Recréation du serpent d'airain

 

Aaron, le frère de Moïse, vient de mourir. Les Hébreux marchent dans le désert. Ils sont près de la Mer Rouge, à proximité du golfe d'Aqaba. Depuis de nombreuses semaines, ils peinent, souffrent et ne mangent pas à leur faim. La mort est à la porte. Le découragement se propage dans le peuple comme une traînée de poudre. Il faut aller voir Moïse, lui demander ce qu'il a dans la tête, quel est ce Dieu qui lui parle et les malmène ainsi. Il est impossible de continuer à marcher sans savoir quel est le but du voyage. Il serait si simple de retourner en Egypte !

La foule en colère désigne quelques personnes pour s'adresser à leur chef, qui reste si mystérieux, surtout depuis qu'Aaron, son frère, est mort. La délégation entre dans la tente de Moïse et l'interpelle avec vigueur : "Pourquoi nous as-tu fait monter d'Egypte, si c'est pour mourir dans le désert ? Nos femmes, nos enfants et nos vieillards dépérissent et même les plus valeureux d'entre nous perdent courage. Nous ne pouvons plus nous contenter d'une nourriture de famine !" Moïse les regarde longuement. Il n'a pas de réponse à leur fournir. Parfois, il s'interroge sur le plan de Yahvé. Il ne le dit pas, mais, à certains moments, il a de la peine à chasser le doute qui envahit son esprit. Cependant un sursaut réveille son vieux corps fatigué : "Ne vous découragez pas, Dieu viendra à notre secours".

Le peuple n'est pas satisfait de cette réponse évasive. Il s'interroge. Il y a ceux qui sont pour Moïse et ceux qui s'affirment contre lui. On en vient aux mains. Des bagarres fratricides se produisent. Les Hébreux sont entre eux comme les serpents brûlants, qui se faufilent dans le sable du désert. Les morts succèdent aux morts. Chacun sent bien que le peuple est en proie à une grave maladie qu'il faut enrayer. L'ancienne délégation se remet en marche vers la tente de Moïse : "Ne vois-tu pas ce qui se passe ? Un mal inconnu jusqu'ici est en train de frapper notre communauté. Les hommes, les femmes, les enfants ne se supportent plus. Les disputes se multiplient et nous n'arrivons plus à enterrer nos morts. Si tu n'intercèdes pas, auprès de Dieu, nous allons tous mourir". Moïse demande un temps de réflexion. Il repense à ces plaques de cuivre, où est gravée l'effigie d'un serpent brûlant, que des artisans locaux ont confectionné pour protéger les habitants contre les morsures de l'animal. Très vite, éclairé de l'intérieur, il fait le lien entre les serpents du désert et la violence incontrôlée des Hébreux, que personne ne peut arrêter. Alors, il fait revenir la délégation : "Façonnez, dit-il, un serpent en airain de grande taille, et placez-le sur un étendard, que chacun pourra voir de loin. Si quelqu'un est en proie à une violence meurtrière, qu'il regarde le serpent d'airain ; tout rentrera dans l'ordre et il aura la vie sauve".

Les Hébreux ont appris à fondre le cuivre que leur fournit une mine toute proche, et ils savent aussi le mélanger avec d'autres métaux pour obtenir cet alliage très dur que l'on appelle l'airain. Comme la violence de l'homme, l'airain fait preuve d'une très grande dureté ; comme elle aussi, il renvoie en écho, en les démultipliant, les coups qu'il reçoit. Dans une intuition fulgurante, Moïse a compris que l'alliage du serpent et de l'airain était propre à représenter avec force la violence que l'homme ne maîtrisait plus. En la regardant en face, il allait pouvoir la réintégrer en lui et la rendre ainsi inoffensive. Ce qui était magique lorsque l'individu voulait se prémunir contre la morsure mortelle des serpents allait, par une transmutation symbolique, rétablir l'équilibre humain de l'Hébreu perturbé, en remettant la violence à sa place. Le texte dit que Moïse façonne lui-même le serpent d'airain. C'est une manière de signifier que l'acte créateur vient de lui et non de l'artisan qui modèle la sculpture selon ses propres ordres. C'est donc cette découverte profondément humaine qui a permis au peuple hébreu d'enrayer la violence mimétique, qui menaçait la communauté. Elle continue, aujourd'hui encore, à nous révéler que chacun doit intégrer sa propre violence sous peine de mort.

Télécharger le texte

 

Retour à l'accueil