Le mythe du feu



Pascale Lambert

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Le mythe du feu


Tout le pays indien était baigné par les rayons du soleil,
Sauf la vallée profonde.
Là, le dur hiver continuait à régner sans trêve.
Tous les animaux restaient à sa merci,
A la seule exception de l'ours à la fourrure épaisse et hirsute.

Par une nuit mémorable, une tempête terrible éclata.
Elle pliait et déracinait les arbres, descellait les rochers,
Détruisait tout sur son passage.
Pourtant, au centre de la Grande Eau, sur un minuscule îlot,
Un sycomore solitaire lui résistait.
Sans paraître prêter la moindre attention à l'ouragan déchaîné,
Il se moquait de lui en fredonnant une joyeuse chanson sur les beautés de l'été.

Cette outrecuidance ne fit que renforcer la fureur de la tempête.
" Je te tuerai ", hurla-t-elle en lançant un éclair de feu,
Au cœur même du brave sycomore.

Mais voilà que - ô merveille des merveilles ! - même alors,
Le chant impertinent ne cessa pas de se faire entendre.
Le feu, qui l'avait cueilli au cœur du sycomore,
Le fit passer aux vagues du lac, qui à leur tour se le transmirent jusqu'au rivage,
Et de là, il s'élança au loin, à travers champs.

Entre temps, la tempête s'était apaisée.
L'aube allait bientôt poindre.
Alors, laissant la désolation derrière elle, elle avait pris la direction du Nord.
L'arbre ne chantait plus.
Son tronc et ses branches achevaient de se consumer,
Tandis qu'une colonne de fumée bleue montait vers le ciel.
Les animaux de la Vallée profonde remarquèrent bientôt cette fumée.
Le faucon s'éleva bien haut dans les airs, pour voir d'où elle provenait.
" Au feu ! ", cria-t-il à ceux d'en bas.


" Il y a le feu dans l'île ! "
" Comment est-il ce feu ? ", demandèrent les autres,
Qui ne voyaient que la fumée.
" Il est rouge et jaune et il chante, c'est tout ce que j'en sais ",
Répondit le faucon.

L'araignée déclara alors : " Le feu, c'est notre ami.
Si nous l'amenons ici, il nous tiendra chaud.
Voulez-vous que j'aille le chercher ? "
" Toi ? " le hibou éclatait d'un grand rire moqueur.
" Tes pattes sont si tordues qu'il te faudrait le temps d'un somme de marmotte
Pour aller et revenir.
J'irai moi-même. "
Et le hibou, déployant largement ses ailes, s'envola dans la direction de l'île.
Toutefois, rapporter le feu, cela s'avéra une tâche bien plus difficile qu'il ne l'avait cru.
Lorsqu'il voulut ramasser une braise incandescente, notre hibou se brûla les griffes
Et lâcha bien vite son butin.
Ses plumes aussi étaient un peu roussies
Et il fut tout heureux de rentrer au bercail sans plus de dégâts.
Désolé, il se posa sur une branche et dit à ses concitoyens pour s'excuser :
" Le feu ne veut rien avoir à faire avec nous !
Il n'a même pas daigné me parler et il a bien failli me tuer. "
" Moi, j'ai la peau dure, " se vanta le serpent à sonnettes.
" Je veux y aller et voir ce que je peux faire pour vous apporter le feu. "
Mais, lui aussi, revint bien vite, chassé par les cruelles morsures du feu.
" Le feu a des pouvoirs extraordinaires, " exposa-t-il aux autres,
Qui étaient déçus de le voir revenir sans rien.
" Il m'a brûlé tout le corps, me portant au rouge !
Personne n'arrivera à le faire quitter l'île. "

" Et moi, alors, m'avez-vous oubliée ? s'indigna l'araignée.
Moi aussi, j'ai des pouvoirs extraordinaires.
Qui sait, peut-être réussirai-je.
Je sais comment m'y prendre. "
A vrai dire, personne n'ajoutait foi à ses paroles,
Mais aune bête ne persista à se moquer.
Toutes étaient bien curieuses de voir
Comment ferait l'araignée pour tenir sa promesse.
Elle ne semblait pas pressée de partir.
Elle s'en fut d'abord dans un coin ramasser un gros paquet
Qu'elle ficela méticuleusement avant de le jeter sur son dos.
Ainsi parée, elle mit le cap sur l'île.
Le trajet lui prit beaucoup de temps et d'efforts.
Ses pattes crochues ne passaient pas sans difficulté par dessus les obstacles,
Et quand elle plongea dans le lac, les vagues la rejetaient d'un autre côté.
Avec le poids de son paquet, elle avait fort à faire pour se maintenir à flot.
Bref, elle fut rapidement soulagée, quand elle sentit la terre ferme sous ses pas,
Et, sans reprendre haleine, elle gagna le centre de l'île.
Là, elle dut souffler un instant, mais ensuite, elle se mit à l'œuvre avec décision.
Elle retira de son paquet, qui était une pelote, le bout d'un long, très long fil.
Petit à petit, elle se mit à l'enrouler autour d'un tison, choisi parmi les plus ardents.
Ce faisant, elle exécutait une de ces danses magiques connues des araignées,
Pour empêcher le feu de brûler le fil.
Quand le tison fut bien embobiné, langé comme un poupon,
Elle le plaça au creux de son paquet-pelote,
Et, chargée de son précieux butin, elle prit le chemin du retour.

Tous les animaux l'attendaient avec la plus grande impatience.
A son arrivée, ils l'entourèrent,
Se bousculant pour être parmi les premiers à savoir comment elle s'en était tirée.
L'araignée secoua alors son paquet, pour en faire sortir le tison ardent,
Et, ce faisant, elle leur disait :
" Le brave sycomore nous adresse un ami,
Qui nous tiendra chaud, même au coeur de l'hiver le plus glacial.
Mais ce feu, il faut sans cesse le soigner et le nourrir, sinon il s'éteindra. "
" Il ne mange pas trop ? " s'inquiéta le hamster, craignant pour ses provisions.
" Rassure-toi, le feu ne mange que le bois sec ", lui dit l'araignée rassurante.
" Mais tout le bois est mouillé après cet orage ! "
" Je lui donnerai de mon écorce, " dit le bouleau.
" Même trempée, elle brûle bien ! "
Et tout en parlant, il fit tomber de son tronc un grand lambeau d'écorce blanche.
L'écureuil en arracha une lamelle qu'il approcha de la braise.
Une langue de feu d'un jaune rougeâtre se forma, se développa
Et devint de plus en plus haute et claire, chassant le froid.

Depuis lors, le feu ne s'est jamais éteint dans la Vallée profonde.
L'écureuil le soigne durant le jour et, le soir venu,
Toutes les bêtes se rassemblent tout autour
Et chantent en chœur ce refrain que vous aussi, vous pourrez entendre,
Si vous écoutez bien :

" Quand le feu brûle, haut et clair,
Rassemblons-nous dans la clairière.
Autour du feu, chantons en chœur,
Car il n'y a rien de meilleur. "
(Mythe des Indiens d'Amérique, Gründ)

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