La force de la prostituée




Prostituée vêtue de pourpre assise sur

la bête écarlate à sept têtes et dix cornes
Manuscrit de l’Apocalypse du Beatus France, fin du XIIe siècle Paris, Bibliothèque nationale de France © BNF

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La force de la prostituée

On raconte l'immense étonnement qui frappa le grand roi Asoka,
Quand il vit une femme, par un simple geste, faire remonter le Gange vers sa source.
Etonnement qui ne connu aucune limite quand on lui apprit
Que cette femme, déjà âgée, était une putain bien connue de la ville de Pataliputra.

Il la convoqua, il lui parla longuement,
Au milieu du bruissement des voix de tous les sages de la Cour,
Qui commentaient cet événement considérable.
Les uns citaient des textes sacrés, d'autres cherchaient d'autres exemples,
Certains mettaient en doute la réalité du prodige et parlaient d'hallucination.

La vieille putain de Paliputra reconnut la réalité des faits.
Oui, dit-elle, je suis capable de faire un acte de vérité quand je le désire.
J'ai un pouvoir sur les choses.
Je peux arracher des arbres et les faire tourner dans l'air,
Je peux renverser les montagnes et jeter les habitants sens dessus dessous.

S'adressant au roi, une main tendue, elle dit encore :

- Je peux même t'enlever de ton trône,
Te lancer dans les airs, te précipiter dans les abîmes.

Le roi, agité de frissons, dit à la prostituée :

- Mais d'où vient ce pouvoir ?
Qu'est-ce qui te permet de faire de tels actes de vérité ?
- J'ai connu beaucoup d'hommes, répondit la putain de Paliputra,
Des soldats, des paysans, des mendiants, des voleurs et même des princes.
Mais je n'ai fait aucune différence entre eux.
Je n'ai privilégié ni méprisé personne.
A tous, malgré leurs conditions très différentes,
J'ai accordé les mêmes faveurs.
Je n'ai jamais manifesté ni servilité, ni dédain.
Voici le secret de mon pouvoir.

Elle abaissa la main qu'elle tendait vers Asoka, et elle se retira.
Les sages se taisaient sur son passage, accroupis sur le sol,
Et le roi Asoka, qui passait pour le meilleur des rois,
Pensait au long chemin qu'il restait à parcourir.
(Conte de l'Inde, Le cercle des menteurs, Jean-Claude Carrière, éd.Plon)

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