Recréation de Babel

 

Le mythe de Babel, également tiré des premiers chapitres de la Bible, s'intéresse encore à la structure sociale pour mettre en garde contre une société trop homogène, qui fuit la différence. C'est aussi une manière de stigmatiser certains replis communautaires, qui, arc-boutés sur l'identité du groupe et la recherche du même, conduisent les individus à la confusion et à la violence ouverte. De façon plus précise encore, ce mythe nous oblige à réfléchir sur notre conception de la ville.

Le monde est en train de se reconstruire après une énorme catastrophe, un déluge épouvantable qui a inondé la plus grande partie du monde habité. Les hommes ont besoin de se conforter. Ils parlent la même langue, utilisent les mêmes mots et vivent dans la bonne entente. Ils pensent qu'ils pourront mieux résister aux dangers futurs s'ils restent regroupés, occupés à un projet commun. Après des recherches attentives, ils découvrent, au cours de leurs déplacements, une vallée verdoyante où ils pourront s'installer. La décision est prise de construire une ville avec une tour, très haute, qui s'élèvera au-dessus des nuages. Ainsi pourront s'allier les forces du ciel et celles de la terre. La piété s'allie à la démesure de l'orgueil, qui cherche à enraciner l'avenir et à défier le temps. Chacun se met au travail : les uns cuisent les briques, toutes conçues sur le même modèle, et les autres les ajustent pour construire les maisons avec la grande tour au milieu. Dès le départ, la standardisation des matériaux contribue à homogénéiser plus encore les membres de la communauté. Chaque individu devient une brique dans la construction de l'ensemble. Le travail avance très rapidement, l'efficacité des artisans est étonnante. L'utopie de la ville nouvelle prend forme de jour en jour. Tous s'enorgueillissent déjà d'une œuvre, qui va traverser les siècles.

Pourtant, contre toute attente, l'atmosphère devient peu à peu irrespirable. Tout avait été conçu et organisé pour créer la cité idéale. Or des dissensions multiples fissurent la bonne entente des origines. Les mots qui ne vivent pas, malgré les années qui passent, perdent leur sens et la langue enchâssée dans la routine ne porte plus la vie et engendre la confusion. En fait la parole n'existe pas car elle n'a pu trouver sa place dans un monde trop homogène. La violence, privée de sens, menace à tout coin de rue. Ceux qui étaient à l'origine du projet avaient tout prévu ; ils avaient simplement oublié d'y introduire la différence. Il est temps de se disperser pour créer des espaces d'altérité, où la parole pourra retrouver le souffle de la vie.

 

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