L'herbe miraculeuse





Gustav Klimt fleurs dans un jardin

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L'herbe miraculeuse


Il était une fois un paysan avare et méchant. Malheur à qui osait frapper à sa porte pour demander l'aumône. Il était chassé aussitôt et poursuivi par les chiens. Une grande misère survint dans le pays où vivait ce méchant homme. Les gens erraient dans la campagne comme des ombres, le ventre tenaillé par la faim. Tout le monde savait que les granges de l'avare étaient pleines, mais personne n'osait aller chez lui.

Et voilà qu'un jeune homme dit un jour : "Voisins, je vais y aller. Peut-être réussirai-je à lui amollir le cœur." Et il s'en alla. Lorsqu'il arriva près du jardin du paysan, il s'assit sous un arbre et se mit à contempler son feuillage. Le paysan, qui venait de terminer son repas, s'était levé de table et approché de la fenêtre. "Tiens, tiens," se dit-il, "que fait donc ce garnement ? Il prépare sûrement un mauvais coup !" et il sortit précipitamment et lança : "Eh ! Toi là-bas ! Qu'est-ce que tu complotes ? " Mais le garçon fit la sourde oreille tout en continuant de contempler les branches. Le fermier était curieux, il s'approcha et répéta : "Je te demande ce que tu regardes. Tu es sourd ? - Je cherche un nid dans cet arbre. J'ai vu passer hier l'oiseau de feu et, là où il fait son nid, se trouve toujours quelque trésor car il cache la plante miraculeuse. Ah ! Je le vois !" s'écria soudain le garçon d'une voix radieuse. "Hm, l'herbe miraculeuse," grommela le fermier. "Et à quoi sert-elle ta plante miraculeuse ? - Difficile à dire," répondit le garçon d'une voix évasive. "Parle," ordonna le fermier, qui brûlait de curiosité, "dis-moi ce qu'elle peut faire ta plante miraculeuse. - C'est une herbe qui surpasse toutes les autres," articula lentement le garçon, "elle ne fleurit qu'une fois, tous les mille ans et ne porte de fruit qu'une fois, tous les dix mille ans. Quant à une seule de ses brindilles, tu ne peux pas imaginer, fermier, le pouvoir qu'elle a ! - Raconte vite," souffla le fermier qui n'en pouvait plus de curiosité. "Tout d'abord," reprit le garçon, "si quelqu'un glisse une de ses brindilles dans ses cheveux, il devient invisible et peut donc faire tout ce qui lui plaît puisque personne ne le voit. Ensuite…" Mais il ne put en dire davantage.

"Déguerpis, allez, ouste, et que je ne te voie plus !" hurla le fermier. "A qui parlez-vous, fermier ?" demanda le garçon, "il n'y a personne ici ! - C'est à toi que je parle, à qui d'autre veux-tu que je m'adresse ? Disparais ! Cette herbe miraculeuse est à moi, elle est dans mon jardin. - Mais c'est moi qui l'ai trouvée, fermier," reprit le garçon, "et si je voulais, je la détruirais !" Et il fit mine de grimper sur l'arbre. "Attends, attends," ajouta précipitamment le fermier qui craignait de perdre une plante aussi rare. "Laisse-la moi, je te donnerai cinquante ducats. - Cinquante ducats ? Non, non, c'est trop peu fermier ! - Eh bien cent ! - Non, je ne la laisserai pas pour si peu," dit le garçon en secouant la tête. "Bon, je t'en donnerai deux cents ducats !" se hâta de conclure l'impatient fermier. "Non, fermier, d'ailleurs, je ne veux pas d'argent. Mais, en échange de cinquante sacs de blé, je vous la laisse." Le fermier hésita un instant. Mais cette plante extraordinaire ne valait-elle pas davantage ! Il accepta. Le garçon emporta tous les sacs sur la place du village et les partagea entre les villageois les plus pauvres. Pendant ce temps, le fermier fit descendre le nid du pommier et alla trouver sa femme. "O femme née sous une bonne étoile !" lui dit-il, dès son entrée, "devine ce qui m'est arrivé ? - Comment pourrais-je le savoir ?" répliqua sa femme. "Je suppose que tu as réussi à acquérir des terres de quelque pauvre bougre ! - Non, tu ne peux pas deviner !" coupa le fermier en se frottant les mains. "Alors tu as encore trouvé une autre femme," ajouta-t-elle, l'air rembruni. "Taratata, quelle drôle d'idée ! Imagine-toi que j'ai trouvé la plante miraculeuse! - Et elle sert à quoi ta plante miraculeuse ?" coupa sa femme. "O femme inconsciente ! N'as-tu donc jamais entendu parler de la plante miraculeuse ? Celui qui la possède devient immensément riche ! - Et c'est donc ça ?" continua sa femme en désignant d'une mine incrédule le paquet d'herbes sèches, dont le nid était fait.

"Ce sera, femme, la brindille ou le brin d'herbe qui rend invisible. Fais bien attention, je vais me les poser une à une dans les cheveux et tu me diras si tu me vois encore ou bien non. Eh bien, me vois-tu ?" demanda le fermier en posant sur sa tête la première brindille sèche. "Je te vois," répondit la femme. "Et maintenant ? - Je te vois. - Et maintenant ? - Je te vois." Et il posa et reposa chaque brindille dans ses cheveux en questionnant sa femme, si bien qu'à la fin, excédée et fatiguée, elle lui cria : "Je ne vois rien, et laisse-moi la paix maintenant !" et s'en alla.

"Elle ne voit rien, elle ne voit rien ! Je suis devenu invisible !" s'exclama le fermier, fou de joie. Et il sortit précipitamment et se dirigea vers la ville. Il avait une faim de loup quand il y parvint. Une bonne odeur de beignets flottait dans l'air et le fermier aperçut la boutique d'où venait ce parfum. Il s'en approcha, saisit deux beignets qu'il se fourra aussitôt dans la bouche et il s'éloigna en courant. Le vendeur, qui, par hasard, connaissait le fermier, pensa qu'il était pressé et n'avait pas pris le temps de payer. "Il me paiera au retour," se dit-il et il le laissa s'éloigner tranquillement. "La plante miraculeuse agit," songeait non sans joie le fermier. "Il ne m'a pas vu !" et cet incident lui donna tant d'audace qu'il entra, du même coup, dans une boutique dont le propriétaire était en train de compter sa recette. Le fermier ne put résister à la vue de tant de pièces accumulées, il tendit la main pour s'en saisir mais, au même moment, une voix s'écria : "Au voleur ! Attrapez-le !" et les coups commencèrent à pleuvoir de tous les côtés à la fois.

Et ce fut à peine si le fermier put s'en tirer vivant et rentrer chez lui.
(Contes chinois, éd. Gründ)

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Analyse de l'herbe miraculeuse