Contes du Vietnam : L'âne revêtu de la peau du tigre




L'âne vêtu d'une peau de tigre

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Contes du Vietnam : L'âne revêtu de la peau du tigre

Ce n'est pas d'aujourd'hui que les hommes trompent leurs semblables. Ésope, Lafontaine, n'ont fait dans leurs fables que reprendre des thèmes vieux comme le monde. En voici un des plus anciens, puisque le Bouddha le citait et qu'il l'avait lui-même lu dans le Patchatantra, le plus ancien des livres sanscrits.

Un pauvre laboureur vivait alors près du fleuve Mékong, non loin de la vielle de Pak Lay. Il avait connu l'opulence, mais il était tombé aux mains des usuriers. Deux mauvaises récoltes et c'en avait été fait de tous ses biens. Les prêteurs d'argent avaient fait vendre ses champs, puis sa maison, puis ses buffles. Pour comble, lasse de vivre dans la pauvreté, la femme avait oublié qu'on est marié aussi bien pour le malheur que pour le bonheur, et elle l'avait quitté. Il ne restait au malheureux qu'un âne pour tout bien.

Certes, un âne aime les chardons, mais on ne peut pas toujours le nourrir de ce qui pousse au bord des chemins. Passant un jour, près d'un champ d'orge, le propriétaire de l'animal laissa celui-ci donner quelques coups de dents parmi les épis. Un homme surgit qui lança des pierres aux deux maraudeurs. " Il ferait moins le fier s'il avait vu un tigre ! " dit à mi-voix le paysan.

Ce disant, une idée lui vint. Il se procura, on ne sait comment, une peau de tigre et, ç grand renfort de lianes, il l'assujettit sur le dos de l'âne. " Peut-être un peu haut sur pattes, " dit-il en se reculant pour mieux juger de son œuvre. " Mais dans les céréales, on ne s'en apercevra pas. "

De ce jour là, tous les paysans des environs se barricadèrent dans leurs cases et retirèrent leurs échelles. On avait aperçu un tigre embusqué dans un champ de seigle, puis dans un carré d'orge. Bientôt, ce ne fut pas un mais dix, mais cent tigres qu'on crut avoir vus dans le pays. Les hommes s'organisèrent en battues, mais à peine voyaient-ils bouger les rayures de la peau du tigre entre les hautes graminées qu'ils s'ensauvaient. Aucun n'avait assez de courage pour venir contempler d'un peu plus près les griffes du félin.

Un jour, dans le champ voisin de celui où avait été signalé le fauve, une ânesse se mit à braire - sans doute de peur ; Aussitôt l'âne, tout joyeux sous sa peau de tigre, se mit à lui répondre, car son maître avait oublié de lui pendre une pierre au bout de la queue. (Tout le monde sait en effet qu'un âne ne peut braire qu'en tenant la queue haute.) " Un tigre qui brait, dirent les bonnes gens, passant de la terreur à l'étonnement. Il y a quelque malice là-dessous…

Dans l'affaire, le malheureux paysan perdit le dernier bien qui lui restât. Mais l'âne perdit bien davantage : tout simplement la vie… Car les cultivateurs, furieux d'avoir eu peur d'un baudet, passèrent leur rage sur lui et le tuèrent à coups de pierres.
Contes et légendes d'Indochine, M. Percheron, Nathan éditeur, pages 139-141.

 

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