Canaille
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Le lièvre et la fée
Un jeune lièvre vivait dans une petite forêt, entre une montagne,
un village et une rivière. Beaucoup de lièvres courent dans les
bruyères et la mousse, mais aucun n'a autant de gentillesse que celui-ci.
Il avait trois amis : un chacal, une belette des berges et un singe. Après
la fatigue du jour et la recherche de nourriture, ils avaient pour coutume de
se retrouver le soir, tous les quatre, pour s'entretenir et deviser. Le lièvre
à la belle prestance parlait à ses compagnons et leur enseignait
maintes choses. Ils l'écoutaient et apprenaient à aimer toutes
les créatures de la forêt ; ils étaient heureux. "Mes
amis, dit, un jour, le lièvre, demain, nous ne mangerons pas, mais la
nourriture que nous trouverons durant la journée, nous la donnerons à
tout pauvre que nous rencontrerons."
Tous furent d'accord. Et, le lendemain, comme chaque jour, ils partirent, à
l'aube, en quête de nourriture. Le chacal trouva, dans une hutte de village,
un morceau de viande ainsi qu'une jarre de lait caillé dont les deux
anses étaient reliées par une corde. Trois fois, il cria bien
fort : "A qui appartient cette viande ? A qui ce lait caillé?"
La hutte était vide. Ne recevant pas de réponse, il prit le morceau
de viande dans sa gueule, et passant la corde de la jarre autour de son cou,
il s'enfuit dans la forêt. Ayant déposé son butin, à
côté de lui, il pensa : "Quel bon chacal je suis ! Si personne
ne vient à passer par ici, je mangerai demain ce que j'ai trouvé".
Et petite dame belette, qu'a-t-elle trouvé dans ses vagabondages ? Un
pêcheur avait attrapé des poissons dorés et luisants. Il
les avait cachés dans le sable et s'en était retourné à
la rivière pour en attraper davantage. La belette découvrit la
cachette. Elle dégagea les poissons du sable et cria trois fois : "A
qui sont ces poissons dorés ?" Mais le pêcheur n'entendait
que le clapotis de la rivière, et nulle réponse ne vint. Aussi
emporta-t-elle les poissons dans son petit repaire de la forêt, et elle
pensa : "Quelle bonne belette je suis ! Ces poissons, je ne les mangerai
pas aujourd'hui : peut-être un autre jour…" Pendant ce temps,
notre ami le singe était monté sur la montagne. Il y avait trouvé
des mangues mûres, les avait rapportées dans la forêt et
déposées à l'abri d'un arbre. Il pensa : "Quel bon
singe je suis !"
Quant au lièvre, il était allongé dans l'herbe du sous-bois
et la tristesse mouillait ses yeux. "Que pourrais-je bien offrir à
une pauvre créature qui passerait par ici ? pensait-il. Je ne peux offrir
de l'herbe et je n'ai ni riz ni noisettes à donner." Mais soudain,
il bondit de joie. "Si quelqu'un vient par ici, songea-t-il, je lui donnerai
moi-même à manger."
Or, dans la douce forêt, vivait une fée qui avait des ailes de
papillon et une longue chevelure de rayons de lune. Son nom était Sakka.
Elle savait tout ce qui se passait dans la forêt. Lorsqu'une fourmi avait
volé quelque chose à une autre fourmi, elle le savait. Elle connaissait
les pensées du moindre petit animal, et même des pauvres fleurs
piétinées dans l'herbe. Et elle savait que, ce jour-là,
les quatre amis ne mangeraient pas, et qu'ils avaient décidé de
donner la nourriture qu'ils trouveraient à tout pauvre qu'ils rencontreraient.
Aussi Sakka se changea-t-elle en vieux mendiant, voûté et s'aidant
d'un bâton pour marcher.
Et elle alla trouver le chacal et lui dit : "Cela fait des jours et des
semaines que je marche, et je n'ai rien à manger. Je n'ai plus la force
de chercher ma propre nourriture. Chacal, je t'en prie, donne-moi quelque chose.
- Prends ce morceau de viande et cette jarre de lait caillé, répondit
le chacal. Je les ai dérobées dans une hutte du village et c'est
tout ce que je peux te donner. - Je verrai plus tard", reprit le mendiant
et il poursuivit son chemin sous l'ombre des arbres. Sakka rencontra ensuite
la belette et lui demanda : "Qu'as-tu à me donner, aujourd'hui,
ma petite ? - Prends ces poissons, répondit la belette, et repose-toi
un moment, sous les arbres. - Une autre fois", reprit le mendiant et il
continua sa route dans la forêt. Un peu plus loin, la fée rencontra
le singe et lui dit : "Donne-moi quelques fruits, je te prie : je suis
pauvre et fatigué et j'ai faim. - Prends toutes ces mangues, répondit
le singe, je les ai cueillies pour toi. - Pas cette fois", fit le mendiant
et il passa son chemin.
Sakka rencontra ensuite le lièvre et dit : "Hôte gentil des
bois moussus, dis-moi, où pourrais-je trouver de quoi manger ? Je suis
égaré dans la forêt et si loin de chez moi. - Je te donnerai
mon propre corps à manger, répondit le lièvre. Ramasse
du bois et fais du feu. Je sauterai dans les flammes et tu pourras manger de
la chair de petit lièvre. Sakka prit des bûches et fit jaillir
des flammes magiques. Tout heureux, le lièvre bondit dans le feu brillant.
Mais les flammes, loin de brûler sa peau, étaient rafraîchissantes
comme de l'eau. "Que se passe-t-il ? dit-il à Sakka ; je ne sens
pas la brûlure des flammes. Les étincelles sont fraîches
comme la rosée du matin !"
Sakka reprit alors sa forme de fée. Elle parla au lièvre d'une
voix plus douce qu'aucune voix qu'il n'avait jamais entendue. "Mon petit,
lui dit-elle, je suis la fée Sakka. Ce feu n'est pas réel : ce
n'était qu'une épreuve. La bonté de ton cœur, lièvre
béni, sera connue de la terre entière dans les siècles
à venir." Et elle frappa la montagne de sa baguette. Il en jaillit
un nectar don elle se servit pour dessiner la silhouette du lièvre sur
le disque de la lune. Le lendemain, le lièvre retrouva ses amis et toutes
les créatures de la forêt se rassemblèrent autour d'eux.
Le lièvre lui raconta tout ce qui lui était arrivé et ils
se réjouirent. Et tous vécurent désormais heureux. (Conte
de l'Inde)