Les trois fileuses




Les fileuses de Velasquez

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Les trois fileuses


Contes populaires et légendes de Provence, France Loisirs, Presses de la Renaissance, 1974



Il y avait une pauvre femme qui avait une fille de quinze à seize ans qui était quelque chose de beau à voir, mais qui passait toutes ses journées à la toilette et à la fenêtre pour voir les passants quand, au contraire, sa mère avait besoin de son travail. Ayant essayé de tous les moyens, et les avertissements restant sans effet, un beau jour, la mère prit un bâton et elle frappa et frappa jusqu'à en être lasse. Pendant qu'elle battait sa fille, le fils du roi vint à passer. Il demanda à cette femme pourquoi elle battait ainsi sa fille. "Parce qu'elle travaille tant qu'elle file jusqu'à la laine des brebis ! - S'il en est ainsi, dit le fils du roi, donnez-la-moi et je verrai si c'est vrai. " Il l'emmena dans son palais, l'enferma dans une chambre où il y avait des vêtements de toute sorte, des pendants d'oreille et des bagues. Il lui laissa un rup (8 kilos) de lin à filer dans la journée et lui fixa l'heure. Elle ne pensait aucunement au lin, mais aux bijoux qu'elle se mit à essayer devant la glace pour voir si cela lui allait bien. A la fin, comme il ne manquait plus que quelques minutes à l'heure fixée, elle se mit à pleurer et à se lamenter. En ce moment, elle vit un paquet de chiffons tomber dans l'âtre et une vieille femme en sortir. Cette vieille femme lui dit : " Ne t'effraie pas car je suis venu pour ton bien : je file, et toi, fais l'écheveau. " Au quart d'heure, tout le lin était bel et bien filé. Pendant le travail, le nez de la vieille s'allongeait. Alors, la jeune fille dit à la vieille : "Comment ferai-je pour vous récompenser ? - Moi, je ne veux rien autre chose qu'une invitation au dîner du fils du roi quant il t'épousera. Il suffit que tu appelles Columbina et je viendrai ; mais n'oublie pas nom car tu serais perdue ! "

Au bout d'un instant, le fils du roi arriva, il trouva le lin filé, et, tout à fait content, il dit : " Bien, demain, tu en fileras deux rups. " Le lendemain, au lieu de filer, elle fit ce qu'elle avait fait, le jour précédent, et quand l'heure fut proche, elle se mit encore à pleurer. Voilà que, de nouveau, elle vit tomber des chiffons de la cheminée et en sortir une autre vieille qui agit comme la première. Au bout d'un quart d'heure, le lin étant filé, la vieille, dont le nez était devenu deux fois plus long que l'autre, dit à la jeune fille qu'elle ne voulait qu'être invitée au dîner de noces : " Tu appelleras Columbara ; mais n'oublie pas mon nom ou gare à toi ! " Le prince arriva et dit à la jeune fille : " Tu as donc tout filé ? - Oui, il y a longtemps, que j'ai fini. ". Le fils du roi lui donna, pour dernière épreuve, trois rups de lin à filer, le lendemain. Les mêmes faits se reproduisirent une troisième fois, et la même demande, suivie de la même recommandation, fut faite par une troisième vieille, appelée Columboun, dont le nez était devenu aussi long que celui des deux autres ensemble.

Le fils du roi, complètement satisfait, dit alors : " Bien, alors tu seras ma femme. " En attendant, il donna les ordres nécessaires pour la fête et il envoya des cavaliers, de tous côtés, inviter les seigneurs et les nobles. Mais, le jour du banquet, au moment de se mettre à table, l'épouse se rappela qu'elle devait inviter les trois vieilles ; mais elle pensa et pensa en vain, elle ne savait plus leurs noms. Elle ne rit plus, ne parla plus et tomba en une mélancolie qui donnait à penser. Le prince lui demanda ce qu'elle avait, il tenta tous les moyens à sa portée pour la faire parler, mais en vain. Il appela tous les plus habiles saltimbanques et les plus drôles farceurs de son pays pour la faire rire : tout fut inutile, de manière qu'il décida de tout renvoyer à un autre jour plus propice. Il alla seul, un jour, à la chasse ; il fut surpris par l'orage, au milieu de la forêt, et il se mit à l'abri dans une petite cabane. Pendant qu'il était là, il entendit une voix qui appela : " O columbina, Columbara, Columboun, montez la marmite pour faire la polente ; cette maudite épouse devra nous la payer ! " Il se retourna et il aperçut trois vieilles qui avaient un nez monstrueux ; l'un était plus long que l'autre. En retournant chez lui, il se disait : "Tiens, maintenant, je sais comment la faire rire ; si elle ne rit pas à présent, elle ne rira vraiment jamais ! "

Il l'appela et lui dit : " Ecoute tu vas rire ; aujourd'hui, pour me mettre à l'abri de la pluie, je suis entré dans une cabane : j'ai entendu appeler Columbina ! Columbara ! Coloumboun ! Je me retournai et je vis trois vieilles au nez énorme ; je m'imagine que le plus long était celui de Coloumboun. " L'épouse eut un éclat de rire de folle et dit au prince : " Commande le repas de mariage ; mais accorde-moi une grâce : puisque ce sont ces vieilles avec leur long nez, qui m'ont faire rire, je te prie de les inviter au repas. " Le fils du roi, content d'avoir pu faire rire sa femme, commanda la fête, pour le lendemain, et, pour avoir occasion de rire, il fit inviter les trois vieilles. De fait, elles vinrent, mais elles furent mises à part autour d'une petite table ronde, assez grande à peine pour placer un plat où elles pouvaient manger toutes trois ensemble, de manière que les nez se rencontraient et se battaient l'un contre l'autre de façon à faire crever de rire. A la fin, le fils du roi leur demanda ce qui avait pu leur procurer un nez aussi long. Columbina répondit : " Pour moi, c'est parce que j'ai filé un rup de lin en un quart d'heure. - Pour moi, dit Columbara, je l'ai deux fois plus long, parce que j'ai filé deux fois plus dans le même temps. - Et moi, ajouta Columboun, je l'ai trois fois plus long, parce que j'ai filé trois fois plus de lin aussi dans un quart d'heure. C'est nous qui avons filé le lin que vous aviez donné à votre femme. Si elle l'avait filé, elle aurait maintenant un nez aussi long que nos trois nez réunis. " Le fils du roi, apprenant ces choses, dit aux trois vieilles: "Avez-vous vos instruments à filer ? - Oui ; nous les portons toujours avec nous. - Bien, montrez-les ! " Et il les fit brûler aussitôt, parce que, si filer fait venir le nez long, personne ne doit le faire. Quant à moi, je pense que le nez ne devient long qu'à ceux qui cherchent à tromper les autres et qui sont eux-mêmes trompés. En somme il fut fait une noce à tout casser. Il y avait trois plats : un poisson frit, une immense omelette, un chat salé. Et moi, j'ai fini de conter.

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Analyse des trois fileuses