Recréation de Phaéton

 

Phaéton est encore un enfant. Il est l'homme, en pleine transformation, " dans le jardin d'Eden ". Il pressent une destinée exceptionnelle car déjà une lumière insolite brille sur son visage. Il est fils du soleil : son origine est divine. C'est en tout cas ce qu'il croyait. Mais les autres enfants se moquent de lui. A vrai dire, sa parole n'est pas crédible : elle n'est pas une parole véritable, capable d'affirmer avec autorité sa propre identité. Il en vient à douter lui-même de ses origines, de sa propre filiation. Est-il vraiment le fils de ses parents ? Sa mère le rassure mais elle n'a que sa propre parole. Soucieux de lever le doute qui le perturbe, Phaéton veut parler à son père. Pour le rencontrer, il doit revenir aux origines. Il ira vers l'Est, là où se lève le soleil. Sa mère l'encourage et lui donne l'autorisation de partir pour devenir un homme. C'est sa parole, qui lui permet de faire son premier passage.

Après de nombreux jours de marche, il arrive enfin près du palais du dieu soleil. Il entre mais la lumière l'éblouit à tel point que, pour un moment, il doit accepter de fermer les yeux. Petit à petit, la lumière qui l'environne pénètre en lui et il peut commencer à contempler le monde qui l'entoure. Au milieu d'une immense salle, il aperçoit le dieu Hélios, celui qui maîtrise le temps en séparant le jour et la nuit, l'hiver et le printemps, l'été et l'automne. Les heures, les jours, les mois, les années l'entourent comme de fidèles serviteurs. Il reconnaît aussi chacune des saisons se déplaçant l'une derrière l'autre en décrivant un grand cercle. Confusément, Phaéton commence à comprendre que le maître du temps est aussi le maître de la Parole, de cette parole qu'il n'a pas. C'est à ce moment là que la voix d'Hélios retentit fortement à ses oreilles : " Sois le bienvenu, Phaéton, mon fils. Pourquoi es-tu venu ici ? " Il est surpris, décontenancé, mais il découvre rapidement la paix car son père divin vient de le reconnaître. Ah, si au moins les enfants qui se moquaient de lui pouvaient être là ! Il répond qu'il vient ici chercher la parole pour montrer à tous qu'il a une origine divine et qu'il est bien le fils du soleil.

Hélios est étonné par cette sagesse précoce ; il sait néanmoins que Phaéton n'est pas encore un homme véritable pour avoir droit à la Parole. Il veut bien l'aider à faire le pas ; il restera à son fils à faire ses preuves. C'est alors qu'il cède imprudemment à la tendresse paternelle : " Puisque tu es mon fils, je t'accorderai tout ce que tu me demanderas ". L'enfant saisit la balle au bond. Il veut être comme son père : pour un temps au moins il veut prendre sa place pour acquérir face aux autres la parole qu'il n'a pas. Il souhaiterait, au moins pour une fois, conduire le char du soleil. Hélios se repent de lui avoir fait une promesse aussi insensée, mais sa propre Parole est en jeu. Bien qu'il perçoive déjà tous les dangers de mort qui menacent son fils, il ne se dédira pas. Il donne son autorisation.

L'étoile du matin vient de se lever. Hélios installe Phaéton sur le char du soleil et lui conseille de suivre la trace qu'il a laissée lui-même au cours de ses nombreux passages. Lorsqu'on veut acquérir la parole, il faut commencer par s'appuyer sur l'écriture, trace que laisse ceux qui nous précèdent. Le fils prend les guides du père mais les chevaux impétueux ne reconnaissent pas la maîtrise habituelle d'Hélios. Rapidement ils s'égarent à droite, à gauche, en haut, en bas. Phaéton n'a pas l'expérience nécessaire : son intelligence est encore mal assurée et les forces du désir lui résistent. Le char de la vie navigue dans tous les sens. Le soleil qui se rapproche enflamme la terre et tous les êtres vivants sont terrorisés. Ils sont en danger de mort. Zeus, qui regarde la scène, prend conscience de la situation. Il envoie la foudre sur Phaéton, qui chute lamentablement sur la terre. En fait, la chute est le temps du passage : la foudre est fécondation par les forces de mort, qui doivent devenir des forces de vie et donner naissance à la parole. Sous le voile du texte, c'est ici le baptême de la parole qui est signifiée, manifestant ainsi le lien qui l'unit à la violence.

Le mythe laisse le lecteur à sa propre réflexion. Il dit que les nymphes enterrent le pauvre Phaéton et que sa mère erre longtemps à la recherche de son fils. Le soleil lui-même désespéré se voile la face, introduisant la nuit dans le ciel de midi pour féconder le jour. Les sœurs pleurent leur frère pendant de longs mois. Leurs larmes qui deviennent des gouttes d'ambre, réfléchissant la lumière du soleil et de la divinité, finissent par réensemencer la terre. En prenant racine dans le sol, elles font apparaître un nouvel arbre de vie, qui va donner naissance à l'homme véritable, porteur de la Parole.

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Image de Phaéton

 

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