Le gouffre de Gowan






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Le gouffre de Gowan


Il y a bien des années déjà, une terrible sécheresse sévit en ce pays,
A tel point que le soleil brûla la terre.
Les prés et les monts brunirent comme une peau vieillie,
Tandis qu'un vent se mettait à souffler,
Soulevant la poussière à leur surface,
Comme sur les chemins quand passent les files des charrettes.
Toute verdure avait disparu,
Les gens se lamentaient avec désespoir,
Les animaux dépérissaient de faim et de soif,
Car il ne restait plus, dans les ruisseaux et les fontaines,
Que quelques gouttes d'eau.

Deux mois durant, on attendit en vain
Que la pluie arrosât le sol brûlé.
Beaucoup de vaches et de moutons périrent
Et bien des paysans furent ruinés.
Il ne leur resta rien d'autre à faire
Que de prendre le bâton de mendiant.
Les elfes voulurent aider les pauvres gens
Comme ils le pouvaient et ils leur cédèrent
Leurs calmes prairies et leurs clairières dans les montagnes
Pour en faire des propriétés, mais cela ne suffit pas.
Pas étonnant car les pâturages sur lesquels s'amusaient les elfes,
Du printemps à l'automne, sans en abîmer l'herbe tendre,
Furent dévastés en une demi-journée par les vaches et les moutons affamés
Et les elfes n'eurent plus qu'à se lamenter en chœur
Avec les autres gens des villages.

" Que va-t-il nous arriver ? se plaignirent-ils.
Il faudra au moins un an pour que le désert reverdisse. "
Alors, ils décidèrent, dans leur infortune,
De se mettre au service de ce peuple
Qui ne leur avait jamais fait de mal,
Mais les avait, au contraire, toujours respectés
Et les avait aidés quand le besoin s'en était fait sentir.

L'être le plus gentil du pays était le paysan Sandy.
Il était si bon que, bien qu'il ne possédât pas grand chose,
Il aidait les gens de tout son cœur.
On ne voyait jamais un mendiant sortir de chez lui
Les mains et l'estomac vides.
Néanmoins, la misère finit aussi par l'atteindre
Quand elle frappa deux vaches,
Qui constituaient les ressources de la famille.
La femme et les enfants de Sandy en pleurèrent de désespoir,
Puis ils s'endormirent.
Mais le paysan, lui, ne put fermer l'œil.
Il demeura assis près du poêle jusqu'à minuit,
Regardant les charbons ardents et secouant la tête
En cherchant le moyen de préserver sa famille de la faim.
Tout à coup, il sursauta en entendant un bruit curieux.
" Qu'est-ce que c'est ? Qui est-ce ? " grommela-t-il.
Alors, un sac tomba dans la cheminée et roula sur le plancher.
Sandy l'ouvrit et, déposée sur un monceau d'or, il aperçut une lettre.
Il l'ouvrit aussi et put lire : " Ce que tu as fait pour nous, nous le ferons pour toi !
Prends cet or et achète-toi des vaches ! "

Sandy ne put croire à sa chance.
Néanmoins, il sortit de chez lui avant l'aurore,
Traversa les montagnes et s'en alla jusqu'à Kinross
Pour acheter deux belles vaches à un riche paysan.
Il les ramena chez lui mais là un souci l'assaillit,
Comment allait-il les nourrir et les désaltérer ?

La fermière et les enfants bondirent de joie
Et se comportèrent devant les vaches
Comme devant des hôtes de marque.
Ils arrangèrent pour elles l'étable
Et apportèrent le foin qui leur restait dans l'auge,
Ainsi que l'eau qu'ils avaient gardée pour eux-mêmes.
Ils se disaient : " Il vaut mieux que nous ayons soif
Plutôt que de voir à nouveau périr nos vaches
Qui sont toute notre subsistance. "

Pendant ce temps-là, le paysan cherchait ici et là dans les prés et sur les collines
S'il ne restait pas une parcelle d'herbe frâiche.
C'est alors qu'il entendit une voix venant d'un buisson d'épines :
" Conduis tes vaches dans le gouffre de Gowan ! "
Le paysan secoua la tête avec incrédulité,
Mais il entendit de nouveau cette même voix :
" Ne te fais pas en vain de soucis,
Mène tes vaches aujourd'hui même dans le gouffre de Gowan ! "
Cela étonna fort notre paysan,
Car tout le monde savait qu'il ne poussait que ronces,
Bardanes et épines dans ce gouffre.
Même les chèvres n'y seraient pas allées brouter,
Encore moins les vaches !
Cet étrange conseil ne fit cependant pas sourire Sandy.
Il avait peur de fâcher les elfes qui l'avaient aidé.
Aussi retourna-t-il chez lui.
Il mit la bride à ses deux vaches
Et les mena là où on le lui avait ordonné.
" Aujourd'hui mes vaches ont eu assez de foin et d'eau, se dit-il,
Cela n'a pas grande importance si elles ne trouvent rien de plus.
Peut-être aurai-je une autre idée, demain matin. "

Il se dirigea vers le gouffre et s'y arrêta tout au bord.
Il écarquilla les yeux de surprise et tressaillit de joie
En voyant qu'il n'y poussait pas la moindre ronce ni la moindre épine.
C'était comme si quelqu'un les eût arrachées une à une.
Au fond du ravin, s'étendait un épais tapis d'herbes grasses
Et, d'un rocher, jaillissait une source d'eau claire comme des larmes.
Il conduisit les vaches vers cette pâture, but à la source
Et s'allongea dans l'herbe pour s'y reposer, heureux et content.

Cette bonne pâture attendait encore les vaches de Sandy,
Le lendemain et le jour suivant.
Chaque matin, le gouffre de Gowan était aussi frais
Que s'il avait plu durant la nuit.
Les deux vaches donnèrent tant de lait
Que la fermière pouvait, chaque jour,
Emplir tous les récipients qu'elle possédait.
Toute la famille put en boire, ainsi que les enfants du voisinage.
Leurs petits ventres cessèrent de gargouiller,
Et il restait encore assez de lait pour faire du beurre et du fromage.
Ce beurre était si bon que les messieurs de la ville n'en voulaient plus d'autre.

Mais, au bout d'un moment, les voisins de Sandy
Se mirent à envier sa chance.
Bien qu'il leur vînt en aide,
Ils se conduisirent, à son égard, comme des ennemis.
" Sandy, la misère nous ronge, la sécheresse persiste
Et toi, tu vis comme un prince
Et tu récoltes pièce d'or sur pièce d'or.
Sache que, demain, nous irons aussi
Faire paître nos vaches dans le gouffre de Gowan ! "
Le paysan les considéra, l'un après l'autre.
" Soyez censés, mes amis, deux vaches seulement
Peuvent paître convenablement dans cet endroit, dit-il avec calme. "
Mais les voisins ne voulurent rien savoir
Et, le lendemain, tous conduisirent leurs vaches au gouffre de Gowan.
Il y eut soudain là plus de vaches qu'au marché.
Au grand étonnement de tous, les vaches de Sandy
Continuèrent à paître comme si de rien n'était,
Alors que les autres n'arrivaient pas à découvrir le moindre brin d'herbe,
Ni à avaler la moindre gorgée d'eau.
Et quand les paysans les ramenèrent chez eux,
Ils n'en purent tirer la moindre goutte de lait.

Par bonheur, un orage mit fin cette nuit-là à la sécheresse
Et la pluie arrosa la terre durant deux mois entiers.
Le pays reverdit lentement.
Les gens reprirent vie et retournèrent à leurs besognes.
Ils se conduisirent à nouveau bien avec Sandy.

Ainsi, jour après jour, Sandy vécut-il de mieux en mieux.
Quand il eut vieilli, il établit bien sa famille
Et ses conseils furent écoutés par tous dans les environs,
Et pas seulement par ses plus proches voisins.
Et, dans le gouffre de Gowan, il resta depuis ce jour-là,
Même au cours des années les plus sèches,
Un bonne herbe bien verte et bien fraîche.
(Contes celtes, Gründ)

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