Claude Monet
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La lecture et le paradis
Un jeune homme voyait un vieil homme consacrer toutes les heures de sa vie à
la lecture. Il lisait sans arrêt, le jour et la nuit, et, quand on lui
demandait la raison de cette persévérance, il répondait
: "Je lis pour parvenir, un jour, au paradis."
Des années plus tard, alors que le vieil homme était mort, le
jeune homme, lui-même devenu mûr, se lança dans un grand
voyage à la recherche de la vérité. Comme il est d'usage
dans ces sortes de voyages, il traversa des peines extrêmes, des contrées
stériles et épineuses. Il rencontra des voleurs de multiples espèces
(et même ceux qu'on appelle les voleurs de cœurs), des monstres,
des précipices, des énigmes et des tentations.
Si fort était son désir de vérité qu'il put franchir
tous les obstacles et parvenir enfin tout au sommet d'une montagne, dans une
grotte où la révélation suprême l'attendait.
Il entra et, non sans quelque surprise, il trouva dans cette grotte le vieil
homme, dont la réputation terrestre, entre-temps, avait atteint le degré
même de la sainteté.
Or, dans cette grotte, le vieil homme était toujours en train de lire.
L'autre s'approcha respectueusement et lui demanda : "C'est donc ici le
paradis ? - C'est ici. - Et tu continues à lire ? - Je continue. - Tu
as donc passé toute ton existence terrestre à lire pour parvenir
au paradis et, ton vœu accompli, tu continues à lire ? - Comme tu
vois. - Tu ne lisais donc que pour lire ? - Oui, dit alors le vieil homme. Mais
ici, je comprends ce que je lis."
(Conte juif, Jean-Claude Carrière, Le cercle des menteurs, éd.
Plon)