La prophétie de Neferty et la venue d'un roi sauveur

(mythe égyptien)




Neferty

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La prophétie de Neferty et la venue d'un roi sauveur (mythe égyptien)

Il semble que l'on soit en face d'une prophétie post eventum pour asseoir l'autorité d'un nouveau pharaon.


Il arriva, alors que la Majesté du roi de Haute et Basse Egypte, Snefrou, Juste-de-voix, exerçait une royauté bienfaisante dans ce pays tout entier, il arriva, un jour, que les hauts fonctionnaires de la Résidence royale pénétrèrent dans la Grande Maison Vie-Santé-Force pour saluer le souverain ; puis ils ressortirent après l'avoir salué selon leur coutume de chaque jour. Alors Sa Majesté Vie-Santé-Force dit au chancelier qui était auprès de lui : " Va et amène jusqu'à moi ces hauts fonctionnaires de la Résidence qui viennent de sortir d'ici, après m'avoir salué en ce jour ". Ils lui furent amenés aussitôt, et se prosternèrent en présence de sa Majesté Vie-Santé-Force pour la seconde fois. Sa Majesté Vie-Santé-Force leur dit alors : " J'ai fait qu'on vous appelât afin que vous recherchiez pour moi l'un de vos fils qui soit un homme sage, ou l'un de vos frères qui soit un homme habile, ou l'un de vos amis qui ait commis une action heureuse, et qui me dira quelques belles et bonnes paroles, qui me tiendra un discours choisi, que Ma Majesté se divertira à entendre ". Les courtisans se prosternèrent à nouveau devant Sa Majesté Vie-Santé-Force et lui dirent : " Ô souverain, notre maître, il y a un grand prêtre-lecteur de la déesse Baster, du nom de Neferty ; c'est un homme simple au bras vaillant, un scribe aux doigts excellents, c'est aussi un homme riche qui possède de nombreux biens, plus qu'aucun de ses semblables. Puisse-t-on l'amener afin que Sa Majesté le voie ". Celle- ci dit alors : " Allez et qu'on me l'amène ! " Cela fut fait aussitôt.

Neferty se prosterna en présence de Sa Majesté Vie-Santé-Force, et celle-ci lui dit : " Viens donc Neferty, mon ami, et dis-moi quelques belles et bonnes paroles, fais pour moi un discours choisi, que Ma Majesté se divertira à entendre ". Le prêtre-lecteur Neferty dit alors : " Sera-ce des choses du passé ou des choses à venir que je devrai te dire ? " Sa Majesté Vie-Santé-Force dit : " Des choses à venir car ce qui arrive aujourd'hui devient du passé ". Puis il étendit sa main vers le coffret qui contenait le nécessaire d'écriture, il en tira, pour lui, un rouleau de papyrus et une palette, et il se mit à écrire ce que disait le prêtre-lecteur Neferty, l'homme savant de l'Orient, qui appartenait à la déesse Bastet en son éclat, l'enfant du nome d'Hiéropolis.

Voilà qu'il se lamente sur ce qui va arriver dans le Pays, il évoque l'état de la région orientale, quand les Asiatiques vaincront par les armes, quand ils répandront la crainte dans le cœur des moissonneurs, quand ils se saisiront de leurs attelages pendant leurs labours.

Il dit : " Courage, mon cœur, pleure sur ce pays où tu as commencé ton existence. Se taire est un acte mauvais, mais celui qui parlera mérite le respect. Vois, donc, le Grand personnage est maintenant abattu, dans ce pays où tu as commencé ton existence.

Ne connais pas de fatigue ; vois, ceci est devant ton visage ; tiens-toi debout contre ce qui est face à toi. Vois, donc, les Grands ne constituent plus le gouvernement du pays. Ce qui a été fait autrefois est maintenant semblable à ce qui n'a jamais été accompli. Rê doit recommencer la création. Le pays tout entier a péri, il ne subsiste rien ; il ne restera même pas le noir de l'ongle de son destin. Ce pays est si gravement atteint que personne ne se lamente plus sur lui, que personne ne parle, que personne ne pleure. Comment donc ce pays pourra-t-il subsister ? Le disque solaire, voilé, ne brillera plus pour que le peuple puisse voir ; on ne pourra pas vivre si les nuages le recouvrent ; et, privé de lui, tous les hommes seront sourds.

Je vais dire ce qui est devant moi, je ne prédirai rien, qui n'arrivera. Le fleuve d'Egypte est vide, on traverse à pied sec ; on cherchera de l'eau pour que les navires puissent naviguer sur elle. Le lit de la rivière deviendra comme la rive, cependant que la rive appartiendra à l'eau, puis la place de l'eau sera à nouveau la place de la rive. Le vent du sud repoussera le vent du nord et le ciel ne sera plus traversé par un vent unique.

Des oiseaux étrangers mettront au monde dans les marais du delta ; ils ont construit un nid auprès des hommes, et ceux-ci les ont laissé s'approcher, à cause de la détresse où ils sont plongés.

Assurément ces belles et bonnes choses d'autrefois ont été détruites, ces bras du Nil poissonneux, théâtre de massacres, regorgeant de poissons et d'oiseaux. Toute bonne chose disparaîtra, le Pays sera aussi bas que terre à cause du malheur, venant de ces nourritures, les Asiatiques répandus à travers le pays. Des ennemis, en effet, surviendront à l'Est, des Asiatiques descendront en Egypte ; la place forte sera dans la détresse, un autre homme (un étranger) se tiendra auprès d'elle, de sorte qu'aucun être susceptible d'apporter du secours n'entendra ; et l'on retiendra l'échelle durant la nuit. On pénétrera dans l'intimité des maisons, on chassera le sommeil des yeux, de sorte que l'homme couché dira : " Maintenant, je suis éveillé ". Les animaux du désert viendront se désaltérer au fleuve d'Egypte, ils se rafraîchiront sur ses rives, et ceux qui pourraient les en chasser feront défaut. Ce Pays est saisi, entraîné, et l'on ne connaît pas le dénouement qui surviendra, qui est caché pour la parole, la vue et l'ouïe, car le visage est sourd et la face est silencieuse.

Je te décris le pays à la manière d'un malade, car ce qui n'aurait jamais dû arriver est arrivé. On saisira les armes de combat, et le pays vivra dans le tumulte. On fabriquera des flèches de cuivre et l'on demandera du pain avec du sang. On rira d'un rire de souffrance et l'on ne pleurera plus à cause de la mort ; on ne se couchera plus, affamé, à cause d'elle ; le cœur de l'homme sera derrière lui. On ne fera plus de lamentations, en ce jour, car le cœur en sera complètement détourné. L'homme s'assiéra dans son coin, son cœur derrière lui, pendant que les autres hommes s'entre-tueront.

Je te décris les fils comme un adversaire, le frère comme un ennemi, et l'homme meurtrier de son père.

Chaque bouche sera remplie de : Aime-moi ; mais tout ce qui est bon sera parti. Le Pays périra ; des lois seront promulguées contre lui ; le dommage atteindra ce qui avait été créé, la destruction ce qu'on trouvait autrefois, de sorte que ce qui avait été fait sera comme ce qui n'a jamais existé. On se saisira des biens d'un homme, on les donnera à celui qui vient du dehors (l'étranger).

Je te décris le seigneur dans l'indigence, l'étranger satisfait. Celui qui n'avait jamais empli pour lui est maintenant démuni. On placera des citoyens abhorrés pour rendre silencieuse la bouche de celui qui parle ; si l'on répond à une parole, un bras surgira armé d'un bâton, et l'on dira : ne le tue pas ; un discours sera sur le cœur comme une flamme, et l'on ne tolérera pas ce qui sort de la bouche d'un homme.

Le Pays est diminué, car ceux qui dirigent sont nombreux ; il est dépouillé, mais ses impôts sont élevés ; le grain est peu abondant, mais le boisseau est grand, et on le mesure lorsqu'il déborde.

Rê se séparera des hommes, il ne brillera qu'une heure, et l'on ne saura pas quand midi surviendra, on ne pourra plus distinguer l'ombre, il n'y aura plus de lumière que l'on puisse voir. Les yeux ne seront plus mouillés d'eau, car le soleil demeurera dans le ciel comme la lune ; et pourtant il ne transgressera pas son temps habituel, et ses rayons seront dans les yeux des hommes de même qu'autrefois.

Je te décris le Pays à la manière d'un malade. Celui dont le bras était faible sera un homme puissant ; on saluera celui qui autrefois saluait.

Je te décris l'homme inférieur devenu supérieur ; ce qui était tourné sur le dos est maintenant tourné sur le ventre. On vivra dans la nécropole. Le pauvre empilera de grandes richesses… C'est l'homme misérable qui mangera les pains d'offrandes, tandis que les serviteurs seront dans la liesse. Le nome d'Hiéropolis, lieu de naissance de tous les dieux, n'existera plus.

Alors un roi viendra du Sud ; Imeny Juste-de- voix, est son nom ; c'est le fils d'une femme appartenant au premier nome du Sud, née en Haute Egypte. Il prendra la couronne blanche et il portera la couronne rouge, ainsi il unira les Deux Puissances et il satisfera les deux seigneurs, Horus et Seth, selon leurs désirs.

Le pourtour des champs sera dans son poing et la rame dans ?. Le peuple d'Egypte, en son temps, se réjouira. Le fils d'un homme de valeur se fera un renom pour l'infinie durée et l'éternité. Ceux qui inclinaient au mal et ceux qui complotaient une rébellion ont mis fin à leurs paroles, à cause de la crainte qu'il inspire. . Les Asiatiques seront abattus, il les massacrera, et les Timhiou seront terrassés par sa flamme. Les rebelles éprouveront sa colère et les hommes au cœur pervers la terreur qu'il répand, car l'ureus qui est sur son front calmera pour lui ces hommes méchants. On construira les Murs du Prince, Vie-Santé-Force, qui empêcheront les Asiatiques de venir jusqu'en Egypte ; ils demanderont seulement de l'eau, selon leur manière coutumière, pour faire boire leur bétail.

Alors la Vérité-Justice reviendra à sa place et le mal sera chassé à l'extérieur. Ceux qui verront cela se réjouiront, ceux qui demeureront dans la suite du Roi.

L'homme savant versera pour moi une libation quand il constatera que ce que j'avais dit est arrivé ".
(Textes sacrés et textes profanes de l'Ancienne Egypte I, Des pharaons et des hommes, Traductions et commentaires par Claire Lalouette et Préface de Pierre Grimal, Connaissance de l'Orient, Gallimard)

 

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Analyse de La prophétie de Neferty