Recréation du déluge (mythe grec)

 

La corruption fait rage dans le monde. La vie n'a plus d'assise. Le vol et surtout les meurtres se multiplient. C'est en tout cas ce que disent les messagers de Zeus. Une telle situation sur terre devient insupportable. Dans sa grande sagesse, le roi des dieux pense qu'il doit descendre sur place. Inquiet, il vient donc sur la terre. Mais quelle n'est pas sa stupéfaction ! La réalité est bien au-delà du discours. Les hôtes massacrent leurs invités endormis, les femmes empoisonnent leur mari et les frères s'entretuent pour profiter seuls de l'héritage des parents.

Une nuit, Zeus, s'introduit discrètement dans le palais du roi Lycaon. Les gens du peuple qui ont ressenti sa présence se mettent à prier. Mais le roi se moque d'eux. Il est un personnage trop important et trop sûr de lui-même pour avoir peur des dieux. Son intention est d'éprouver son hôte encore invisible. À pas feutrés, il descend dans le cachot où il a enfermé des Molosses. Rapidement, il extirpe l'un d'eux, lui tranche la gorge et le fait cuire pour son invité-surprise. Zeus se présente : avec un grand sourire, il l'invite à sa table. Lorsqu'il sera gavé de vin et de chair humaine il sombrera dans le sommeil et Lycaon le tuera à son tour. Le monde entier est en train de chanceler. Les plats fumants arrivent sur la table, portés par des serviteurs, pleins d'attention. Mais le roi des dieux ne serait pas dieu s'il ne décelait les intentions des humains. Conscient du stratagème, il entre dans une violente colère. Aussitôt il envoie sa foudre sur le palais, qui disparaît complètement sous les flammes. Le roi a juste le temps de s'échapper nu. Effrayé, il devient muet de terreur. Bientôt, il n'est plus un homme ; perdant définitivement la parole, il se met à hurler. Son corps se couvre de poils et sa tête s'allonge. Le voici révélé à lui-même : en commettant des crimes, il fait régresser toute la création. Il est devenu un loup pour l'homme, rendant la vie sur terre impossible. Son cas, en effet, n'est pas unique : toute la population est à l'image de son roi.

Zeus s'interroge : comment redresser la situation ? Il comprend que l'existence de la terre est menacée s'il n'introduit l'interdiction du meurtre. Il pourrait enflammer le monde entier mais la terre elle-même périrait avec ses habitants. Il est préférable de purifier toute la création, en la ramenant à sa source, la source de toute vie. La pluie se met à tomber, le vent du sud se déchaîne, les fleuves sortent de leur lit. Bientôt, l'eau de la purification et du baptême recouvre les maisons, les arbres et les montagnes. Les hommes qui s'accrochent aux frêles esquifs qui surnagent sont entraînés dans les profondeurs de la mer nouvelle.

Seul émerge encore des eaux le Mont Parnasse. Or un petit bateau s'avance en sa direction. Il porte un homme et une femme, et nos deux rescapés, Deucalion et Pyrrha, portent en eux toute l'humanité nouvelle. Deucalion est fils de Prométhée, qui, prévoyant le désastre, lui a donné une solide embarcation. Mais s'ils sont là, ce n'est pas seulement à cause de la prévenance de celui qui a façonné d'argile le premier homme ; c'est d'abord parce qu'ils sont restés honnêtes et pieux, respectant l'autre et son droit à la vie.

Désormais tout est prêt pour un recommencement. La pluie s'arrête, l'eau régresse, les montagnes retrouvent leur forme et la terre émerge à nouveau des flots. Deucalion et Pyrrha, désolés d'être seul, se mettent à prier sur les marches du temple de Zeus. Le roi des dieux les entend et les met sur la voie d'un monde nouveau, mais son message reste incompréhensible : " Quittez ce temple, voilez vos têtes et jetez derrière vous les ossements de la grand-mère ". Ils se creusent la tête pendant de longues heures. Puis la lumière finit par éclairer l'esprit de Deucalion. La grand-mère, c'est la terre, qui est la mère de tous les vivants et ses ossements sont les pierres, qui serviront de fondation et de structure protectrice à toute construction nouvelle. Les os évoquent la mort, mais ils portent aussi, dans leur moelle, les germes de la vie. Il faut donc jeter la mort derrière, la mettre au service de la vie, pour que surgisse un monde nouveau, qui porte l'interdit du meurtre. Au moment où l'homme accepte l'interdit du meurtre, la force de mort au lieu de tuer vient féconder la vie. Ainsi lorsque Deucalion jette les pierres par-dessus son épaule, elles se transforment en hommes et lorsque Pyrrha prend la relève, ce sont des femmes qui apparaissent.

Le déluge souligne ici le passage important à l'interdit du meurtre pour l'avenir de l'humanité. Il n'élimine pas la force de mort ou la violence fondamentale de l'homme. En les mettant à leur place, il en fait l'énergie de fécondation de la vie elle-même.

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