Le onzième travail d'Héraclès


 

Museo nacionale di Capodimonte, Naples

Le choix d'Héraclès

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Héraclès avait accompli ses Dix Travaux en l'espace de huit ans et un mois ; mais Eurysthée, qui n'avait pas compté ni le second ni le cinquième, lui en infligea deux autres. Le Onzième des Travaux consistait à rapporter les fruits du pommier d'or, cadeau de la Mère-Terre à Héra, dont elle avait été si heureuse qu'elle l'avait planté dans son jardin divin. Le jardin se trouvait sur les pentes du mont Atlas, là où les chevaux du char du Soleil, hors d'haleine, achèvent leur randonnée et où les troupeaux d'Atlas - mille moutons et mille vaches - se promènent paisiblement dans les pâturages. Lorsqu'un jour Héré s'aperçut que les filles d'Atlas, les Hespérides, à qui elle avait confié la garde de l'arbre, volaient les pommes, elle fit s'enrouler Ladon le dragon vigilant autour du pommier pour en interdire l'approche.

D'après certains, Ladon était le fils de Typhon et d'Édchina ; d'après d'autres, il était le dernier né des enfants de Céto et Prophys ; d'après d'autres encore, il était le fils par parthénogenèse de la Terre-Mère. Il avait cent têtes et parlait en utilisant ses diverses langues.

On n'est pas d'accord sur le lieu où vivaient les Hespérides : certains disent que c'était sur le mont Atlas, dans le territoire des Hyperboréens, ou sur le mont Atlas en Maurétanie ; ou bien quelque part, au-delà de l'Océan ; ou bien dans deux îles près du promontoire appelé Cap Occidental, qui se trouve près des Hespérides éthiopiennes, aux frontières de l'Afrique.

Bien que les pommes fussent à Héra, Atlas en était fier, comme un jardinier de ses beaux fruits, et Thémis l'avertit : " Un jour, bientôt, Titan, ton arbre sera dépouillé de son or par un fils de Zeus ". Atlas, qui n'avait pas encore été condamné à porter le globe terrestre sur ses épaules, construisit des murs solides autour du jardin et chassa tous les étrangers de son territoire ; il est bien possible que ce soit lui qui ait affecté Ladon à la garde des pommes d'or.

Héraclès, ignorant dans quelle direction se trouvait le jardin des Hespérides, traversa l'Illyrie jusqu'au fleuve Pô, patrie du dieu marin, Nérée, l'Oracle. En cours de route, comme il traversait l'Échédoros, petite rivière de Macédoine, Cycnos, fils d'Arès et de Pyréné, lui lança un défi. Arès se présenta comme second de Cycnos et déjà organisait le combat quand Zeus envoya un trait de foudre entre eux et ils interrompirent leur combat. Quand enfin Héraclès arriva sur le Pô, les nymphes du fleuve, filles de Zeus et de Thémis, le conduisirent à Nérée qui était endormi. Héraclès se servit du vénérable dieu de la mer et, s'agrippant à lui malgré ses multiples métamorphoses, le contraignit à lui dévoiler le moyen de prendre les pommes d'or. Mais, d'après certains, Héraclès alla quérir des renseignements auprès de Prométhée.

Prométhée avait conseillé à Héraclès de ne pas cueillir lui-même mais d'utiliser Atlas pour le faire à sa place et de le soulager pendant ce temps de son formidable fardeau ; donc, en arrivant au jardin des Hespérides, il demanda à Atlas de lui rendre ce petit service. Atlas aurait fait n'importe quoi en échange d'une heure de répit, mais il redoutait Ladon qu'Héraclès tua alors d'une flèche tirée par-dessus le mur du jardin. Héraclès s'était donc baissé pour recevoir le poids du globe terrestre sur les épaules et Atlas était parti ; il s'en revenait à présent avec trois pommes cueillies par ses filles. Il trouvait que la liberté était délicieuse. " Je vais apporter moi-même ces pommes à Eurysthée, dit-il, si tu portes les cieux pendant quelques mois encore. " Héraclès fit semblant d'accepter, mais comme il avait été prévenu par Nérée de n'accepter aucune proposition de ce genre, il pria Atlas de porter le globe pendant un instant, pendant qu'il mettrait un coussinet sur sa tête. Atlas, facilement trompé, posa les pommes sur le sol et reprit son fardeau. Héraclès alors les ramassa et s'éloigna en lui faisant un petit salut ironique.

À quelques mois de là, Héraclès apporta les pommes à Eurysthée qui les lui rendit ; il les offrit alors à Athéna qui les restitua aux nymphes, car il était illicite que la propriété d'Héra leur fût enlevée. Héraclès, ayant soif, après avoir accompli ce labeur, frappa la terre de son pied et fit jaillir un ruisseau qui, par la suite, devait sauver la vie des Argonautes, lorsqu'ils furent pris par la soif dans le désert de Libye. Entre-temps, Héra, pleurant Ladon, le plaça au milieu des étoiles où il figure la constellation du Dragon.

Héraclès ne revint pas à Mycènes par un chemin direct. Il traversa d'abord la Libye, dont le roi Antée, fils de Poséidon et de la Mère-Terre, avait l'habitude de contraindre les étrangers à lutter avec lui et, lorsqu'ils étaient épuisés, il les tuait. En effet, il était non seulement un athlète habile, mais encore chaque fois qu'il touchait la terre, ses forces se renouvelaient. Il employa les crânes de ses victimes pour faire le toit du temple de Poséidon. On ne sait pas si c'est Héraclès, décidé à mettre fin à cette pratique barbare, qui défia Antée ou si c'est Antée qui défia Héraclès. Antée, cependant, ne fut pas facile à vaincre ; en effet c'était un géant qui vivait dans une caverne, sous une très haute falaise, où il faisait des repas à base de chair de lion et dormait à même le sol afin de conserver et accroître encore sa force déjà colossale. La Mère-Terre, qui n'était pas encore devenue stérile après avoir mis au monde les Géants, avait conçu Antée dans une caverne libyenne et elle était plus fière de lui encore que de ses autres enfants monstrueux, plus âgés ; Typhon, Tityos et Briarée. Les choses auraient certainement mal tourné pour les dieux de l'Olympe s'il avait combattu contre eux dans les plaines Phlégréennes.

Les deux pugillistes se préparèrent au combat : l'un et l'autre ôtèrent leur peau de lion, mais alors qu'Héraclès s'enduisait d'huile à la manière olympique, Antée se versa du sable chaud sur les membres de crainte que le contact avec la terre, par la plante de ses pieds seulement, ne soit insuffisant. Héraclès avait décidé de ménager ses forces et de fatiguer Antée, mais, après l'avoir projeté sur le sol, tout de son long, il fut stupéfait de voir ses muscles se gonfler, régénérés par la Terre-Mère, reprendre leur vigueur. Les deux adversaires se prirent à nouveau à bras-le-corps et Antée se jetait volontairement sur le sol, sans attendre qu'Héraclès l'y projetât ; Héraclès, comprenant alors sa manœuvre, le souleva de terre, lui brisa les côtes et, malgré les profonds gémissements de la Terre-Mère, il le maintint en l'air jusqu'à ce qu'il expirât.

D'après certains, ce combat eut lieu à Lixos, petite ville de Maurétanie à environ quatre-vingts kilomètres de Tanger, près de la mer, et là on montrait encore, à l'époque romaine, une petite colline qu'on disait être le tombeau d'Antée. Ses habitants croyaient que si on prenait quelques paniers de terre de cette colline, la pluie se mettrait à tomber et ne cesserait que lorsqu'on aurait remis la terre à sa place. On disait aussi que les Jardins des Hespérides étaient l'île voisine où se dressait un autel d'Héraclès ; mais, à l'exception de quelques oliviers sauvages, il ne restait plus aucune trace du jardin d'autrefois. Lorsque Sertorios prit Tanger, il ouvrit la tombe pour voir si le squelette d'Antée était aussi grand que le disait la tradition. À son grand étonnement, il s'aperçut qu'il mesurait soixante coudées ; il referma alors la tombe et fit à Antée les sacrifices réservés aux héros. Les habitants du pays disent que c'est Antée qui fonda Tanger, autrefois appelée Tingis, ou bien que Sophax, le fils que Tinga, la veuve d'Antée, donna à Héraclès, régna sur le pays et donna le nom de sa mère à la ville. Le fils de Sophax, Diodoros, soumit un grand nombre de nations africaines avec une armée recrutée parmi les colons mycéniens qu'Héraclès avait amenés. Les Maurétaniens ont des origines orientales, et, comme les Pharuses, ils descendaient de quelques Persans qui accompagnaient Héraclès en Afrique ; mais certains prétendent qu'ils descendent des Canaanites que Josué l'Israélite chassa de leur pays.

Héraclès se rendit ensuite à l'Oracle d'Ammon, à qui il demanda une entrevue avec Zeus son père ; mais Zeus ne tenait pas à apparaître en personne, et, comme Héraclès insistait, il écorcha un bélier, revêtit sa toison, la tête de bélier cachant la sienne, et fit quelques recommandations à Héraclès. C'est pourquoi les Égyptiens donnèrent à leurs statues de Zeus Ammon un visage de bélier. Les Thébains ne sacrifiaient des béliers qu'une fois par an, à la fin des fêtes de Zeus, où ils tuaient un seul bélier et revêtaient la statue de Zeus de sa toison : après quoi les fidèles se frappaient la poitrine en signe de deuil à l'égard de la victime et l'enterraient dans une tombe sacrée.

Héraclès se dirigea ensuite vers le sud et fonda une ville à cent portes, appelée Thèbes en l'honneur de son lieu de naissance ; mais, d'après certains, Osiris avait déjà fondé cette ville. En ce temps là, le roi d'Egypte était le frère d'Antée, Busiris, fils de Poséidon par Lysianassa, fille d' Épaphos, ou, selon d'autres, par Anippé, fille du fleuve Nil. Or le royaume de Busiris avait connu la sécheresse et la famine pendant huit ou neuf ans et il avait envoyé chercher des augures grecs pour avoir un avis. Son neveu, un devin chypriote instruit nommé Phrasios, Thrasios ou Thasios, fils de Pygmalion, annonça que la famine cesserait, si, chaque année, un étranger était sacrifié en l'honneur de Zeus. Busiris commença par sacrifier Phrasios lui-même et ensuite sacrifia les hôtes que le hasard lui envoyait, jusqu'au jour où arriva Héraclès, qui laissa les prêtres l'amener jusqu'à l'autel. Ils entourèrent ses cheveux d'un bandeau et Busiris, invoquant les dieux, s'apprêtait à lever la hache du sacrifice quand Héraclès, brisant ses chaînes, tua Busiris, Amphidamas, fils de Busiris, et tous les prêtres qui assistaient à la cérémonie.

Ensuite Héraclès traversa l'Asie et s'arrêta à Thermydres, le port de Lindos à Rhodes, et là il détela un des bouvillons de la charrette des paysans, le sacrifia et se régala de sa chair, tandis que le propriétaire, debout sur un rocher, le maudissait de loin. Depuis ce jour, les habitants de Lindos marmottèrent des malédictions quand ils sacrifièrent à Héraclès. Finalement, il atteignit les montagnes du Caucase, où Prométhée avait été enchaîné pendant trente ans - ou mille ans ou trente mille ans - tandis qu'un griffon-vautour, né de Typhon et d'Échidna, lui arrachait le foie. Zeus s'était repenti de lui avoir affligé ce châtiment car Prométhée l'avait, depuis, averti amicalement de ne pas épouser Thétis, de crainte qu'elle n'engendre quelqu'un qui serait plus puissant que lui, et, à présent qu'Héraclès intercédait pour le pardon de Prométhée, Zeus l'accorda sans difficulté. Cependant, comme il l'avait un jour condamné à un châtiment éternel, Zeus stipula que, pour donner l'impression d'être toujours prisonnier, il devrait porter une bague faite du métal de ses chaînes et sertie d'une pierre du Caucase, et ce fut la première bague sertie d'une pierre. Mais les souffrances de Prométhée devaient durer jusqu'au jour où un mortel descendrait de son plein gré au Tartare, à sa place ; aussi Héraclès rappela-t-il à Zeus qu'il tardait à Chiron de se libérer de son don d'immortalité depuis qu'il souffrait d'une blessure incurable. Ainsi n'y avait-il plus d'obstacle et Héraclès, invoquant Apollon chasseur, abattit le griffon-vautour d'une flèche au cœur et délivra Prométhée.

Les hommes à présent s'étaient mis à porter des bagues en l'honneur de Prométhée et aussi des couronnes ; car Prométhée lorsqu'il fut libéré, reçut l'ordre de mettre sur sa tête des guirlandes de saule et Héraclès, pour lui tenir compagnie, mit sur sa tête une couronne d'olivier sauvage.

Zeus Tout-Puissant plaça l'arc au milieu des étoiles et en fit la constellation du Sagittaire ; et, à l'époque historique, les habitants des montagnes du Caucase considéraient le griffon-vautour comme l'ennemi du genre humain. Ils brûlaient ses nids avec des traits enflammés et lui posaient des pièges pour venger les souffrances endurées par Prométhée. (Les mythes grecs, Robert Graves, traduit de l'anglais par Maurice Hafez, Hachette Littératures, collection Pluriel, tome II, p. 142)

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Analyse du onzième travail d'Héraclès