La perle phosphorescente




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L’Or et les pierres semi-précieuses

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La perle phosphorescente


Le roi des Dragons vivait, il y a bien longtemps,
Bien loin d'ici, dans la Mer Orientale.
Il y avait une fille très belle et avisée.
Il n'en avait toujours tiré que joie et satisfaction,
Mais voilà qu'elle allait sur ses dix-huit ans,
Et elle commençait à donner du souci à son père.
Le roi des Dragons voulait donner un époux à sa fille,
Mais elle s'était mis dans la tête de ne pas se marier.
L'un était trop maigre, des fiancés qu'on lui proposait,
L'autre trop gros, le troisième trop bête, et ainsi de suite.

Un jour, le roi, qui en avait par-dessus la tête de ces refus, dit à sa fille :
" Ma chérie, dis-moi enfin quel genre d'homme tu veux pour époux ?
- Je ne veux ni un riche ni un fonctionnaire,
Ce que je veux, c'est un garçon honnête et courageux, "
Répondit la jouvencelle, en rougissant quelque peu.

Alors le roi des Dragons recommanda à ses conseillers
De se mettre en quête d'un fiancé tel que le souhaitait sa fille.
Le général Crabe se présenta mais ne convint pas à la fille.
Le ministre Grenouille vint lui proposer quelqu'un,
Mais la princesse ne faisait que hocher la tête en signe de refus,
Jusqu'à ce qu'enfin le général Homard vint tout glorieux annoncer
Qu'il avait trouvé le fiancé idéal : un orphelin, nommé A-eul,
Qui habite non loin, dans le golfe, pauvre certes,
Mais avec un cœur d'or et ne craignant rien au monde.

Un tel fiancé n'était pas pour plaire outre mesure au roi des Dragons.
Il fit venir sa fille et lui dit : " Mon enfant, à dire vrai,
Ce fiancé-là ne me convient guère.
Qui sait ce qu'il en est au juste de son fameux courage ?
Et qui plus est, il n'est pas de sang royal et ne sied pas à notre famille. "
Mais la fille, elle, s'était mis en tête que c'était ce fiancé-là qu'elle voulait.
Elle s'enfuit dans sa chambre, refusant d'en sortir
Et se mit à se plaindre et à pleurer tant de larmes
Que le niveau de la mer en montait.
Le père Dragon ne savait à quel saint se vouer.
Il fit venir ses conseillers les plus fidèles et s'entretint longuement avec eux.
Enfin le général Homard eut une idée.
Cette nuit-là A-eul, qui vivait non loin, juste dans le creux du golfe fit un rêve.
Il vit apparaître un vieillard aux cheveux blancs, qui lui dit :
" A-eul, va vite au bord du fleuve, ta fiancée t'y attend. "

A-eul se réveilla du coup, et fit aussitôt part de son rêve à son frère,
Qui partageait sa couche.
Mais ce frère aîné était de caractère jaloux.
Il rabattit vite l'enthousiasme du puîné.
" Qu'est-ce que tu crois ? Comme si une fiancée pouvait t'attendre !
Qui voudrait de toi comme fiancé, pauvre comme tu es ?
Dors, tu feras mieux. "
A-eul se rendormit et son frère en profita pour se lever sans bruit
Et se rendre bien vite au bord du fleuve.
Mais A-eul s'était réveillé et avait senti la place vide à son côté.
Il se rappelle alors sa vision et, pour en avoir le cœur net,
Il s'élance lui aussi vers le fleuve.
Son frère était parti le premier, mais il fut si rapide
Que les deux jeunes gens arrivèrent en même temps sur la berge.

L'eau du fleuve était calme et semblait dormir.
Sa surface irradiait une lueur argentée qui se répandait au loin.
Très haut, dans le ciel, était suspendue la lune,
Toute ronde brillante comme une pièce d'or.
Dans les vaguelettes murmurantes qui venaient frôler la rive,
Une belle jeune fille se baignait
Et ses longs cheveux flottaient au gré des flots berceurs.
" Belle demoiselle, veux-tu me prendre pour époux ?
Lui demanda hardiment A-eul.
- Non pas lui, prends-moi plutôt, s'écria vite le frère aîné.
- Je prendrai celui qui me rapportera la perle phosphorescente,
Déclara la jeune fille.
Elle est cachée au palais de mon père, le puissant roi des Dragons.
Je vais vous donner à chacun une épingle,
Qui vous permettra d'apaiser les flots houleux de la mer, leur dit-elle. "
Et, ce disant, elle retira de sa chevelure deux épingles d'argent.
Puis, elle en offrit une à chacun des deux frères
Et disparut en plongeant dans l'eau du fleuve.

Les deux frères s'inclinèrent ensemble devant l'endroit
Où la princesse des Dragons avait disparu
Et se mirent en route sur l'heure.
L'aîné emprunta à son voisin un cheval rapide
Et se dirigea au galop vers la Mer Orientale.
A-eul coiffa son chapeau de paille, chaussa ses sandales de teille
Et se mit en marche, au long du fleuve, vers l'Orient.
Il y avait une longue route jusqu'à la Mer Orientale du roi des Dragons,
Une route difficile, pleine d'embûches terrifiantes.
Bien des jours s'étaient écoulés à galoper,
Quand l'aîné déboucha sur un village entièrement envahi par les eaux.
Toutes les maisons y baignaient et les gens devaient se déplacer en barque.
Le cavalier demanda ce qui s'était passé et on lui répondit :
" Il y a une dizaine de jours que les grosses pluies ont fait sortir le fleuve de son lit.
Mais, maintenant, malgré le beau temps, il ne veut plus y rentrer.
Au contraire, l'eau ne fait que monter.
Elle atteindra bientôt nos toits.
Quelle misère !
Il paraît qu'il y a un moyen de faire rentrer le fleuve dans son lit,
C'est de le battre avec la verge d'or, qui se trouve au palais du roi des Dragons.
- C'est justement là que je me rends, répondit tout fier le frère aîné.
Je vous la rapporterai, cette verge d'or. "

A-eul, lui, qui était à pied, arriva, un peu plus tard, à ce même village inondé.
En apprenant le désastre qui frappait cette malheureuse population,
Il promit, lui aussi, de rapporter la verge d'or du palais du roi des dragons,
Si, par chance, il pouvait se la procurer.
Puis il reprit sa route et arriva enfin au bord de la Mer Orientale.
Mais que voit-il ?
Son frère, qui pourtant avait tant d'avance sur lui, restait là, figé,
A regarder l'eau mugissante, les vagues qui déferlaient comme pleines de colère.
" N'aie pas peur, " dit A-eul à son frère,
Et il lança avec force, dans l'eau bouillonnante,
L'épingle qu'il avait reçue de la princesse.
Dès l'instant où l'épingle eut touché la première vague,
L'eau se calma par enchantement et un chemin s'ouvrit dans la mer,
Pour permettre aux deux frères de pénétrer dans le Royaume des Eaux.
Au palais, ils furent accueillis par le roi des Dragons, en personne.

Les deux frères lui présentèrent poliment leur requête :
Ils désiraient emporter la perle phosphorescente,
Pour conquérir la main de sa fille.
" Je sais ce qui vous amène, leur dit le roi,
Et je vais accomplir votre souhait.
Seulement, je vous avertis, qu'en ce Royaume des Eaux,
La loi ne permet à un mortel de n'emporter qu'un seul objet, un seul trésor.
Choisissez donc bien ! "

Après avoir ainsi parlé, le roi les conduisit dans sa chambre aux trésors.
Quand il leur en eut ouvert la porte,
Les deux frères retinrent leur souffle d'admiration.
Les murs étaient tout incrustés de pierres précieuses, le sol pavé de jade.
Partout où se posait le regard, ce n'étaient que mille feux de diamants, d'or et de perles.
Au centre de tout ce luxe, un feu surpassait tous les autres :
Celui de la perle la plus rare, la perle qui brille dans la nuit,
La perle phosphorescente !

A-eul la contempla cette merveille, qui aurait pu lui valoir
La main de la belle et séduisante princesse.
Mais cette perle, il ne pouvait, hélas, la prendre !
Au village inondé, les gens l'attendaient, pleins d'espoir et de confiance,
Les gens auxquels il avait promis, s'il le pouvait,
De leur rapporter la verge d'or qui devait faire rentrer le fleuve dans son lit.
Sans hésiter davantage, c'est vers la verge qu'il se dirigea,
En demandant poliment au roi :
" Si Votre Majesté le permet, je prendrai cette baguette d'or. "
Au même moment, le frère aîné se jetait sur la perle phosphorescente,
S'en saisissait et, pour rien au monde, il ne l'eût lâchée !
" Emportez chacun votre trésor, peut-être vous apportera-t-il le bonheur ! "
Dit le roi des Dragons, avec un étrange sourire.
Là-dessus, les deux frères sortirent ensemble du palais.
Lorsqu'ils eurent atteint la rive, l'aîné sauta en selle
Et reprit au galop le chemin du retour.
Il arriva bientôt au village inondé,
Où il fut aussitôt entouré par les malheureux habitants.
" La verge d'or, criaient-ils, avez-vous apporté la verge d'or ?
- Non, le roi des Dragons n'a pas voulu que je l'emporte, "
Répondit le jeune homme, qui incita son cheval à poursuivre sa route.

Pendant ce temps-là, A-eul arrivait à pied.
Il lui fallait marcher des jours et des nuits.
Mais, enfin, un beau matin, il atteignit le village
Où l'eau montait de plus en plus.
" Mes amis, cria-t-il de loin, je vous apporte la verge d'or,
La bienheureuse verge d'or que m'a donnée le roi des Dragons ! "
Ce disant, il se penchait sur l'eau,
Qu'il se mit en demeure de fouetter avec sa verge d'or.
Et,- miracle des miracles ! -
L'eau se mit aussitôt à reculer, à descendre vers son lit,
Où elle reprit paisiblement son cours d'antan.
La reconnaissance de la population ne connaissait pas de borne.
" Comment pourrons-nous jamais vous rendre un tel service,
O notre jeune ami et protecteur ? "
Ils avaient les larmes aux yeux d'être dans un tel dénuement
Qu'après l'inondation aucun d'eux n'avait le moindre cadeau à offrir au jeune homme.
Mais l'un d'eux aperçut un gros coquillage, dans la vase laissée par le fleuve.
Il l'ouvrit et découvrit une perle noire, toute sale, mais enfin une perle.

" Jeune homme, nous n'avons rien de convenable à vous offrir,
Mais, nous vous en prions, emportez cette perle en souvenir de nous. "
A-eul reçut la perle avec des remerciements et reprit sa marche,
Tout en se disant que ce n'était pas une pauvre perle comme celle qu'il rapportait
Que désirait la princesse.
Malgré tout, le sentiment d'avoir accompli une bonne action
Lui réchauffait le cœur et le consolait.

Entre-temps, l'aîné était arrivé au golfe, où il avait trouvé la princesse.
S'inclinant profondément devant elle, il lui dit :
" Princesse, je te rapporte la perle phosphorescente.
Je te prie donc de devenir ma femme. "
Reviens ce soir, répondit la princesse, seule la nuit peut décider
Si c'est bien la perle phosphorescente que tu apportes ou une perle ordinaire. "
A la nuit tombée, le frère aîné revint au bord du golfe avec son trésor.
Mais, ô stupeur ! la perle brillante, la perle à l'orient lumineux,
La perle n'émettait pas le moindre rayon, dans la nuit.
" Ce n'est pas la vraie perle que tu as apportée, déclara tristement la princesse.
- Mais c'est impossible, dit le frère aîné, en se fâchant. "
Il reprit la perle de la main de la princesse, pour mieux voir,
Et, du coup, la perle éclata.
Sur la paume du jeune homme, il n'y avait plus qu'une goutte d'eau.

Quelques jours plus tard, A-eul, à son tour, arriva, au bord du golfe.
Il dit à la princesse : " Je te prie de ne pas m'en vouloir, ô Princesse !
Mais je n'ai pas pu te rapporter la perle du palais royal.
- Et que portes-tu dans ton foulard noué en coin ? demanda la princesse, curieuse.
- Pas grand-chose, Princesse !
Ce n'est qu'une perle tout ordinaire, que m'ont offerte de braves gens, en cours de route.
- Donne-la moi, " dit la princesse, qui lui prit la perle
Et la posa délicatement sur la paume, qu'elle lui avait fait présenter.
A-eul ouvrit alors les yeux, comme des roues de char.
Oui, c'était la fameuse perle, la perle qui illumine la nuit,
La perle phosphorescente !
On eût dit que la lune était venue se poser sur sa main.
Des rayons lumineux s'en dégageaient,
Et allaient se perdre dans le lointain, faisant luire toute la surface du golfe.

La princesse des Dragons prit alors la perle
Et la lança haut, bien haut dans les airs.
A-eul regarde ce qui se passe, il est tout éberlué, il n'en croit pas ses yeux.
Car par-dessus leur tête, un palais enchanté s'est dressé dans les airs,
Au faîte duquel scintille la perle éblouissante, qui semble leur indiquer le chemin.
La Princesse prit A-eul par la main, en lui disant d'une voix suave :
" Vois là-haut, c'est ton cœur bon et courageux qui resplendit ! "
Et elle l'emmena, avec elle, dans son palais aérien.
(Contes chinois, Gründ)

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