Les Sept Souabes





Picasso, Guernica

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Les sept Souabes


Il était une fois sept Souabes qui s'étaient réunis ensemble. Le premier s'appelait Monsieur Schultz, le second Jackli, le troisième Marli, le quatrième Jergli, le cinquième Michel, le sixième Hans et le septième Veitli. Ils s'étaient donné pour but de parcourir le monde pour y chercher aventure et y accomplir de hauts faits. Mais comme ils voulaient partir en toute sécurité l'arme à la main, Ils avaient jugé bon de se faire fabriquer une pique seule et unique mais vraiment solide et longue. Ils tenaient cette pique tous les sept ensemble et le plus hardi, le plus viril était devant : ce devait être Monsieur Schultz. Ensuite venaient les autres selon leur rang, et le dernier était Veitli.

Comme ils avaient fait un long chemin, un jour du mois des foins, et qu'ils en avaient encore un bon bout à parcourir jusqu'au village où ils devaient passer la nuit, il arriva qu'au crépuscule, dans un pré, un gros scarabée ou un frelon s'envola non loin d'eux, de derrière un buisson, en bourdonnant agressivement. Monsieur Schulz s'effraya tant qu'il en laissa tomber la pique et que la sueur de l'angoisse jaillit de tout son corps ; "Ecoutez ! Ecoutez ! cria-t-il à ses compagnons, Seigneur, j'entends un tambour de guerre." Jackli, qui tenait la pique derrière lui et à qui je ne sais quelle odeur était venue aux narines dit : "Il se passe sans aucun doute quelque chose : je sens la poudre et la mèche à feu." A ces mots, Monsieur Schulz se mit à prendre la fuite, à franchir une clôture en un clin d'œil, et comme il avait sauté sur les dents d'un râteau qui avait été laissé là par les faneurs, le manche lui revint sur le visage et lui asséna un mauvais coup. "Aïe, Aïe, s'écria Monsieur Schulz, faites-moi prisonnier, je me rends ! je me rends !" Les six autres qui avaient bondi après lui, les uns derrière les autres, s'écrièrent : "Si tu te rends, je me rends aussi ! Si tu te rends, je me rends aussi !" Finalement, comme aucun ennemi n'était là qui voulut les ligoter (bingen) et les emmener, ils s'aperçurent qu'ils s'étaient trompés : et pour que les gens ne vinssent pas à apprendre cette histoire et qu'ils ne fussent pas moqués et raillés, ils se jurèrent les uns les autres de garder le silence à ce sujet, aussi longtemps que l'un d'entre eux n'ouvrirait la bouche à l'improviste.

Après quoi ils continuèrent leur voyage. Le deuxième péril qu'ils affrontèrent ne peut se comparer au premier. Quelques jours plus tard, leur chemin les conduisit à travers une friche ; un lièvre se tenait là au soleil et dormait, il avait les oreilles dressées en l'air et les grands yeux de verre grand ouverts. Ils s'effrayèrent tous ensemble à la vue de cette bête horrible et sauvage et tinrent conseil pour décider quoi faire et ce qui serait le moins dangereux possible. En effet, s'ils voulaient fuir il était à craindre que le monstre les poursuivît et les avalât tout entiers cuir et poil. Ils dirent donc : "Nous devons engager un grand et dangereux combat, encore de l'audace et la fortune est à moitié faite !" Tous les sept saisirent la pique, Monsieur Schulz devant et Veitli derrière. Monsieur Schulz voulait toujours tenir la pique mais Veitli qui à l'arrière était devenu courageux voulait attaquer et criait :

"A l'assaut au nom de toute la Souabe,
sinon je souhaite que vous restiez paralysés."
Mais Hans savait mettre au but et lui dit :
"Mille tonnerres, tu as bien jacacssé
et tu es le dernier à la chasse au dragon."
Michel cria :
"Il s'en faut d'un cheveu
que ce soit le diable en effet."
Ce fut au tour de Jergli qui dit :
"Si ce n'est lui c'est donc sa mère
ou le beau-frère du diable."
Marli eut alors une bonne pensée et dit à Veitli :
"Va, Veitli, va, va de l'avant.
De derrière, je me tiendrai devant toi."
Veitli ne l'écouta pas et Jackli dit :
"C'est Schulz qui doit être le premier
car c'est à lui que revient tout l'honneur."
Alors Monsieur Schulz prit son courage à deux mains et dit gravement :
"Allons donc courageusement au combat,
on reconnaît là les preux."

Tous ensemble, ils allèrent à l'attaque du dragon. Monsieur Schulz se signa et appela Dieu à son aide : mais comme rien de tout cela ne pouvait le secourir et que l'ennemi approchait de plus en plus, il cria dans la plus grande angoisse : "Hou ! Houaou ! Hou! Houhou !" Là-dessus le lièvre se réveilla effrayé et bondit à toute vitesse. Quand Monsieur Schulz le vit si couard, il cria plein de joie :

"Saperlipopette, Veitli regarde ce que c'est !
Le monstre est un lièvre."

L'alliance souabe chercha aventure plus loin et arriva à la Moselle, aux eaux moussues, tranquilles et profondes, que peu de ponts franchissent, et qu'en de nombreux endroits il faut traverser en bateau. Parce que les sept Souabes n'étaient pas informés de cela, ils appelèrent un homme qui, de l'autre côté, s'adonnait à son travail, et ils lui demandèrent comment on pouvait traverser. L'homme ne comprit pas à cause de l'éloignement et à cause de leur langue, et demanda de son patois de Trêves : "Qué , Qué ?". Mais Monsieur Schulz pensa qu'il ne pouvait que dire : "Passez à gué, à gué !" et parce qu'il était le tout premier, il commença à se mettre en route et à s'avancer dans la Moselle. Il n'était pas encore loin qu'il s'enfonçait dans la vase et dans les vagues profondes qui le poussaient vers le fond ; mais le vent poussa son chapeau de l'autre côté de la berge, et une grenouille s'assit dessus et coassa : "Qué, qué, qué". Les six autres entendirent cela et dirent : "Notre compagnon Monsieur Schulz nous appelle, il a pu traverser le gué, pourquoi pas nous ? " Là-dessus, ils sautèrent tous ensemble dans l'eau et se noyèrent, leur vie à tous les six emportée par une grenouillle, et aucun des membres de l'alliance souabe ne rentra jamais à la maison.
(Conte germanique, René Kaës et coll., Contes et divans, Dunod, collection "Inconscient et culture)

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Analyse des sept Souabes