Le cheval de pierre




Sculpture

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Le cheval de pierre


Il y a bien longtemps, au sommet de la colline, surplombant la petite ville de La-ling, se dressait un cheval de pierre. Personne ne l'appelait autrement que " Gemme ". Ce cheval de pierre avait une particularité étrange. Quiconque voulait pénétrer dans la région devait y être autorisé par gemme. Ce n'est que lorsqu'en signe d'accord le cheval de pierre avait poussé un hennissement que le visiteur pouvait continuer sa route. Cependant, quand un voyageur ne plaisait pas à Gemme, son cheval s'agenouillait sur ses pattes de devant et rien ne lui faisait plus faire un pas. Dans notre région toute bosselée, qui donc aurait l'idée de venir en palanquin ? Ce ne sont que sentiers étroits et tortueux, et ce n'est qu'à cheval que l'on peut y passer. C'est la raison pour laquelle, jamais au grand jamais, les fonctionnaires de la ville, ni aucun envoyé impérial ne sont arrivés à pénétrer dans notre petite bourgade La-Ling. Si bien que nous, les pauvres, nous n'avons jamais dû payer l'impôt à personne, et nous avons toujours vécu heureux et tranquilles dans nos montagnes. Vous le pensez bien, à la cour impériale, cela ne leur plaisait pas, et plus d'une fois ils ont essayé de pénétrer chez nous, les envoyés de l'empereur, mais leurs chevaux s'agenouillaient toujours devant Gemme et ne bougeaient plus d'un pouce, si bien qu'il ne restait aux envoyés aucune autre solution que de faire demi-tour et rentrer à la cour. Vous pouvez vous l'imaginer, quel amour et quelle déférence les gens de chez nous manifestaient envers Gemme, qui savait si bien nous préserver de la fiscalité impériale.

Mais cela ne plaisait pas le moins du monde à l'empereur. Il voulait posséder le cheval de pierre pour qu'aucun ennemi ne puisse venir l'attaquer. C'est pourquoi il finit par donner l'ordre de préparer une expédition pour aller enlever Gemme et l'apporter au palais impérial. Mais la nuit précédant l'arrivée des envoyés à La-ling, le cheval de pierre disparut, comme si la terre l'avait englouti. C'est en vain que les envoyés impériaux le cherchèrent, retournant toutes les pierres de la montagne, arpentant en tous sens la région de La-ling durant des mois. Pour finir il leur fallait bien retourner au palais, bredouilles ! " Il n'y était pas, Votre Majesté, il a disparu, dirent tout apeurés les mandataires. Nous avons fouillé toute la montagne, examiné chaque fente, au risque de nous casser une jambe, mais le cheval n'était nulle part, il a disparu, qui sait où, à la grâce du ciel. " Ah ! C'est ainsi, se dit l'empereur, ils ne trouvent pas le cheval, et encore ils viennent me rabattre les oreilles avec la grâce du ciel. C'est trop fort. " Et à haute voix il déclara : " Fort bien, puisque vous n'avez pas rapporté le cheval de pierre, vous serez raccourcis de la tête ! "

Et il fut fait comme il avait dit ! Tout de suite après l'exécution, l'empereur choisit une nouvelle troupe à envoyer à La-ling. Il donna ses ordres avant le départ : " Ne revenez surtout pas sans le cheval de pierre. Sinon vous subirez le même sort que vos prédécesseurs ! "

Malheureux envoyés ! Combien de mois ne passèrent-ils pas à La-Ling, retournant chaque fétu de paille - et pas l'ombre d'un cheval. Ils entraient questionner les gens dans toutes les habitations, mais il avaient beau parler à des vieux ou des jeunes, la réponse était toujours la même : " Des chevaux de pierre, il y en a partout en quantité ". Que restait-il à faire ? Ils retournèrent dans la campagne, et quand ils voyaient une pierre ressemblant de près ou de loin à un cheval, ils la prenaient. Si bien qu'au bout d'un temps assez court, ils avaient ramassé presque toutes les pierres de cette région.

Quand ils revinrent avec leur butin, l'empereur fut certes assez étonné, mais comme ces pierres avaient des formes étranges, il finit par croire qu'elles avaient quelque rapport avec le cheval de pierre, et il ordonna de les ranger devant son palais. Et, au bout d'un moment, une chose étrange se produisit. Une pierre sifflait comme un serpent, une autre hululait comme un hibou, une autre encore rugissait comme un lion, et celle du fond grognait comme un ours en colère. Mon Dieu, quel tintamarre ! Quel vacarme que ces piaulements, gémissements, coassements, et sifflements ! Tous ces bruits se confondaient en un grondement terrible, et le palais couvert de toit, aux bords orgueilleusement soulevés, tremblait dans ses bases au point qu'on pensait qu'il allait tomber.

" Vous autres là, qui avez amené ces horribles pierres, cria l'empereur hors de lui, faites vite quelque chose et allez me les jeter bien loin ! " Les courtisans étaient saisis de frayeur, mais un ordre est un ordre, alors ils coururent vers les pierres pour en prendre chacun une et l'emporter au loin, mais avant qu'ils ne se soient approchés d'elles, on entendit un grand bruit, les pierres se changèrent en une flamme brûlante qui mit le feu au palais, qui fut réduit en cendres en moins de temps qu'il ne faut pour le dire.

L'empereur sauva sa vie de justesse. Mais son cœur insatiable restait insatisfait, et le poussa à aller lui-même à la conquête du cheval de pierre magique, à La-ling. Il enfourcha son cheval et s'élança à la tête de toute son armée en direction de La-ling. Gemme ne voulait plus provoquer de nouveaux ennuis aux gens. Il réapparut en haut de son rocher, où il resta immuable. Lorsque l'empereur et sa suite se rapprochèrent, l'invincible destrier impérial, qui se jetait naguère au plus fort de la bataille, baissa la tête et, telle une brebis, vint s'incliner humblement devant Gemme. Et derrière le coursier, s'agenouillèrent également tous les chevaux de la suite impériale. Une colère terrible s'empara de l'empereur. " Tu vas voir comment je vais te dompter ! " clama-t-il, en grimpant sur l'échine du cheval de pierre. Ce dernier s'arc-bouta, ses sabots étincelèrent dans l'air, il rua sauvagement, et déjà l'empereur gisait au sol, la tête fracassée.

Au-dessus de lui, imperturbable, muet, se dressait le cheval de pierre.

(Conte Chouei, Contes du Tibet, éditions Gründ, 1991)

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Analyse du cheval de pierre