La mère Cottivet, les premières amours de Virginie





La mère Cottivet

http://lesautrefois.blog50.com/archive/2010/05/11/la-mere-cottivaux.html

 

La mère Cottivet, les premières amours de Virginie


Ma fi tant pis ! J'y tiens plus, ma langue me démange… Je vas vous raconter sur le pouce l'histoire de mes premières amours légitimes et matrimonieuses… Quand j'y pense !... Tout de même !... Ce qu'est que de nous !... On a ben raison de dire que nos destinées, c'est comme les faux chignons, ça tient que par des épingles ! Tout d'un coup elles vous lâchent et vous êtes déchignonnée !... Moi, je peux ben vous y dire, je pensais pas plus aux hommes qu'au grand Truc, vu que j'ai jamais été portée su le dévergondage… Aussi mon mariage s'est fait tout drôlement… C'est mêmement mes avarices avancées aux mollets, qui pissent d'eau tout le temps, mes oignons et mes cors aux pieds qui en sont les causes. Maginez-vous qu'un matin… Non !... C'était le soir… Attendez donc… Était-ce bien le soir ?... Non ! non, vous avez raison, c'était bien le matin su le coup de huit heures ; j'étais descendue à Lyon pour aller prendre des nouvelles de la Garite, mon ancienne voisine qu'était venue demeurer en rue Port du Temple et que relevait de maladie… Oh ! manière de dire ! C'était pas une maladie de contagion. Elle s'était fait tomber sa grande coquelle su le pied de gauche, ça lui avait tout marpaillé le gros z'arpion… ça la faisait marcher comme une sauterelle. Vous l'avez bien connue la Garite, quan elle était chanteuse à Saint-Just dans le temps. Vous savez ben … c'te grande maigre qu'avait le trembleau depuis une frayeur qu'elle avait eue toute gamine… Elle a sa tête que cigogne et que saute comme une machine à coudre !... on dirait toujours qu'elle fait signe que " non ". Surtout quan elle a sa capote qu'a une aigrette de jais. C'est p't'être bien à cause de son " non " ! qu'elle s'est jamais mariée. Pour vous en reveni ; en sortant de chez la Garite, je me dis " Pisque t'es en ville, y faut n'en profiter pour faire ton marché, te paiera des fois quêques sous de moins qu'en haut ! " - J'enfile la rue Mercière pour avoir un pain long ; en rue Grenette, j'achète un bouilli avec un os à miaule par dessure le marché : je passe quai Saint-Antoine, j'achète deux kilos de truffes, un paquet de raves, des pieds de céleri, des racines jaunes, des poireaux, du moue pour mes chats, une queue de morue à dessaler, un kilo de pruneaux bâtards pour me relâcher et une livre de croquets qu'avions fait la montre. Mon cabas était plein, je l'avais pendu à mon bras ; je tenais mon pain long d'une main, mon en-tout-cas de l'autre et je retroussais ma robe avec ce qui me restait de libre. Nen pouvant plus, je m'étais agrognée sur un banc, à seule fin de me délasser avant que de remonter le Chemin Neuf, vu qu'à l'époque je restais place des Minimes… fran su le derrière du cordonnier… Vous savez ben, le père Bessac, ce petit vieux de 93 ans, si vigoret, que faisait la cour aux dames. C'était le propriétaire. J'aurais voulu une chambre avec une croisée en rue des Farges, pour voir monter et descendre les commis que travaillent à Lyon ; mais comme y avait rien de libre, le père Bessac m'avait loué son derrière à 16 francs par mois. Pour vos en reveni, je m'étais donc agrognée su un banc…Oh ! si ça avait été la tombée de la nuit, je me serais pas en rien assise quai Saint-Antoine…. On m'aurait ben prise pour une créature putréfiante et une femme à crochets !... Maintenant, c'est un vrai escandale nos quais de Saône et de Rhône… C'est plein de poutrônes assises su les bancs ou campe contre les parapets, que se relichent le museau avec des hommes… et les trois quarts du temps c'est des moutardes qu'on leur z'y donnerait le fouet… avec des gamins, des blancs-becs de dix-sept ans… qu'on leur z'attraprait le nez y n'en sortirait du lait !... des petits morveux qu'ont pas rien tant de moustaches que moi !... ça fait regret. Bref !... y avait pas cinq minutes que j'étais su ce banc, voilà un homme que vient s'asseoir à côté de moi… Y avait pas de mal ! C'était son droit, faut le reconnaître… le banc n'était pas loué… J'regardais c't homme sans faire semblant de rien, tout en ayant l'air d'arregarder en Saône : et je me pensais : " Voilà un homme qui m'est sympathique… une homme convenable, rassi… raisonnable, qu'a l'air d'être bien de chez lui… et que ne doit pas être capable d'abuser de mon innocence… " vu que, dans ce temps, j'étais encore toute jeunette… j'avais que quarante-huit ans. Je me joins et je joins mon cabas pour lui laisser une place plus espacieuse… Voilà une homme que se met à me parler… Oh ! que les hommes sont entrepreneurs tout de même ! " Vous gêne-je, Madame ? " Alorsse moi je me suis rebifée : " Monsieur, vous pourriez ben me dire Mademoiselle… est-ce que j'ai l'air d'une demoiselle mariée ?...Vous saurez que je suis une vierge que n'a jamais fréquenté, souffre vot'respect… même qu'un jour mon cousin remué de germain voulait m'embrasser… je me suis tournée var le mur si vitement qu'y n'a pas pu m'attrapper et que ça lui a fait tout racler son nez contre. En conséquence et par conséquent, je n'ai pas besoin qu'on m'appelle Madame ! " Vous fâchez pas, belle Napolitaine ! Quand on ne sait pas, on ne peut pas savoir… et je n'ai jamais eu l'intention de vous mistifriser. Comment vous appelez-vous de vot'petit nom, ma petite Loulette ? Virginie, que je lui réponds. Virginie !... Oh ! que j'aime ce nom-là ! y sent le jasmin… Le jasmin de Virginie que ne sent rien du tout !... Pour quant à moi, je m'appelle Ugène, pour vous servir, ma belle enfant !... Mais, je vous en prie, ne restez pas comme ça assise su ce banc Commentaire n°75 posté par Benoist-Mary, la mère Cottivet le 24/11/2010 à 20h15 Suite Pour quant à moi, je m'appelle Ugène, pour vous servir, ma belle enfant !... Mais, je vous en prie, ne restez pas comme ça assise su ce banc de pierre, vous pourriez attrapper un rhûme de cerveau ! Faites-moi plutôt l'honneur d'avoir l'avantage de vous laisser mener jusqu'au Pied-Humide, c'est à deux pas… et d'accepter que je vous offrisse un aparitif que vous facilitera vot'digestion. Donnez-moi vot'cabas, ça vous soulagera le bras. " Moi, je pouvais pas moins faire que de me laisser faire, et nous sommes allés nous asseoir tous les deusses derrière la buvette du Pont du Palais, su un banc qu'était contre le parapet. Alorsse y m'a payé un bon petit verre de crème de menthe et d'eau de noix pendant qu'il avalait ses trois litres de vin à quarante-six sous. Et puis, y s'est mis à me poser un tas de questions su mon âge, su ma santé, su mon méquier, combien j'avais de meubles… et céleri et scélérat… y parlait tant et si tellement, que je n'en étais toute abasourdie et n'en prenais le vertige. Si bien que de fils en anguille, de charipe en syllabe, je lui ai dit que j'avais un lit de bois, une garde-robe, une table à rallonges, six chaises rembourrées, quat'paires de draps, une batterie de cuisine, un sautoir en doublé, deux obligations Lombardes et trois chats. Alorsse y m'a pris ma taille en me disant : " Oh ! mon bel Hortensia… Si mon cœur vous a tapé dans l'œil soyez mon épouse ! " Et y s'est levé brusquement pour mettre la main en mon cœur. Je m'attendais pas à ce coup de temps ! Je m'étais assis su le fin bout du banc par convenance, le banc a fait trabuchet, j'ai tombé le derrière par terre, le banc m'est revenu sur le nez qu'a renvoyé ma tête roquer contre la cadette du pont… et j'ai perdu connaissance. Quand je suis revenue t'à moi, j'étais dans ses bras… Y me faisait reprendre les sens en me frottant le nez avec une gousse d'ail. Et voilà comment qu'on s'est mariés, moi et mon homme !...Mais ma lune de miel n'a pas été une grosse lune, elle m'a vite ensauvée au dernier quarquier. Ça n'a pas duré… D'abord, il a commencé par jeter mes trois chats en Saône. J'ai pas dit grand'chose, je pensais que du moment qu'y me privait de mes bêtes, c'est qu'il avait l'intention de les remplacer par son assiduité et son amour. Pourvu qu'y me fasse pas de z'infidélités… Y se sait joli garçon !... Enfin quoi. C'est comme ça. Faut rien regretter. Ce qui est fait est fait… C'est ben souvent dans la vie qu'on croit de bien faire… et qu'après on s'aperçoit qu'on a fait à côté. (Benoist-Mary, " Contes lyonnais des autrefois ", éditions lyonnaises d'art et d'histoire.)

Télécharger le texte

 

Analyse en attente de La mère Cottivet