L'arbre reconnaissant




École de St-Août

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L'arbre reconnaissant


Il était une fois, dans un village de pêcheurs,
Une pauvre veuve qui vivait avec sa fille unique.
Elles n'étaient venues au village que quelques années auparavant.
Lorsque le mari de la veuve, un marchand de la ville, vivait encore,
Toute la famille jouissait d'une vie heureuse dans l'abondance.
Mais, ne dit-on pas que le bonheur est fragile…

Un jour, le marchand tomba malade et il fut enterré avec de grands honneurs.
La veuve resta seule avec sa fille.
Peut-être n'entendait-elle rien aux affaires,
Peut-être aussi avait-elle de la malchance,
Quoi qu'il en soit, les clients se firent de plus en plus rares,
Mais les dettes par contre devinrent de plus en plus nombreuses
Jusqu'à ce que la veuve n'eût d'autres ressources que de vendre ce qui restait,
De payer les dettes et de quitter la ville.
Dans le village, elle vivait modestement
Et dédiait tout son amour à l'éducation de sa fille,
Qui, au fur et à mesure qu'elle grandissait,
Lui rendait de plein cœur tout l'amour
Et toute la sollicitude dont elle l'entourait.
La jeune fille avait un cœur bon et compatissant.
Elle était aimable et gentille avec tout le monde.
A la regarder, on devait l'aimer.
La veuve se réjouissait d'avoir une telle fille
Et, en la voyant s'occuper de sa mère, lui prendre son travail,
Balayer la cour et apporter l'eau,
Elle en oubliait tous ses soucis.
Mais la veuve était déjà vieille, l'argent se faisait de plus en plus rare
Et la petite Hanako décida de prendre du service pour l'aider.
Etant aimable et gentille, la jeune fille trouva bientôt une bonne place, dans la ville voisine.
Bien qu'il y eût un trajet d'une heure à faire pour se rendre à la ville,
Hanako ne voulut laisser sa vieille mère toute seule
Et, tous les matins à l'aube, elle ne partait pour ne rentrer qu'à la nuit tombée.

Chaque fois, elle rapportait, dans un baluchon,
La moitié de la nourriture qu'elle avait reçue en ville.

Le trajet était difficile, surtout en hiver
Ou lorsque soufflaient les tempêtes de l'automne,
Mais Hanako n'en avait garde.
Elle bondissait gaiement et son esprit ouvert s'imprégnait
De tout ce qu'elle voyait dans la forêt.
Hanako connaissait chaque nid d'oiseau et chaque fleur nouvellement éclose.
Mais son intérêt se portait particulièrement sur un grand châtaignier, à la ramure étalée,
Qui se trouvait à mi-chemin, entre la ville et le village.
Le tronc élancé était visible à une grande distance
Et Hanako le saluait de loin, car il lui indiquait
Qu'elle avait déjà fait la moitié de la route.
Mais bientôt elle s'attacha à l'arbre
Et elle prit l'agréable habitude de s'arrêter auprès de lui
- Indépendamment du temps, qu'il neige ou que brille le soleil -
Pour lui raconter ce qu'elle avait vu dans la journée,
Quelles étaient les nouveautés de la ville,
Que l'arbre, qui pourtant était bien plus grand que la petite Hanako,
Ne pouvait apercevoir, ou encore quelle fleur était éclose dans son petit jardin.
Le plus souvent, elle lui parlait de sa mère
Dont les jambes avaient maintenant du mal à la porter
Et dont elle aurait tant aimé faciliter la vie.
Et, en bavardant ainsi, elle caressait tendrement la vieille écorce fissurée du géant
Et enlevait les feuilles et les brindilles sèches
Que le vent avait amassées sur ses racines.

Pendant trois années, la petite Hanako bavarda ainsi
Jour après jour, avec l'arbre, et, avec le temps, elle oubliait totalement
Que c'était un être tout à fait différent d'elle-même.
L'arbre était devenu son seul et unique ami
A qui elle pouvait confier tout chagrin
Et avec lequel elle pouvait partager toutes ses joies.

Un soir, elle rentrait comme d'habitude, avec la nourriture pour sa mère.
Ce jour là, son service avait duré plus longtemps et elle se hâtait
Pour que sa mère ait le repas à temps et ne se fasse pas de soucis.
De loin elle scruta l'horizon pour voir l'arbre qui lui indiquait le milieu du trajet,
Même si cette fois elle n'avait pas le temps de bavarder avec lui.
Mais il lui était toujours possible de s'arrêter un instant
Et de caresser son écorce.
Ainsi regardait-elle loin devant elle, se réjouissant de la rencontre de son ami,
Sans s'apercevoir que les nuages noirs s'amoncelaient dans le ciel.
Lorsque tombèrent les premières gouttes,
Elle eut juste le temps de courir vers son arbre
Pour se protéger sous son feuillage épais.
La pluie battait de toutes ses forces contre le feuillage.
Hanako se serrait étroitement contre le tronc
Et écoutait le bruissement de l'eau.

Soudain, elle eut l'impression d'entendre, à travers le battement des gouttes de pluie,
Une petite voix qui disait : " Chère Hanako, il est temps pour nous de nous séparer.
Dans trois jours, les bûcherons du prince vont venir m'abattre.
On veut faire de mon tronc un bateau.
De nombreux artisans viendront dans votre village
Et tous travailleront à la confection de celui-ci.
Dans trois mois, le bateau doit quitter la cale sèche
Et l'intendant veut donner une grande fête à cette occasion.
Le prince en personne y participera.
Dans cette heure d'adieu, j'aimerais te remercier de ton amitié et de ta sollicitude.
Ton cœur pur m'a profondément ému.
Mais ce que j'estime plus encore
C'est l'abnégation avec laquelle tu prends soin de ta vieille mère.
Tu as vraiment mérité un sort meilleur
Et, puisque j'en ai le pouvoir, je veux t'aider à l'acquérir.
Ecoute bien ce que je vais te dire :
Lorsque l'intendant ordonnera la mise à l'eau du bateau,
Aucune force du monde ne pourra me déplacer.
Finalement, le prince promettra une forte récompense
A celui qui réussira à pousser le bateau sur les flots.
Mais cela ne servira à rien.
Ce n'est que lorsque toi, tu t'approcheras et murmureras :
" C'est moi Hanako, je suis venue vers toi "
Que le bateau glissera de lui seul dans l'eau.
Adieu, chère Hanako, et reste toujours aussi gentille et aussi bonne ! "

A peine l'arbre eut-il terminé que la pluie s'arrêta et que le ciel devint clair.
Hanako était tout étonnée.
" J'ai certainement rêvé ; un arbre ne sait pas parler
Même si c'est mon meilleur ami, " se dit-elle finalement,
Puis elle caressa tendrement le tronc,
Saisit son baluchon et courut chez elle.
Le soir suivant, elle s'arrêta de nouveau auprès de l'arbre.
" Imagine-toi, lui dit-elle hors d'haleine, qu'hier, j'ai fait un bien mauvais rêve.
J'ai rêvé qu'on devait t'abattre.
Mais ce n'était là qu'un rêve.
Je suis sûre et certaine qu'il ne t'arrivera rien.
Avec qui donc bavarderais-je ? "
Mais lorsque, le troisième jour, Hanako, rentrant chez elle,
Essaya de voir son ami de loin, sa large voûte avait disparu.
Effrayée, elle continua sa course,
Mais ce que l'arbre avait prédit était arrivé.
Là où le fier tronc s'était dressé,
Des bûcherons étaient en train d'arracher les dernières branches du géant abattu.
Tristement, Hanako caressa, pour la dernière fois, l'écorce,
Puis, lentement, elle retourna chez elle.
Ce soir-là, la maison ne retentit pas de chants joyeux.


Silencieuse Hanako, en servant sa mère,
Ne cessait de penser à son pauvre arbre.
Que le chemin allait lui paraître triste maintenant, sans son cher ami !

Tout ce que l'arbre avait prédit se réalisa.
Tout le village fut soudain rempli d'artisans, qui sciaient le tronc,
Le lissaient, en façonnaient des poutres, puis commencèrent
A construire un grand bateau, aux confins du village, directement sur la plage.
Trois mois précis s'étaient écoulés, lorsque, près de l'eau,
Se dressa un magnifique bateau sentant le bois et le soleil.
Puis vint le jour de la mise à flots.
Ce fut une véritable fête !
Une foule immense s'était rassemblée.
Chacun avait mis son meilleur vêtement.
Il y avait aussi beaucoup de marchands
Et un nombre incalculable de gâteaux de riz, de galettes,
De poissons frais et de mets de choix furent vendus.
Il y avait même des artistes qui avaient monté une scène dans la rivière à sec.
On n'attendait plus que le prince, qui, enfin, arriva entouré d'une impressionnante suite.
Tout le monde s'en fut à la plage et la foule était si serrée
Qu'un grain de riz aurait eu du mal à passer entre les personnes.

Mais qu'arrivait-il ?
Les ouvriers poussèrent le bateau de toutes leurs forces,
Les cordes se mirent à craquer.
Le bateau resta majestueusement immobile.
A quoi pourrait servir un bateau aussi magnifique,
S'il ne pouvait aller sur l'eau ?
L'intendant devint bleu de fureur.
Quelle honte, et ceci devant le prince !
Mais il avait beau crier, tempêter et inciter les ouvriers,
Rien n'y faisait ; le bateau ne bougeait pas d'un pouce.
Les spectateurs apportèrent leur aide, en vain.
Finalement, le prince fit annoncer qu'il accorderait une forte récompense
A celui qui briserait l'ensorcellement et mettrait le bateau à flots.
Beaucoup d'hommes, renommés dans le pays entier, pour leur force,
Répondirent à l'annonce, mais aussi des moines rusés et des charlatans roués.
Chacun essaya à sa façon, mais personne n'eut de succès.
Le bateau était sur la plage ; il sentait bon le bois et le soleil,
Mais personne ne pouvait le faire glisser sur l'eau.
La petite Hanako se tenait, parmi les habitants du village
Et, longtemps, elle réfléchit, en observant les événements,
Pour savoir si elle allait suivre le conseil donné par l'arbre.
Mais il y avait tant de personnes étrangères !
Et de nombreux hommes forts avaient déjà essayé leurs forces.
Tous les assistants se moqueraient certainement d'elle
Si elle, faible jeune fille, voulait se mesurer avec le grand bateau.
Et qui sait si, ce jour lointain, elle n'avait pas tout simplement rêvé ?


Mais en pensant aux paroles de son ami
Et en constatant que tout ce qu'il avait prédit s'était réalisé,
Elle finit par rassembler son courage,
S'avança dans l'espace vide devant le bateau,
S'inclina profondément et dit : " Si vous le permettez,
J'essaierai, à mon tour, de briser l'ensorcellement du bateau. "

Ce qu'elle avait craint arriva : tout le monde se moqua d'elle.
De nombreux hommes avaient déjà tenté leur chance,
Des hommes forts ou des moines rusés.
Et voilà que venait une faible fille,
Qui prétendait faire mieux que tous les autres.
" Rentre chez toi et fais attention à ce qu'il ne t'arrive rien.
Tu gênes seulement ici ! "
Mais ses voisins, qui se trouvaient parmi les spectateurs dirent :
" C'est la petite Hanako : laissez la donc essayer.
C'est une jeune fille bonne et gentillle
Et elle n'est pas bête non plus.
Qui sait, peut-être, ce sera justement elle qui réussira ! "
Finalement, l'intendant l'encouragea d'un signe,
Car il ne voulait négliger aucune possibilité.
Hanako, confuse, s'approcha du bateau, étendit la main et murmura tout bas :
" C'est moi la petite Hanako ! "
D'émotion, elle parlait si bas qu'aucune parole n'était compréhensible.
Tous les spectateurs suivaient attentivement les événements
Pour voir ce qui allait arriver.
Alors, Hanako se calma un peu, s'approcha davantage, caressa la lisse paroi du bateau
Et dit : " C'est moi Hanako, je suis venue vers toi ! "
A peine avait-elle prononcé ces paroles
Que le bateau se mit tout seul en mouvement et glissa doucement vers l'eau.
Alors la joie éclata.
Tous admirèrent la petite Hanako
Et le prince la fit appeler pour lui demander ce qu'elle désirait en récompense.
Hanako raconta au prince l'histoire de son amitié avec l'arbre
Et aussi comment celui-ci avait voulu l'aider, elle et sa vieille mère.
La jeune fille aimable et modeste plut au prince
Et il la récompensa si richement que, depuis ce temps,
Elle vécut heureuse et sans souci avec sa mère.
(Contes japonais, Gründ)

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