Les trois rêveurs




Le Palais des trois rêveurs - Photo de Marie Cury

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Les trois rêveurs

Dans la ville de Lyon, en France, vivaient Mohamed, Latifa et leur fils Yanis. Ils n'avaient, pour tout bien, qu'une voiture et un appartement dans le lointain Moyen Orient.

L'homme travaillait beaucoup pour loger des Roms et leur trouver des emplois très précaires. La femme créait des appareils pour réparer de nombreux éclopés. De son côté Yanis aspirait à une vie meilleure. Un jour alors qu'il somnolait il eut un rêve extraordinaire. Il y avait, au milieu de pins et de châtaigniers somptueux, une demeure magnifique qui leur était offerte. Il se vit cheminant le long de fleuves et de petites rivières, avec des figuiers de toute nature qui lui offraient leurs fruits délicieux. Les oiseaux chantaient, les biches et les sangliers jouaient des tours à de trop zélés chasseurs. On aurait dit qu'ils riaient, jetant des regards complices au voyageur qui marchait nonchalamment. Et, tout à coup, au milieu des bois, un somptueux palais qui restait vide lui apparut scintillant de couleurs. Les habitants attendaient, depuis longtemps, un roi, une reine et un jeune prince pour en faire leur résidence. Latifa serait la reine, Mohamed le roi et Yanis, le prince admiré.

A peine ce décor planté dans son esprit, le jeune prince s'éveilla. Il pensa aussitôt qu'Allah l'aimait et désirait l'enrichir. " En vérité, se dit-il, ce rêve ne peut être que le fruit de son indulgente bonté. " Il en parla à ses parents avec un air si convaincu que Latifa et Mohamed rêvèrent à leur tour et décidèrent de partir à la découverte du palais qui leur était promis.

Le voyage fut long mais agréable ; les paysages étaient ceux d'un autre monde. Jamais les peintres de tous les temps n'auraient pu les imaginer. Un peu après midi, tout près d'un col, une fée et un mage leur offrirent l'hospitalité : fromage de chèvre, châtaignes, poissons, viande de bœuf et d'agneau, vins de Bordeaux, glaces aux multiples parfums, défilèrent sur la table, installée sous des arbres à l'ombre généreuse. La fée regarda les lignes de leurs mains et leur prédit un avenir magnifique. De son côté, le mage analysa leurs écritures et finit par les convaincre que tous leurs souhaits seraient exaucés sans tarder. C'est pourquoi ils s'engagèrent, pleins d'espérance, au milieu d'une immense forêt, où la route tournait et se retournait à tel point que les voyageurs eurent l'impression de faire constamment du sur place. Finalement un grand village s'offrit à leurs yeux. Il était peuplé d'ânes et de marcheurs aventureux. Et puis, en face de la poste, un boulanger caressait ses chiens. On lui demanda où était le palais. Il sourit : " un palais ? Il n'y a même pas ici un café pour vous restaurer. Mais je crois bien que votre palais est dans la maison d'à côté. Essayez d'ouvrir ". Ils prirent leurs clefs et ouvrirent une porte. Elle donnait sur un escalier aussi pentu qu'une échelle et au sommet deux pièces encombrées de déchets. Les araignées en avaient fait leur domaine et les rats ne devaient pas être très loin. La peur saisit alors nos découvreurs de palais ; ils descendirent les marches d'escalier quatre à quatre et se trouvèrent devant une seconde porte. La serrure grinça et apparut alors la chambre d'un mort. Son réveil était encore sur la cheminée et ses agendas étaient éparpillés sur le sol. Sans doute d'autres chercheurs de trésor avaient-ils évacué le cadavre et avaient tout renversé sans trouver le sésame auquel ils aspiraient.

Là-dessus Mohamed, Yanis, Latifa racontèrent leur rêve au boulanger. Le boulanger s'esclaffa. Ils se mirent à désespérer. " A quoi bon vivre désormais puisque même ici, au fond des bois, il n'y a plus de rêves. " Alors il leur avoua : " Figurez-vous que c'est à Lyon que je vais, chaque semaine, pour me sortir de ma vie de misère. C'est là que je retrouve mon palais de rêves. " Aussitôt Mohamed comprit. Il invita Yanis et Latifa à remonter dans la voiture. Il fallait retourner dans l'appartement abandonné le matin même. C'est là qu'était le palais, un lieu où il y avait assez de manque pour pouvoir rêver. Cela, Yanis le savait déjà depuis longtemps, depuis qu'il était né du rêve de sa mère et de son père.
(Cf. Les deux rêveurs, Conte arabe, Henri Gougaud, L'arbre aux trésors, Ed. du Seuil)

Etienne Duval


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