prochaine réunion aura donc lieu, une nouvelle
fois, chez Yves et Marie-Louise. Nous travaillerons sur plusieurs textes de Supervielle que Marie-louise nous a
préparés. Vous les avez ci-dessous et en fichier joint.
A bientôt !
JULES SUPERVIELLE
La Fable du monde (1938)
Dieu parle à ‘homme
Quand je dis
« mes bras » ne va pas croire
Que ce sont
des bras comme les tiens,
Quand je dis
« mes yeux » comprends que rien
Ni autour de
toi, ni ta mémoire
Ne t’en révèle
un seul regard.
Je me sers de
mots qui sont à toi.
Si
tu ne me saisis pas bien
Restons
taciturnes ensemble.
Que mon
secret touche le tien
Que
ton silence me ressemble.
Moi qui suis
l’univers et ne peux en jouir
Puisque tout
est en moi dans sa masse importune,
Je te ferai
présent des choses une à une
Puisqu’il te
suffira de voir pour les cueillir.
Ainsi garderas-tu
même ce qui m’échappe,
Ce qui ne
m’est plus rien tu pourras le tenir
Et suivre
vivement d’un regard qui rattrape
L’hirondelle
en son vol ou rentrant à son nid.
Je te donne la
mort avec une espérance
Ne me demande
pas de te la définir,
Je te donne la
mort avec la différence
Entre un passé
chétif et mieux que l’avenir,
Je te donne la mort pour sa
grande clémence
Et tout son
contenu qui ne peut pas finir.
Bientôt,
petit, bientôt, tu seras un mort libre
Tu te
reconnaîtras entier et fibre à fibre
Sans le
secours des yeux qui pouvaient bien périr,
Bientôt tu
parcourras les plus grandes distances
Dans
l’immobilité du corps et le silence,
Laisse-moi
faire et je promets de te guérir
De la chair
malhabile à porter la souffrance.
JULES SUPERVIELLE
La Fable du monde (1938) Le chaos et
la création (…) Emmêlé à tant d’étoiles, Me dégageant peu à peu, Je sens que poussent mes lois Dans le désordre des cieux. La solitude du monde Et la mienne se confondent. Ah ! nul n’est plus seul que Dieu Dans sa poitrine profonde. Il faut que quelque part Quelqu’un vive et respire Et sans bien le savoir Soit dans ma compagnie, Qu’il sache dans son sein Evasif que j’existe, Qu’il me situe au loin Et que je lui résiste, Moi qui serai en lui. |
Dieu pense à
l’homme Il faudra bien qu’il me ressemble, Je ne sais encore comment, Moi qui suis les mondes ensemble Avec chacun de leurs moments. Je le veux séparer du reste Et me l’isoler dans les bras, Je voudrais adopter ses gestes Avant qu’il soit ce qu’il sera, Je le devine à sa fenêtre Mais la maison n’existe pas. Je le tâte, je le tâtonne Je le forme sans le vouloir, Je me le donne, je me l’ôte, Que je suis pressé de le voir Je le garde, je le retarde Afin de le mieux concevoir. Tantôt, informe, tu t’éloignes, Tu boites au fond de la nuit, Ou tu m’escalades, grandi, Jusqu’à devenir un géant. Moi que nul regard ne contrôle Je te veux visible de loin, Moi qui suis silence sans fin Je te donnerai la parole, Moi qui ne peux pas me poser Je te veux debout sur tes pieds, Moi qui suis partout à la fois Je te veux mettre en un endroit, Moi qui suis plus seul dans ma fable Qu’un agneau perdu dans les bois, Moi qui ne mange ni ne bois Je veux t’asseoir à une table Une femme en face de toi, Moi qui suis sans cesse suprême Toujours ignorant le loisir, Qui n’en peux mais avec moi-même Puisque je ne peux pas finir, Je veux que tu sois périssable, Tu seras mortel, mon petit, Je te coucherai dans le lit De la terre où se font les arbres. |
Jules SUPERVIELLE
1939-1945
Hommage à la vie
Hommage
à la vie
C’est beau
d’avoir élu
Domicile
vivant
Et de loger
le temps
Dans un cœur
continu,
Et d’avoir vu
ses mains
Se poser sur
le monde
Comme sur une
pomme
Dans un petit
jardin,
D’avoir aimé
la terre,
La lune et le
soleil
Comme des
familiers
Qui n’ont pas
leurs pareils,
Et d’avoir
confié
Le monde à sa
mémoire
Comme un
clair cavalier
A sa monture
noire,
D’avoir donné visage
A ces
mots : femme, enfants,
Et servi de
rivage
A d’errants
continents,
Et d’avoir
atteint l’âme
A petits
coups de rame
Pour ne
l’effaroucher
D’une brusque approchée.
C’est beau
d’avoir connu
L’ombre sous
le feuillage
Et d’avoir
senti l’âge
Ramper sur le
corps nu,
Accompagné la peine
Du sang noir
dans nos veines
Et doré son
silence
De l’étoile
Patience,
Et d’avoir
tous ces mots
Qui bougent
dans la tête,
De choisir
les moins beaux
Pour leur
faire un peu fête,
D’avoir senti la vie
Hâtive et mal
aimée,
De l’avoir
enfermée
Dans cette
poésie.