La multiplication des pains ou l'art de produire de la richesse





 

La multiplication des pains

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La multiplication des pains ou l'art de produire de la richesse


La vie et les actes de Jésus dans l'Évangile de Saint Jean sont d'un étonnant symbolisme. Avec le regard d'un grand sage, le maître nous entraîne jusqu'au cœur du réel, pour révéler l'homme à lui-même. Il vient de guérir quelques malades, mais cela n'est rien par rapport au message qu'il veut nous transmettre. Nous le voyons aller de l'autre côté de la mer de Tibériade ; il cherche à tourner une page décisive. Et puis entraînant une grande foule derrière lui, il se met à gravir la montagne. Il ne s'agit pas de la montagne des Béatitudes mais le message est tout aussi important. Ici pourtant il y a peu de parole : tout est dans l'acte de multiplier les pains devant cinq mille hommes. Nous croyons y découvrir une opération magique. Mais le miracle n'est là que pour nous renvoyer au plus profond du questionnement humain : comment nourrir la multitude des hommes ? Aujourd'hui où la crise nous oblige à poser les questions fondamentales sur le fonctionnement économique de la planète, Jésus nous enseigne comment produire de la richesse.

L'argent permet l'échange mais ne produit pas de richesse
Pour mettre Philippe à l'épreuve, le maître lui demande : " Où achèterons-nous des pains pour que mangent tous ces gens ? " En fait l'argent ne produit pas de richesse. Il peut simplement être échangé contre n'importe quelle marchandise. Or il n'y a pas ici suffisamment d'argent pour nourrir cinq mille hommes. Deux cents deniers ne suffiraient pas pour donner à chacun un tout petit morceau de main. Aussi la solution de l'argent est-elle rapidement écartée.

Le don ne produit pas de richesse non plus
Vient alors très subtilement la solution du don. Un enfant peut offrir cinq pains d'orge et deux poissons. Mais à peine évoquée, la réponse est aussitôt balayée : " Qu'est-ce que cela ? " C'était pourtant la solution qui venait spontanément à un esprit religieux, tourné vers le don de Dieu. Il faut croire que Dieu ne fait pas simplement que donner : il doit faire autre chose. La suite, en effet, va nous le montrer avec une évidence renforcée.

Il faut se tourner du côté du mystère de la vie
Le maître " fait s'étendre les gens " et l'évangéliste souligne " qu'il y avait beaucoup d'herbe en ce lieu ". La vie était ici en pleine action sur le sol où chacun allait prendre place. Alors Jésus prend les pains et se tourne du côté du mystère de la vie en rendant grâces. Il inscrit ainsi son action dans la dynamique de l'existence. Le secret cherché est dans la vie elle-même.

Le partage est au cœur de la vie
Jésus se met à partager les cinq pains d'orge et les deux poissons. Dans le partage et la distribution, pains et poissons se multiplient, comme les cellules du corps humain en gestation. A partir d'une seule cellule, l'organisme du bébé est rapidement constitué. A partir de quelques pains d'orge et quelques poissons, le partage permet de nourrir cinq mille hommes. Il est au cœur de la vie.

C'est le partage qui produit de la richesse
Seul le partage permet de produire de la richesse parce qu'il est dans l'acte de même de la création. La création ne se manifeste pas seulement au début de l'univers. Elle se développe aujourd'hui sous nos yeux avec la naissance permanente des plantes, des animaux et des hommes. Nous la voyons aussi à l'œuvre dans les mains de l'artiste, dans la parole du poète et les symphonies du musicien. Chaque fois que l'homme s'inscrit dans le mystère de la vie en respectant la loi du partage, il se met en situation de produire des richesses nouvelles dans l'élan même de l'acte créateur.

Le partage produit de la richesse à profusion
Il n'y avait au départ que quelques pains et poissons. A la fin, lorsque tous sont rassasiés, les disciples de Jésus remplissent douze couffins. L'abondance des restes n'est là que pour souligner la générosité de la vie lorsqu'elle suit la dynamique du partage. Loin d'être parcimonieuse, elle produit de la richesse à profusion. Que faut-il donc aujourd'hui pour orienter l'économie dans le bon sens ? Sans doute y a-t-il de nombreux problèmes techniques que nous ne pouvons traiter ici. Mais il est possible d'énoncer quelques conditions indispensables : le partage dans la connaissance et la recherche, le partage de tous les acteurs dans la production et la stratégie de l'entreprise, le partage des grandes décisions qui engagent l'avenir, le juste partage des profits entre les travailleurs et la rémunération du capital…

Mais le gaspillage de la richesse produit des déchets
Il existe une dernière condition : ne pas gaspiller la richesse produite. Il faut que " rien ne soit perdu " pour éviter l'accumulation nocive de déchets. C'est peut-être en souvenir de cet épisode de la vie de Jésus, relaté par l'Évangile, que le gaspillage du pain en surplus a souvent été considéré comme une faute contre la vie. En fait, le déchet lui-même n'est pas rien : il doit être réintégré dans le cycle de production de la vie.

La loi du partage s'impose au niveau spirituel comme au niveau matériel
Dans l'esprit de l'évangéliste, le récit de la multiplication des pains renvoie à l'épisode de la Cène où Jésus partage le pain et le vin pour signifier qu'il partage son corps et son sang, c'est-à-dire son destin d'homme, avec tous les autres hommes. Il ne retient pas pour lui seul l'Esprit Saint qui l'a conduit jusqu'à sa mort et sa résurrection. Il nous le transmet en héritage pour que nous suivions, à notre manière et selon notre vocation, le chemin qu'il a tracé. Ce n'est pas tout à fait un don qu'il nous fait : c'est vers l'Esprit de partage qu'il nous entraîne pour que la Vie produise la vie dans notre relation avec les autres.

C'est en partageant que l'homme devient sujet
Le sujet humain, dans une telle perspective, n'est pas un être statique. Pris dans la dynamique du partage, il est constamment en recherche, jamais achevé, toujours orienté vers le plus de Vie qui multiplie la vie. Participant à l'Élan de la création, l'homme devient sujet en devenant créateur.

Etienne Duval, le 2 octobre 2009

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