La clochette argentée




Patan, en Inde, l'ancienne capitale des rois Malla

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La clochette argentée


Dans une petite ville, près de la mer,
Vivait une fois, dans un temple, un bon vieux moine.
Il aimait, par-dessus tout, s'asseoir sur sa véranda et contempler les flots.
Et, pour ne pas se sentir trop seul, il avait monté, sur le toit,
Au-dessus de la véranda, une clochette argentée.
Celle-ci était accrochée à une large bande de papier,
Qui comportait, écrit dessus, un merveilleux poème.
Et dès que le vent soufflait, ne serait-ce qu'un petit peu
- Et, au bord de la mer, il y a toujours de l'air -
Le papier se balançait et la clochette argentée tintait agréablement.
Le vieux moine était assis sur la véranda, contemplait la mer,
Ecoutait le son cristallin de la clochette argentée
Et souriait de contentement.

Dans la même ville, vivait l'apothicaire Mohei.
Depuis fort lontemps, il était poursuivi par la malchance.
Rien de ce qu'il entreprenait ne réussissait
Et il était devenu si triste qu'il ne savait plus que faire.
Dans son chagrin, il se mit, un jour, en route
Pour rendre visite au vieux moine et lui demander conseil.
Lorsqu'il vit le moine assis, plein de satisfaction, sur sa véranda,
Et qu'il entendit le son doux de la clochette argentée,
Il se rendit compte d'un coup qu'il serait lui-même plus gai
S'il pouvait être assis à son tour sur sa véranda et écouter la clochette.
Il réfléchit un bon moment,
Puis il pria le moine de lui prêter la clochette, ne serait-ce que pour un jour.
" Pourquoi ne te la prêterais-je pas, dit le moine aimablement.
Mais n'oublie pas de me la rapporter, dès demain matin,
Car, sans la clochette, je serais très triste. "
Mohei remercia respectueusement le moine
Et lui promit de rapporter la clochette sans faute le lendemain.
Puis il rentra chez lui et accrocha la clochette au-dessus de sa véranda.
La clochette se mit à tinter et le cœur de Mohei devint léger, léger.
Le monde lui parut soudain si beau qu'il se mit à danser.
Le lendemain, le moine était de fort mauvaise humeur, dès l'aube.
Il ne cessait de sortir sur le chemin, devant le temple,
Pour voir si l'apothicaire arrivait.
Mais Mohei ne venait pas.
Une heure se passa ainsi, puis une deuxième,
Et, comme, à midi, l'apothicaire n'était toujours pas revenu avec la clochette,
Le moine appela son disciple Taro et lui ordonna :
" Cours vite en ville chez l'apothicaire Mohei.
Il a emprunté hier ma clochette argentée et devait la rapporter ce matin.
Rappelle-lui et dis-lui que j'attends avec impatience. "
Taro courut chez l'apothicaire,
Mais, à peine arrivé dans le jardin de celui-ci, il s'arrêta, étonné.
Il entendait le joyeux tintement de la clochette
Et voyait l'apothicaire qui dansait dans le jardin
En faisant virevolter ses manches et les pans de sa robe.
Taro ne savait comment s'adresser à l'apothicaire.
Et, soudain, il devint si joyeux à son tour qu'il se mit à danser.

Une heure se passa, puis une deuxième.
L'apothicaire n'était pas encore venu et Taro ne rentrait pas non plus.
Le vieux moine secoua la tête de dépit et, comme il devenait de plus en plus triste,
Il appela son deuxième disciple, Djiro, et lui ordonna :
" Cours vite chez l'apothicaire Mohei
Et dis-lui de me rapporter ma clochette argentée.
Et si, en route, tu rencontres Taro,
Dis-lui qu'il devrait avoir honte d'obéir aussi mal à son maître. "
Djiro courut aussi vite que ses jambes le lui permettaient.
Pénétrant dans le jardin de l'apothicaire,
Il entendit un tintement joyeux et il vit, à son grand étonnement,
L'apothicaire et Taro, qui dansaient dans le jardin.
Et, avant qu'il ait pu décider s'il fallait d'abord gronder Taro de son oubli
Ou rappeler à l'apothicaire de rendre la clochette,
Il tournait, à son tour, au rythme de la danse, en oubliant le monde.

Une autre heure avait passé, puis une deuxième.
Le soleil s'abaissait sur l'horizon .
Mais ni l'apothicaire, ni l'un des deux disciples n'apparaissaient.
Le vieux moine ne pouvait s'expliquer ce fait.
Subitement, il devint plus triste qu'il ne l'avait jamais été.
Finalement, il n'y tint plus, chaussa ses sandales
Et se rendit personnellement à la maison de l'apothicaire.
Avant même de pénétrer dans le jardin,
Il entendit le doux tintement de la clochette bien-aimée et des rires joyeux.
En entrant, il aperçut l'apothicaire et ses deux disciples,
Qui se tenaient par la main.
Ils dansaient vers la gauche, puis vers la droite,
Et un sourire béat illuminait leurs visages.
Le moine secoua la tête
Et ne savait comment s'expliquer ce phénomène.
Mais cela ne dura pas longtemps.
Soudain, sa tristesse s'enfuit,
Ses pieds commencèrent à se mouvoir tout seuls,
Le moine sourit à l'apothicaire,
Tendit une main à Taro et une autre à Djiro,
Puis ils continuèrent à danser tous les quatre.


Et quelle en est la suite ?
Eh bien, si nous voulions le savoir,
Il faudrait envoyer quelqu'un dans le jardin de l'apothicaire.
Mais il n'est pas certain qu'il reviendrait.
Car, dès qu'il entendra le son joyeux de la clochette
Et qu'il verra les quatre personnes danser dans le jardin,
Il oubliera tout et se joindra à elles.
Et il nous faudrait alors envoyer un deuxième,
Puis un troisième, et encore un quatrième…
Finalement, il ne resterait pas d'autre solution que d'y aller nous-mêmes,
Et nous nous mettrions à danser à notre tour.
Et cela n'est pas possible.
Il n'est pas possible que tous les hommes se mettent à danser.
Donc, nous n'envoyons personne chez l'apothicaire
Et, maintenant, nous allons bien sagement nous coucher.
(Contes japonais, éd. Gründ)

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Analyse de la clochette argentée