Digitalin et les lutins




 

Des lutins

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Dans une paisible vallée, en haut du village,
Vit un pauvre vannier.
La misère ne l'inquiète guère.
Il a les mains habiles et pratique bien son métier.
Ce qui l'ennuie, c'est la bosse qu'il a sur le dos
Depuis qu'enfant il a roulé dans un grand escalier.

Les gamins l'appellent Digitalin
Car il porte, en été, à son chapeau, un brin fleuri de digitale
Dont les clochettes rouges dansent au-dessus de sa tête.
Certains ont peur du bossu.
Les sorcières utilisent les clochettes de digitale comme chapeau.
Il faut donc se méfier du vannier,
Qui ne porte pas cette fleur à son chapeau, sans raison.
Ils font ainsi tort à ce brave homme,
Qui ne ferait pas de mal à une mouche.

Plus d'une fois, les cris des enfants blessent le vannier.
Alors, il ne se rend plus au marché qu'à l'aurore
Et ne rentre que, tard le soir, lorsque les enfants sont au lit.
Or, un soir, alors qu'il rentre du marché, il coupe à travers champs.
Il doit sauter par dessus un ruisseau desséché,
Qui s'emplit d'eau les jours de pluie.
Il y pousse une herbe fraîche, même en plein été.
Le pauvre vannier a l'envie de se reposer.
Il s'assoit sur l'herbe et regarde tristement en direction de la lune.
Au bout de quelques minutes, il entend se lever du fossé une douce musique.
Peu à peu, il la perçoit clairement,
Avec les accents d'une joyeuse chanson.
Un grand nombre de voix répètent sans arrêt :
" Lundi, mardi,
Lundi, mardi, … "
Elles répétent ces mots, une fois lentement, une fois rapidement,
Puis se taisent un instant et reprennent encore.
Notre brave vannier prend son souffle pour entonner la chanson.
Il commence doucement puis, au moment où les autres s'arrêtent,
Chante à pleine voix :
" Et mercredi et jeudi … "
Lorsque les chanteurs souterrains l'entendent,
Ils se réjouissent vivement,
Comme si le jeune homme venait les soulager.
Ils jaillissent du lit du fossé, l'acclament et l'attirent sous terre,
Pour participer à leur fête,.dans leur palais souterrain.
C'est la merveille des merveilles, au milieu de mille lumières.
Des lutins sont habillés de soie et portent des bonnets rouges,
Ressemblant aux clochettes de la digitale.
Ils invitent le jeune homme à prendre place à une table
Et lui servent des mets raffinés et des boissons du monde entier.
Quand il leur sourit, ils entonnent un chant.
Le vannier se joint à eux et lorsqu'on arrive à " lundi, mardi ",
Il poursuit à haute voix : " et mercredi et jeudi ".
Même le plus âgé des lutins ne se souvient pas de s'être autant amusé.

A la fin, le roi des elfes - c'est ainsi que ces lutins se nomment -
Remercie en personne notre vannier d'être venu leur rendre visite
Et lui demande s'il a un désir particulier.
" Je voudrais me débarrasser de ma bosse ", répond-il franchement.
Alors le roi des elfes donne une tape sur la bosse du garçon
Et tous les autres lutins en font autant.
Au bout d'un moment, il regarde près de lui
Et voit que la bosse gît à ses pieds.
Il cligne des yeux pour s'assurer qu'il ne vit pas un rêve.
La tête lui tourne de bonheur
Et il sombre bientôt dans un profond sommeil.

C'est la clarté du soleil, qui réveille Digitalin.
Il bondit sur ses pieds lorsqu'il s'aperçoit
Qu'il a dormi dans l'herbe, au bord du fossé.
Il bondit encore plus quand il voit qu'il n'a plus son affreuse bosse.
Il saute de joie, franchit le fossé comme un gamin et se met à courir.
Les gens du village n'en croient pas leurs yeux.
Digitalin est devenu un jeune homme élégant, un des plus charmants du village.
Jeunes et vieux font cercle autour de lui.
Chacun veut toucher son dos.
Il finit par aller boire un coup, en compagnie de ses voisins.

Un jour, alors que le vannier travaille devant sa chaumière,
Apparaît une vieille femme inconnue.
Elle lui demande de le conduire auprès d'un jeune homme,
Qui était autrefois bossu.
" C'est moi ", répond le vannier.
La vieille le considère des pieds à la tête.
Puis elle lui confie le but de sa visite.
Le fils unique de sa fille est lui aussi bossu
Et cela cause à sa famille beaucoup de soucis.
Si le jeune homme lui dit comment il s'est débarrassé de sa disgrâce,
Elle lui donnera toutes ses économies.
" Je n'ai nul besoin de votre argent, lui répond le jeune homme.
J'accepte de dire gratuitement, à qui le veut, ce qui m'est arrivé. "
Le brave vannier conte alors toute son histoire, du début à la fin.
La femme le remercie.
Elle va conduire sans tarder son petit-fils à l'endroit indiqué.

Mais le bossu a non seulement un vilain dos,
Il a aussi une vilaine âme.
Il tempête contre les femmes, qui le tirent dans une charrette
Et le traînent elles-mêmes au bord du fameux fossé.
Indifférent à leur fatigue, il se gave de pain et de lard.
Lorsqu'il entend le chant, il se met à brailler si fort
Que les lutins eux-mêmes en sont effrayés.
Il se calme enfin.
Un doux chant vient à nouveau des profondeurs de la terre.
Les elfes entonnent de tout leur cœur :
" Lundi, mardi, mercredi et jeudi… "
Quand la chanson est finie, ils recommencent.
Alors l'impatient bossu ne peut y résister.
Il se met à hurler : " Vendredi, samedi, dimanche. "
Le chant cesse à l'instant.
Les lutins sortent de la terre et entourent le visiteur.
" Pourquoi viens-tu troubler notre fête ?
- Vous plaisantez !
N'est-ce pas vous qui criez ?
Pensez-vous que c'est agréable d'entendre :
" Lundi, mardi, mercredi, jeudi "
Sans entendre citer la fin de la semaine ? "

Alors les elfes se fâchent tout de bon.
Les dix plus forts redescendent sous terre
Pour y chercher la bosse du vannier.
Ils viennent la déposer sur le dos du malheureux.
Maintenant, au lieu d'une bosse, il en a deux.
Au matin, des gens qui passent le découvrent plus mort que vif.
Ils le transportent chez lui.
Pendant tout le trajet, ils supplient les elfes et même Digitalin
De le libérer des poids qu'il porte sur son dos.
Mais ce qui est fait est fait.
(Contes celtes, Gründ)

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