Le cavalier et le soufi
Yourancz
http://www.delirius.fr/les-exlibris2.htm
Le cavalier et le soufi
Un cavalier aperçut un serpent venimeux au moment où il se glissait
dans la bouche d'un homme endormi. Que faire ? S'il laissait l'homme dormir,
tôt ou tard le serpent le mordrait, le tuerait. Alors il fouetta l'homme
de toute sa force. Il le réveilla brutalement d'un coup de fouet, il
l'entraîna dans une remise où se trouvait un tas de pommes pourries.
Sous la menace de son épée, il obligea l'homme, qui hurlait de
rage, à manger une masse de pommes. Puis il lui fit boire une quantité
d'au saumâtre sans prêter attention à ses cris. "Mais
que t'ai-je fait, ennemi de l'humanité, pour que tu me traites de cette
manière ?"
Après plusieurs heures de souffrance, d'insultes et de larmes, l'homme
s'écroula sur le sol. Il vomit les pommes, l'eau et le serpent. A la
vue de l'animal, il comprit ce que l'homme avait fait. Il lui demanda pardon
de l'avoir insulté et le remercia.
"Pourquoi m'as-tu sauvé ? demanda-t-il enfin. - Parce que la connaissance
est mère de la responsabilité. - Que veux-tu dire ? Le cavalier
resta silencieux. Il aida l'homme à se relever et à nettoyer ses
vêtements. Celui-ci lui dit encore : "Si tu m'avais prévenu
de la présence de ce serpent dans mon estomac, j'aurais accepté
ton traitement de très bonne grâce. - Je ne crois pas, dit le cavalier.
- Pourquoi ? - Si je t'avais prévenu, tu ne m'aurais pas cru. Ou bien
la peur t'aurait paralysé. Ou bien tu te serais enfui à toutes
jambes. Ou bien encore tu serais retourné au sommeil, y cherchant l'oubli.
Là-dessus, le mystérieux cavalier sauta sur son cheval et s'éloigna
très vite.
(Conte soufi, Jean-Claude Carrière, Le cercle des menteurs, éd.
Plon)